samedi 29 juin 2013

Petites phrases mythiques en politique allemande (2)

Chers amis lecteurs, chères Vahinés orphelines de vos chroniques autrefois préférées, contrairement aux apparences, contrairement à Nelson Mandela, ce blog n’est pas encore mouru. Ah, on me souffle dans l’oreillette que Mandela non plus n’a pas encore cassé sa pipe. Vous en êtes sûr cher Monsieur? Pourtant j’aurais juré que... Bon, si vous le dites. Bref. Pour fêter le retour des Chroniques Berliniquaises en fanfare dans la blogosphère mondiale, et pour faire écho à la remise du grand prix de l’humour politique décerné cette semaine à Gérard Longuet, voici la suite de ma sélection de petites phrases mythiques de la politique allemande, que je vous avais promise en novembre dernier, il y a seulement sept (!) mois. Car, comme dit le proverbe de chez moi : Two présé pa ka fè jou ouvè. Mais trêve de bavardages. Voici sans plus tarder la suite du palmarès.
 
3. Les nominés dans la catégorie «Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent»

Ach, l’Allemagne, paradis de l’intégrité dans la fonction publique, parangon de vertu et de bonne gouvernance où les ministres démissionnent comme un seul homme  en moins de temps qu’il ne faut pour dire «plagiat», où les présidents en exercice sont impitoyablement démis de leurs fonctions juste parce qu’ils ont oublié de signaler aux juges qu’ils ont des amis riches... Droiture, honnêteté et vérité sont les trois mamelles de la nation teutonne, nous jurent, la main sur le cœur, les hommes politiques. Oui, trois mamelles, et alors? La preuve par quatre.

„Putin ist ein lupenreiner Demokrat.“  

 

« Poutine est un impeccable démocrate. »

Gerhard et Vladimir, les «impeccables cyniques»
selon le magazine Focus, en mars 2012
La vie est cruelle. En réalité, le 23 novembre 2004, en direct sur la chaîne ARD, le chancelier Gerhard Schröder, dont les malicieuses saillies ont déjà alimenté le premier volet de cette petite compilation maison, n’a pas réellement prononcé ces mots qui lui sont attribués, cette formule désormais gravée ad vitam aeternam dans le marbre de la psyché teutonne. Ses mots à lui sont en réalité : «Je le crois, et je suis convaincu qu’il l’est», en réponse au présentateur télé Reinhold Beckmann qui lui demandait s’il considérait Vladimir Poutine comme un lupenreiner Demokrat (un «impeccable démocrate»).

Après ce rare éclair de sincérité en prime-time, l’habile politicien a bien sûr tenté de nuancer son propos et de noyer le poisson pendant encore une bonne minute de considérations alambiquées sur les progrès considérables de la démocratie en Russie après des décennies de dictature communiste. Mais le mal était déjà fait : ce qui avait été dit ne pouvait plus être dédit, et l’ancien chancelier D’ailleurs, les excellentes relations personnelles que Schröder et Poutine ont continué à entretenir jusqu’à présent, bien trop cordiales et vénales aux yeux de la majorité des commentateurs politiques allemands, ne sont pas de nature à faire oublier cette citation de l’ancien chancelier. D’ailleurs, à l’issue de l’élection présidentielle russe de mars 2012 qui vit le retour de Poutine à la tête de l’État dans des circonstances controversées, Schröder était le premier à manifester son soutien à son ami Vladimir Vladimirovitch, et n’a eu de cesse de répéter à qui voulait l’entendre, contre les vents du scepticisme et les marées de ricaneries que oui, Poutine était bel et bien un vrai démocrate. Sacré Gégé, on ne l’en fera pas démordre.


„Die Rente ist sicher.“ 

 

« Nos retraites sont sûres. »

Avril 1986 : Norbert Blüm rassure
les électeurs inquiets. Photo
de la Westdeutsche Zeitung
Connaissez-vous Norbert Blüm ? Non, vraiment pas ? Cet ancien ouvrier de l’industrie automobile, devenu universitaire puis figure de la CDU grâce à son labeur acharné, gagne pourtant a être connu. Il a notamment occupé pendant seize ans, de 1982 à 1998, une fonction ministérielle qui allait comme un gant au gros bosseur qu’il était : ministre fédéral du Travail et de l’Ordre social. Et s’est distingué notamment en prononçant l’un des plus énormes mensonges de l’histoire de l’Allemagne de l’Ouest.

