L’histoire ne nous dit pas combien d’étudiantes étaient fringuées comme des pioutes dans l’assistance, mais on peut subodorer, sans trop prendre de risques, qu’en plein mois de
janvier en Ontario, l’étudiante moyenne se pointe en amphi, chastement vêtue d’un string léopard et avec deux petits triangles de tissu qui cachent pudiquement ses tétons pris de roideur dans le frimas hivernal. Normal quoi... Sans oublier bien sûr un bonnet, des moufles et des Moonboots tout de même, pour les grandes frileuses, les jours où le mercure s’effondre pour de bon. Quoi qu’il en soit, le commissaire Sanguinetti, magnifique spécimen de
«violeur compréhensif» (tout compte fait, ça n’a rien de nouveau et ça ne vient pas de sortir), passera donc à la postérité pour avoir déclenché un torrent de protestations que personne n’avait vu venir, et pour être à l’origine, bien contre son gré, d’un nouveau sport qui fait fureur dans toutes les capitales à travers le monde. Ainsi, après la
randoboue des rivages venteux de la Mer du Nord, voici la
randopouffe, dernière lubie à la mode dans nos impitoyables jungles urbaines. Et aussi sûrement que le
battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas, un aphorisme plein de sagesse prononcé devant trois pèlerins au Canada a déclenché, ce samedi, un défilé de bas résilles et de seins nus dans les rues de Berlin.
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Un petit groupe de SlutWalkeuses, en route vers le défilé, croise bruyamment le chemin de votre dévoué chroniqueur médusé, samedi midi, dans les rues de Friedrichshain. |
Bref, en un mot comme en cent, la «marche des Salopes», la
SlutWalk comme on l’appelle désormais dans le monde entier, a déferlé massivement sur les rives de la Spree ce samedi! Enfin,
«déferlé massivement» est peut-être une légère exagération, n’allez pas vous imaginer une marée de blondes Walkyries en petite tenue envahissant la capitale d’un pas conquérant et toisant furieusement chaque mâle qu’elles rencontraient sur leur passage: «elles» n’étaient, selon
la presse, pas plus de 1.800 à arpenter le pavé, dans des tenues souvent délibérément provocantes. Une paille, quand on mesure cela aux centaines de milliers de gens qui se réunissent pour assister au «CSD» (la Gay Pride version allemande, un spectacle que l’on vient admirer en famille à Berlin) ou au
Karneval der Kulturen à la Pentecôte. Le succès a donc été en demi-teinte pour les
Sluts berlinoises en si l’on se contente de regarder les chiffres, mais l’opération fut en fait une réussite éclatante pour le mouvement au vu de la couverture médiatique, intense et globalement favorable, dont les manifestantes ont bénéficié, alors qu’il y avait tout de même un concurrent de taille pour occuper l’espace médiatique en ce samedi 13 août, avec la commémoration de la construction du Mur de Berlin, débutée exactement 50 ans plus tôt. Et elle s’est bien régalée, la presse, il n’y a pas à dire! Je décerne ma palme perso au tabloïd
Berliner Kurier pour son diaporama tout en nuances intitulé
Schlampenalarm in Berlin, soit dans notre belle langue,
«Alerte aux salopes à Berlin». Gloups! Allez, je leur pique une photo de leur article, histoire de donner le ton: Berlin restera toujours Berlin!
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Une participante berlinoise présente
en exclusivité la première robe de
mariée complètement invisible
Made in Hogwarts |
Je n’ai pas eu la chance de faire partie des quelques hommes qui sont allés
se rincer l’œil pépère à la manif’ soutenir les revendications légitimes de la gent féminine, n’ayant appris que bien trop tard que la manifestation allait avoir lieu: je suis tombé nez à nez avec un petit groupe de Berlinoises samedi midi; elles étaient habillées tout à fait «normalement» (au sens friedrichshainien du terme, c’est-à-dire avec un goût bien particulier, caractérisé par... son absence), et ce qui m’a mis la puce à l’oreille, ce sont les pancartes qu’elles portaient, plutôt que leur accoutrement tout sauf remarquable dans le
Kiez ou je vis. Évidemment, c’est bien ma chance, ça: les seules «salopes» que je croise sur mon chemin portent des
bottes, des
bas noirs, une
veste, et, comble de l’horreur, un
pantalon!!! Même pas un talon aiguille à se mettre sous la dent, pas même une ch’tite jupe... M’est avis qu’il y en a à qui on a mal expliqué le concept de
slut, non mais j’vous jure.
Ayant un programme bien rempli pour ce samedi où le soleil brillait enfin généreusement, je ne les ai pas suivies et les ai laissées s’éloigner, le cœur lourd. Il paraît que c’était sympa. Mais maintenant, alors que j’écris ces lignes, une question me turlupine: pourquoi ces
SlutWalks simultanées à Berlin, à Munich et Hambourg? Certes, le viol est un problème universel et doit être combattu partout. Mais au pays où le naturisme, désigné sous le vocable apaisant de
Freikörperkultur («la culture du corps libre»), a pignon sur rue, et où chacune semble avoir la liberté de se fringuer (ou pas) absolument bon lui semble et de bronzer nue au parc en pleine ville si cela lui chante, je ne suis pas sûr que les Allemandes soient vraiment concernées au premier chef par cette saillie malavisée du commissaire Sanguinetti, qui a mis involontairement le feu aux poudres et n’a cessé par la suite de battre sa coulpe et d’implorer pardon aux femmes, en se flagellant, pieds nus dans la crotte, chemise de crin sur les épaules.
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Qui a dit que la Berlinoise n'était pas sexy, hein?
À la rigueur, elle n'a pas assez vu le soleil cet été... |
En fait, en Allemagne, nombre de femmes étrangères, et parmi elles les
Françaises, se plaignent du manque d’audace des hommes, du cru trop indifférents pour les regarder, trop distants pour les aborder, trop réservés pour les draguer. Parfois, même les
Allemandes se joignent à ce concert de lamentations des amantes délaissées. Je me rappelle ce dîner avec deux amies israéliennes qui, après seulement quelques mois à Berlin, se languissaient, non pas du chaud soleil méditerranéen, mais avant tout de la drague permanente à laquelle elles étaient soumises, là-bas au pays, dès qu’elles mettaient le nez dehors, et qui leur manquait cruellement dans cet environnement teuton où la séduction se fait rare sur le pavé. Et il n’y a tout simplement pas assez de mâles français, de lovers israéliens ou de ténébreux Ritals enamourés pour satisfaire la demande... Pourtant, nous faisons de notre mieux! Avis aux candidats à l’émigration? Allez, il se fait tard, et je ne dis pas qu’il y a davantage de viols dans les pays où les hommes sont plus entreprenants, cependant j’ai comme l’impression que les femmes berlinoises ne souffrent pas d’un excès d’attention de la part des hommes, mais principalement du problème inverse.
Peut-être certaines me contrediront-elles sur ce point, mais quoi qu’il en soit, remercions encore Michael Sanguinetti: jamais jusqu’ici la parole d’un seul homme n’avait précipité des milliers de femmes en colère, et à moitié nues, dans les rues du monde entier. Total respect, monsieur le commissaire!