samedi 31 mars 2012

Les gnous du Capitole (1)

Autrefois, il y a fort longtemps, une époque si reculée que même la vénérable Mathusaline était encore trop jeune pour vendre des légumes au marché du Parc Floral, une faune sauvage, particulièrement massive et intimidante parcourait en toute liberté les forêts, les montagnes et les vallées de notre bonne vieille Europe, au péril des voyageurs aventureux qui s’y hasardaient imprudemment. Il suffit de lire les grands classiques (ou juste une page Wikipédia parce que bon, faut pas charrier non plus) pour s’en assurer. Ainsi, Tite-Live et Pline l’Ancien narrent avec force détails l’épopée d’Hannibal franchissant les Alpes à la tête de sa redoutable armée carthaginoise montée à dos d’éléphant, et Hérodote, lui, pimente ses récits des guerres médiques en y incluant des anecdotes cocasses où des meutes de lions, alors communs dans tous les Balkans, se mêlent de la partie, semant la confusion parmi les belligérants et terrorisant tout autant les guerriers grecs que les armées perses. Ambiance slapstick garantie. Et parmi nos classiques, n’oublions pas, bien évidemment, l’invention involontaire de la corrida par Astérix aux arènes d’Hispalis, où l’impitoyable gouverneur romain l’avait condamné à se faire encorner et piétiner à mort par un aurochs furieux, un énorme taureau sauvage alors très répandu sur tout le continent. Bref, à l’époque, on ne rigolait pas avec les grosses bêtes.

Depuis, les choses ont bien changé. Les fauves cruels du temps jadis, pourchassés sans merci par des populations peu soucieuses de préservation de la biodiversité, ont lentement disparu du paysage, et laissé la place à une faune nombreuse, grégaire et considérablement moins agressive (encore que sur ce dernier point, il y ait débat) : de vastes troupeaux de gnous. Et les gnous, c’est nous. La semaine dernière, à l’occasion d’un court séjour à Rome, j’ai pris conscience, que dis-je, j’ai été abasourdi, et presque asphyxié, par la nature essentiellement gnouesque de l’humanité.

mercredi 21 mars 2012

Trouble de l’élocufion

«Meine Mitte?
– OK, deine.
– Seid ihr fertig da drüben? Dürfen wir mal spielen?
– Jaaa.
– Na los!»


(«Je défends le centre.
– OK.
– Vous êtes prêts là-bas ? On peut y aller ?
– Ouiiii.
– Alors c’est parti !»)

Boum. Pim-pam-poum. Vlan ! «J’ai !» Tap-tap. Bam et rebam ! Plopffffff...

mardi 20 mars 2012

La DDR en DDélire de Gundula Schulze Eldowy

Le mois dernier, je vous fis la promesse de vous infliger régaler d’un double billet à propos de la double expo photo organisée à la galerie C/O. N’allez pas vous imaginer que j’avais oublié et que vous alliez y échapper, bande de chenapans... J’ai encore toute ma tête, quoi qu’on die !

La célèbre galerie de l’Oranienburgerstrasse s’était donné la peine d’expliquer à ses visiteurs qu’elle avait choisi d’organiser la rétrospective «Ron Galella, Paparazzo Extraordinaire» en hommage à la 62ème Berlinale qui se tenait au même moment. Pas un mot, en revanche, sur les raisons du choix qui a été fait d’exposer simultanément une centaine de clichés pris tout au long des années 1980, à Berlin et ailleurs en RDA, par la jeune photographe est-allemande Gundula Schulze Eldowy.

"Berlin 1987" de la série Der große und der kleine Schritt

jeudi 15 mars 2012

Mars : «L’Hôtel de Glace»

Saperlipopette ! Déjà le 15 mars ! Eh bien à midi pile heure de Nogent-le-Rotrou, des millions et des millions de blogueurs francophones partout à travers le monde publient La Photo du Mois. Le thème du mois de mars, choisi par Blogoth (je crois) est «Glace».

Au moment où le thème a été annoncé, début février, nous grelottions de froid et le choix semblait tomber sous le sens. Un mois après, alors que les bourgeons font enfin leur apparition et que les jours s’allongent, difficile de se replonger dans les clichés d’hiver. J’ai donc décidé de faire totalement l’impasse sur mes 928 photos de Berlin pris dans les glaces et de proposer quelque chose de complètement différent.

jeudi 8 mars 2012

Sales porcs phallocrates !

