Mercredi, je suis allé voir l'expo Peter Lindbergh à la galerie C/O, cette superbe galerie d'art dédiée à la photographie qui va bientôt se faire expulser de ses locaux exceptionnels de l'Oranienburger Straße pour être remplacée par un hôtel de luxe bling-bling pour millionnaires vulgaires et m'as-tu-vu, genre Ray-Ban, Rolex, yacht Bolloré, t-shirt NYPD et compagnie. À vomir. Mais passons. Peter Lindbergh, savez-vous qui c'est ? Là ce serait sympa que vous répondiez par la négative, car pour moi c'était un illustre inconnu il y a encore une semaine. Eh oui, je suis nul, nul, nul en photographie. Je ne savais même pas qui était Annie Leibovitz avant l'expo qui lui a été consacrée dans cette même galerie l'année dernière. Il faut savoir reconnaître ses faiblesses dans la vie, et y faire face comme un homme.
Affiche à la station de U-Bahn Alexanderplatz |
Peter Lindbergh donc. Aucun lien avec Charles, l'intrépide aviateur américain des années 1920 et 30 aux sombres penchants pro-fascistes, comme beaucoup à son époque au demeurant. Peter, lui, est fortuitement venu au monde dans une famille allemande en Pologne occupée par les nazis en 1944... fâcheuse coïncidence, mais il n'a pas eu voix au chapitre à l'époque, le futur célèbre photographe. (Notez au passage la grossière erreur du Wikipédia français qui dit sobrement "né en 1944 à Lissa, Allemagne", du même niveau que de dire "Strasbourg, Allemagne"...) On ne pourra donc pas retenir contre lui cette faute de goût pour ses débuts dans la vie. Bref, Peter Lindbergh, vous savez, ce photographe de génie. Il a fait toute cette impressionnante série de clichés de Berlin, en noir et blanc et tout ça. Avec Klara*, cette amie avec qui je visitais l'expo, nous étions d'avis qu'il suffit de vivre suffisamment longtemps à Berlin et d'avoir du matériel photographique suffisamment bon pour prendre des clichés de qualité comparable. Bref, la série sur Berlin nous a laissés froids comme un soir de fin novembre en Allemagne. Les Parisiens béats peuvent tomber dans le panneau, à la rigueur, mais avec les Berlinois blasés ça ne marche pas.
Nous avons été bien plus convaincus par les portraits et photos de célébrités, surtout des femmes, des femmes et des femmes, dans toutes sortes de situations, en couleur, en noir et blanc, en studio, en appartement, dans la rue avec des inconnus, dans la forêt, archi-posées, complètement naturelles et spontanées, habillées, déguisées ou dénudées, des photos de tournages de films, des gros plans sur des jambes, des genoux, des mains, des seins, des séries de portraits de ses muses : une bête de scène septuagénaire connue (ou pas) sous le nom d'Anouschka, quelques mannequins allemands, que bien sûr je ne connaissais pas, tels que Tatjana Patitz, Nadja Auermann et beaucoup d'autres dont les noms me passent à cette heure tardive. Certaines photos donnaient vaguement cette impression désagréable de "je photographie mes potes et j'expose car je suis célèbre", mais tout de même il y avait un bon paquet de portraits émouvants et indéniablement artistiques.
Ah, ai-je dit qu'on n'avait bien sûr pas le droit de photographier ? J'ai tout de même bravé l'interdit et pris quelques photos à la dérobée, au péril de ma vie. L'éclairage des salles était spécialement étudié pour faire en sorte qu'il soit impossible d'admirer une œuvre sans voir en même temps le reflet des autres portraits présentés alentour. Mais j'ai trouvé ces superpositions de photos assez intéressantes car d'une certaine manière elles déformaient notre regard sur la photo seule.
Milla Jovovich et cette autre femme blonde (qui est-ce, déjà ?) |
Les silhouettes derrière sont un reflet... |
Les deux mêmes photos après inversion de la perspective |
Double reflet dans cette photo |
La galerie C/O, c'est vraiment l'art façon Berlin. Ici, à l'étage, la série de portraits pris dans les rue de New-York s'affiche sur un terrain de basket-ball.
Et voilà, c'est tout ce que j'ai réussi à prendre ! Il faut dire que j'ai été fortement dissuadé de prendre plus de photos par mon amie Klara, qui n'était pas du tout d'humeur rebelle ce soir-là.
Après nous être repus de culture, nous nous sommes remis de nos émotions avec Thimo*, un ami de Klara, au restaurant français Nord-Sud, sur Auguststraße. Avec la corbeille de pain s'il vous plaît ! Vous en France, vous ne vous rendez pas compte de ce que ça fait d'avoir enfin droit à une corbeille de pain au restaurant à Berlin. La 1664, la bière Jenlain (qui même en France est difficile à trouver, mais cela s'explique car le chef est un Ch'ti, un vrai, de Valenciennes), le Beaujolais nouveau... et les prix berlinois : entrée, plat et dessert pour 7,50€ à l'heure du dîner ! Imbattable ! Et dire que c'est seulement la deuxième fois que j'y vais en deux ans ! Ah mais c'est que le choix ne manque pas ici, tout compte fait.
C'est fou comme ces petites choses nous manquent ! |
L'exposition Peter Lindbergh est à C/O jusqu'au 9 janvier. 10 € le billet pour environ deux heures de visite.
Le restaurant Nord-Sud est ouvert tous les jours sauf le dimanche, à Auguststraße 87, jusqu'à son inéluctable éviction par des méchants capitalistes blafards aux canines crochues et aux yeux injectés de sang, comme tout ce qu'il reste de bien à Berlin-Mitte.
Wouhou, quatre heures de sommeil avant le réveil ! Allez, au dodo !
*Les noms ont été changés