Dans les années 1980, la RFA est dans l’angoisse: le système de retraites par répartition, introduit par le chancelier Bismarck himself en 1889, prend l’eau de toutes parts. Le régime de retraites qu’avait mis en place le Chancelier au casque de Fer donnait droit à de généreuses pensions aux anciens travailleurs de plus de 70 ans, à une époque où l’espérance de vie du Prussien lambda culminait royalement à 45 ans... Un siècle plus tard, hélas, après deux décennies de crise démographique, de faible croissance économique et d’augmentation du chômage et bien sûr d’accroissement de l’espérance de vie du Teuton moyen, le financement des retraites en RFA devient une véritable bombe à retardement. Qui paiera nos retraites ?, s’inquiètent, à l’unisson sur les deux rives du Rhin, les cohortes de baby-boomers vieillissants.

C’est alors qu’en avril 1986, en pleine campagne électorale, le vaillant ministre du Travail décide de mettre les mains dans le cambouis pour faire sortir le pays de la sinistrose ambiante. Armé d’une échelle, d’une brosse, et d’un nez rouge d’un seau de colle, Norbert Blüm se fait complaisamment photographier en plein ouvrage, la mine réjouie, en train de coller une affiche monumentale à l’adresse de l’Allemagne qui se lève tôt :
« Une chose est sûre : la retraite ». 
En tout, ce ne sont pas moins de 15.000 de ces affiches rassurantes qui seront placardées dans tout le pays, dans un battage médiatique surpassant toutes les campagnes de com’ de l’ère Sarkozy réunies. Il voulait frappé les esprits et y est largement parvenu. Mais n’ayant pas été sur place à l’époque, je ne saurais dire si ces doses homéopathiques de méthode Coué ont porté leurs fruits et véritablement dissipé les inquiétudes de la population.

Février 2013: le magazine footballistique
11 Freunde intitule “Die Rente ist sicher”
son dossier consacré à la retraite de Michael
Ballack, l'ancien capitaine de la Mannschaft
Crédit photo: Berliniquais
Toujours est-il que dans les années qui ont suivi, le système de retraites allemand a été réformé en profondeur, le nombre d’années de cotisation a augmenté, les pensions sont toujours plus réduites et la pauvreté des personnes âgées devient un problème de plus en plus aigu. Fin 2012, ce sont plus de 800.000 Senioren de plus de 65 ans qui se voient contraints d’occuper un «Minijob» pour compléter leur maigre retraite, malgré tous les gros titres vantant la prospérité de l’économie allemande. Pire encore, l’Allemagne, où est né le concept d’économie sociale de marché, ne compte pas moins de 128.000 «mini-jobbeurs» âgés de 74 ans ou plus... Les chiffres sont effrayants et ne cessent d’augmenter.

Pour l’Allemand de la rue, le gouvernement a délibérément menti au public en ce jour de 1986 et préparait déjà le travail de sape des bases du système d’assurance vieillesse alors même que le ministre Blüm s’adonnait à ses pitreries de colleur d’affiches devant les caméras. Dans la culture populaire allemande, la phrase Die Rente ist sicher est restée un symbole fort des mensonges d’une classe politique qui ne recule devant aucune compromission ou aucune promesse non tenue. D’ailleurs, il est amusant de constater qu’avril 1986, c’était aussi l’époque de la catastrophe de Tchernobyl, et d’un fameux nuage radioactif qui s’est miraculeusement «arrêté aux frontières» d’un certain pays de forme hexagonale. Simple coïncidence? Saine émulation de part et d’autre du Rhin? Quoi qu’il en soit, en ce printemps 1986, on ment comme on respire l’air parfumé aux effluves de muguet et de particules de césium 137...

„Niemand hat die Absicht, eine Mauer zu errichten!“  

 

« Personne n’a l’intention de construire un Mur ! »

Après le plus gros mensonge de l’histoire de la RFA d’avant la réunification, voici maintenant, pour ne pas faire de jaloux, le plus kolossal mytho prononcé par un politicien de l’ex-RDA.

Octobre 1961: seulement quatre mois après la déclaration
de Walter Ulbricht, un Mur infranchissable divise Berlin.
Une affiche de protestation côté ouest rappelle la promesse
non tenue. Crédit photo: Augsburger Allgemeine Zeitung.
Nous sommes à Berlin, le 15 juin 1961. Depuis des mois, la situation entre les deux Allemagne est très tendue, et en particulier dans la capitale divisée en quatre secteurs d’occupation. Le nombre de citoyens est-allemands qui font défection à l’ouest augmente de manière dramatique, dans des proportions dangereuses pour la viabilité économique et idéologique de la RDA. Entre 1949 et 1961, près de trois millions d’Allemands de l’Est ont ainsi «voté avec leurs pieds» vers l’ouest, le plus souvent à Berlin. Entre janvier et juin 1961, l’Allemagne de l’Est déplore près de 100.000 départs, et les chiffres mensuels sont en augmentation. C’est un véritable exode des forces vives de la nation socialiste, une catastrophique fuite des cerveaux. À cette date, Berlin reste le seul endroit où le franchissement de la «frontière intérieure allemande» est simple comme Guten Tag : il suffit aux candidats au départ d’acheter un billet de train ou de métro en direction du secteur allié, de se laisser transporter par la BVG ou la Deutsche Reichsbahn et de descendre à bon port côté ouest.