L’autre jour, alors que je prenais connaissance des dernières conneries infos vachement importantes publiées sur la page de discussion d’un forum de Français à Berlin dont je suis membre, voilà-t-il pas que je tombe sur un ce lien posté par un autre membre, claironnant sous les vivats de la foule en délire, le scoop suivant : «Allemagne : Une pasteure en couple avec une secrétaire d’État annonce sa grossesse [Munich And Co, Bild]». Comme si cela ne suffisait pas, une courte dépêche enfonce le clou, au cas où, comme moi, vous auriez naïvement cru à une faute de frappe multiple dans le titre :
“Eli Wolf, 46 ans, pasteure protestante à Francfort, et Marlis Bredehorst, 55 ans, secrétaire d'Etat à la Santé du Land de Rhénanie du Nord-Palatinat, du parti écologiste allemand (die Grüne), en couple depuis 1997, attendent un enfant, ont-elles annoncé à Bild. Et, expliquent-elles, cette annonce a été saluée par des félicitations jusqu'au sein de leur église. Sur Munich and Co [fr] et Bild [de].
À la vue de cette horreur contre-nature, mon sang n’a fait qu’un tour. Oui, chers gens, vous ne le saviez peut-être pas, mais j’ai, et j’assume, mon côté conservateur-tradi-old school. Je le cultive comme mon petit jardin secret, mon dark side rien qu’à moi. C’est comme ça, on ne se refait pas. Et j’ose même espérer que certains d’entre vous feront preuve d’un minimum de bon sens et partageront sans réserve mon avis : que deux femmes autour de la cinquantaine décident d’avoir un bébé ensemble, soit, parfait, très bien, rien à redire, il faut vivre avec son temps, et touça touça, mais alors oser écrire «une pasteure» !!! Aaaaarrrrrggghhhh ! Naaaaoooonnnn ! Pitié ! Assurément, implorai-je le Ciel avec la ferveur qui sied à l’intégriste aux abois, il existe un enfer pour châtier dans d’éternels tourments les coupables de péchés aussi ignobles contre la langue de Molière !

mardi 6 mars 2012

La Gazelle et les colonies

«Gazelle !»

Pendant un quart de seconde, le mot résonne dans mes oreilles comme un écho lointain, un appel silencieux, un murmure assourdissant. Mais non, je ne rêve pas, quelqu’un m’a effectivement interpellé en disant «Gazelle !». Un autre quart de seconde passe, durant lequel mon cerveau ultra-rapide produit le raisonnement suivant :

1. Je ne suis pas sur une allée bruyante et parfumée du souk de Marrakech mais sur un trottoir enneigé et presque désert du Boxhagener Platz, par un triste après-midi d’hiver. Cet arôme qui flotte dans l’air, ce n’est pas du cumin ni du safran, mais les vapeurs épicées du Glühwein.
2. Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas le profil-type des touristes blondes à forte poitrine à qui cette gracieuse épithète est habituellement lancée par des vendeurs de narguilés en djellaba ou par d’aspirants Casanovas wesh-wesh adossés oisivement à un mur de la médina. Même affublé d’un lapin mort en guise de couvre-chef et engoncé dans un épais manteau, malgré la lumière déclinante, il n’est pas possible de me prendre pour une Anne-Camille en goguette en Musulmanie.
3. En fait, quand on y pense bien, l’inconnu a distinctement prononcé «gatselleuh», à l’allemande, bien comme il faut (ou pas) (enfin, je me comprends).

Bref, en un mot comme en cent, what the hell is going on?

samedi 3 mars 2012

Révélation au centre du monde

Au petit matin à Friedrichshain... Le ciel nous gratifie d’un temps typiquement berlinois : gris et venteux à souhait. Beurk. De noires corneilles et des pies insolentes croassent sur les branches dénudées d’un grand marronnier majestueux. Un faible crachin s’ajoute à l’équation météorologique du jour. Beurk et re-beurk. Un coup d’œil par la fenêtre suffit à me passer l’envie d’aller au bureau à vélo ce matin. Trente minutes à pédaler plein ouest, à m’escrimer contre ce satané vent de face, à éponger la bruine de mon visage ? Nein, danke. Je quitte mon appartement, descends quatre étages avec l’enthousiasme d’un Thésée s’engouffrant dans les enfers. Au rez-de-chaussée, j’évite ostensiblement le regard lourd de reproches de ma bicyclette qui m’attendait comme chaque matin.

Il fallait bien s’y attendre : mon fidèle destrier ne comptait pas s’avouer vaincu si facilement. C’est un battant, mon Holland-Rad, il n’est pas né de la dernière pluie. Et il a son côté possessif parfois. «Minute, papillon, me tance-t-il vertement en me barrant le passage. Qu’est-ce que tu fais ? Tu t’apprêtais à partir sans moi ?» Penaud, je sors mon joker : un abonnement deux zones au réseau de la BVG (dites “Béfaougué”), la RATP de la Hauptstadt.
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