Autrefois, il y a fort longtemps, une époque si reculée que même la vénérable Mathusaline était encore trop jeune pour vendre des légumes au marché du Parc Floral, une faune sauvage, particulièrement massive et intimidante parcourait en toute liberté les forêts, les montagnes et les vallées de notre bonne vieille Europe, au péril des voyageurs aventureux qui s’y hasardaient imprudemment. Il suffit de lire les grands classiques (ou juste une page Wikipédia parce que bon, faut pas charrier non plus) pour s’en assurer. Ainsi, Tite-Live et Pline l’Ancien narrent avec force détails l’épopée d’Hannibal franchissant les Alpes à la tête de sa redoutable armée carthaginoise montée à dos d’éléphant, et Hérodote, lui, pimente ses récits des guerres médiques en y incluant des anecdotes cocasses où des meutes de lions, alors communs dans tous les Balkans, se mêlent de la partie, semant la confusion parmi les belligérants et terrorisant tout autant les guerriers grecs que les armées perses. Ambiance slapstick garantie. Et parmi nos classiques, n’oublions pas, bien évidemment, l’invention involontaire de la corrida par Astérix aux arènes d’Hispalis, où l’impitoyable gouverneur romain l’avait condamné à se faire encorner et piétiner à mort par un aurochs furieux, un énorme taureau sauvage alors très répandu sur tout le continent. Bref, à l’époque, on ne rigolait pas avec les grosses bêtes.
Depuis, les choses ont bien changé. Les fauves cruels du temps jadis, pourchassés sans merci par des populations peu soucieuses de préservation de la biodiversité, ont lentement disparu du paysage, et laissé la place à une faune nombreuse, grégaire et considérablement moins agressive (encore que sur ce dernier point, il y ait débat) : de vastes troupeaux de gnous. Et les gnous, c’est nous. La semaine dernière, à l’occasion d’un court séjour à Rome, j’ai pris conscience, que dis-je, j’ai été abasourdi, et presque asphyxié, par la nature essentiellement gnouesque de l’humanité.