Une autre affiche de protestation devant le Mur
en construction. Crédit photo: Wolfgang Röhl
Le 15 juin, 300 journalistes allemands et internationaux sont réunis à la Maison des Ministères de Berlin Est à l’invitation du Secrétaire Général du Parti, Walter Ulbricht. Celui-ci tient aux journalistes un long monologue où il réitère ses revendications à l’attention des Alliés afin de mettre un terme à la crise des réfugiés: démantèlement des camps de réfugiés à Berlin-Ouest afin de priver les déserteurs d’un point de chute, octroi du statut de Ville Libre à la moitié ouest de la métropole allemande afin de clarifier le statut juridique des secteurs sous occupation alliée, et possibilité pour la RDA de contrôler le transport aérien entre Berlin-Ouest et le reste du monde, comme c’est déjà le cas pour le transport routier et ferroviaire. Cela rendrait la vie plus difficile aux réfugiés est-allemands, qui se verraient faits comme des rats à Berlin-Ouest et n’auraient quasiment aucune chance de construire leur vie ailleurs.

Toutes ces propositions sont déjà connues depuis longtemps et les Alliés ont déjà signifié leur refus. Bref, encore une conférence de presse pour rien. La plupart des journalistes occidentaux ont quitté la salle avant même le début de la séance de questions-réponses. Mais Annamarie Doherr, la correspondante à Berlin pour le Frankfurter Rundschau, a patiemment attendu de pouvoir prendre la parole, et quand vient son tour, elle interpelle enfin Walter Ulbricht :
« Monsieur le Secrétaire Général, la création d’une Ville Libre de Berlin-Ouest signifie-t-elle à votre avis qu’une frontière internationale devra être érigée à la Porte de Brandebourg ? Êtes vous prêt à assumer une telle conséquence de votre projet ? »
Ce à quoi le Secrétaire Général virtuose hors pair de la langue de bois et de l’enfumage idéologique, s’empresse de répondre :
« Si je comprends bien votre question, il y a des gens en Allemagne de l’Ouest qui souhaitent que nous mobilisions les ouvriers du bâtiment de la capitale de la RDA pour ériger un mur, c’est bien cela ? Je n’ai pas eu vent d’un tel projet. En fait, les maçons de la capitale sont occupés à construire des logements et y consacrent toute leur force de travail ». 
Puis, après une courte pause rhétorique :
 « Personne n’a l’intention de construire un mur ! »
Une carte postale vendue à Berlin en 2013 détourne
la phrase pour se moquer des déboires du nouvel aéroport.
«Personne n’a l’intention de construire un aéroport!»
Crédit photo: Berliniquais
Au moment où ces paroles ont été prononcées, et dans les jours suivants, malgré la gravité de la crise des réfugiés sur les relations Est-Ouest, personne ne saisit l’importance de ces mots d’apparence anodine. La plupart des médias ouest-allemands, à mille lieues d’imaginer que Walter Ulbricht vient juste de révéler (volontairement ou pas, on ne le saura jamais) son projet, pour lequel des plans en cours de préparation depuis des mois, excluent ce commentaire de leurs comptes-rendus de la conférence de presse du 15 juin. Aucun observateur occidental ne conçoit sérieusement que l’on puisse envisager de diviser physiquement une métropole au moyen d’un mur ou de barbelés ou d’une quelconque structure permanente. Pourtant, jusqu’ici, aucune figure publique n’avait jusqu’à présent parlé de cette possibilité ou même évoqué un «mur». Ainsi, en RDA, ces propos fidèlement rapportés dans les journaux du Parti déclenchent une vague de panique, à l’opposé de l’effet escompté. Les rumeurs les plus folles circulent, y compris celle selon laquelle Ulbricht veut vraiment construire un Mur. Le nombre de fuyards augmente de plus belle : sur la première quinzaine d’août 1961, ce sont plus de 45.000 Allemands de l’Est qui se font la malle à Berlin-Ouest. La suite, vous la connaissez, à moins que vous n’ayez passé les 53 dernières années sur Vénus. Ou dans le darkroom du Berghain.

Dans les jours qui ont suivirent le début de la construction du Mur de Berlin, en août 1961, les journalistes ouest-allemands se souvinrent alors de la petite phrase du Secrétaire Général qu’ils avaient totalement négligée deux mois plus tôt. Ils produisirent alors des milliers d’affiches, de cartes postales et de tracts qu’ils affichèrent au plus près de la frontière, ou diffusèrent illégalement en RDA, pour bien rappeler au maximum de citoyens est-allemands le cynisme et les mensonges de leur gouvernement socialiste.

La phrase de Walter Ulbricht est alors immédiatement entrée dans l’histoire.

Puisqu’on parle de feu Walter Ulbricht, avant de passer à autre chose et de laisser ce grand homme reposer en paix, je voudrais partager avec vous l’une de ses citations que je préfère, en plus de celle relative au Mur
„Es muß demokratisch aussehen, aber wir müssen alles in der Hand haben.“
 Ce qui, traduit en langage chrétien, donne à peu près:
«Cela devra avoir l’apparence de la démocratie, mais nous devrons absolument tout contrôler».
Ainsi s’exprimait Walter Ulbricht, tout juste arrivé de Moscou dans le Berlin dévasté du 30 avril 1945, à l’attention de son compagnon de lutte Wolfgang Leonhard. Il soulignait ainsi ses objectifs relatifs à l’édification du paradis socialiste dans la future zone d’occupation soviétique de l’ex-Allemagne nazie. Encore un «lupenreiner Demokrat», en quelque sorte...

Was geht mich mein dummes Geschwätz von vorgestern an?“  

 

« Mais que m’importent les sornettes que j’ai pu raconter avant-hier ? »

Konrad Adenauer (à droite) et Theodor Heuss, les deux pères
de la RFA. Deux papas, tiens donc... Crédit photo CaptainCork
Pour clore ce chapitre consacré aux mensonges de politiciens, une petite dernière citation en guise de conclusion, que je trouve plutôt mignonnette et franchement désarmante de sincérité, mais sur laquelle je ne m’étendrai pas trop car son authenticité n’est pas établie. Cette citation daterait du début des années 1950 et est le plus souvent attribuée au premier chancelier de la RFA, Konrad Adenauer (le même qui a dit que «les gens feront toujours des enfants»), mais certains attribuent la paternité de ces mots à Theodor Heuss, le premier Bundespräsident (Président fédéral) de la RFA. Parfois, la citation est reproduite sous une forme plus «complète», comme suit:
„Was geht mich mein dummes Geschwätz von vorgestern an? Auch Sie können nicht verhindern, daß ich von Tag zu Tag klüger werde!“
Dans notre belle langue que le monde entier nous envie, cela donnerait :
«Mais que m’importent mes sornettes d’avant-hier ? Que vous le vouliez ou non, je deviens plus intelligent de jour en jour
Ah. Voilà donc la parade ultime, l’argument massue. On en reste coi. En réalité, les politiciens ne mentent jamais, et ne se contredisent absolument, absolument jamais. Que nenni. Ils se contentent simplement de «devenir plus intelligents de jour en jour». Puisqu’on se tue à vous le dire. CQFD.

Henri Queuille. Crédit photo Rue89.
Par pitié, que personne n’aille raconter ça à nos politiciens français, sinon ils ne feront même plus semblant d’avoir un minimum d’honnêteté intellectuelle.

Au fait, juste pour le plaisir, savez-vous qui a dit, justement «les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent» ? Charles Pasqua ou Jacques Chirac ? Eh bien ni l’un ni l’autre. J’ai appris en préparant ce billet que l’auteur de cet aphorisme saisissant est Henri Queuille (1884-1970), un politicien des IIIème et IVème République et ancien président du Conseil sous Vincent Auriol, injustement tombé dans l’oubli...

Je m’arrête ici pour cette fois, et devrai continuer avec un troisième volet de citations. J’espère qu’il sera prêt avant 2014 ! En attendant, je vous dis à très bientôt.

6 commentaires:

  1. Holy macaroni! Un nouveau post! Sonnez trompettes résonnez haubois!! J'adore l'argument final, je vais le réutiliser si on m'accuse un jour de contredire ce que j'aurais dit quelques heures-jours-semaines-mois-années auparavant (ce que je ne fais JAMAIS, of course) ;)

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    1. Eh ouais c'est futé hein ? Ça passe encore mieux qu'un "y'a que les imbéciles qui changent pas d'avis" plein de mauvaise foi :-)

      Eh oui sinon I'm back in the game! Je travaille déjà à mes prochains billets :-)

      Merci à toi d'être revenue commenter par icitte !

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    2. Sinon c'est mignon comme juron, "holy macaroni" :-)

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  2. Brillant et drôle, as ever. Juste un truc: sur la photo, Adenauer est à droite.

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    1. @ Manu: Gloups! Merci pour la remarque! C'est corrigé :-)

      En tout cas il y en a qui font vraiment attention...

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  3. Ouais... Y en même qui lisent ton blog par pur plaisir :-)

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Un petit bonjour ?

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