vendredi 16 août 2013

Beauté de Berlin: la Badekultur dans la Hauptstadt

« Du kommst aus Frankreich? Et tu viens d’où en France, si ce n’est pas indiscret ?
— Mais justement, c’est une question vachement indiscrète... Enfin bon, dans le fond ça ne me dérange outre mesure pas d’y répondre. Alors voilà : je viens de la Martinique.
La Martinique ? Kézako ?
— La Martinique. C’est une île française dans la Caraïbe. Tu vois un peu ?
Aaaach sooooooo, bien sûr ! La Caraïbe ! C’est l’une de ces anciennes colonies françaises tu veux dire ? Ein Überseedépartement ?
— Genau, mon bon Helmut. Dans le mille.
— Cool! Trop bien. Ça doit être trop beau chez toi. Et la plage, alors, ça te manque pas trop ? »
Baignade berlinoise au Kleiner Müggelsee (district de Köpenick), en juin 2013

Comment ça ? Oui, bien sûr, ce vois ce qu’ils veulent dire, ces braves gens. La Martinique, ses cocotiers, ses plages paradisiaques, ça fait rêver... Mais pourtant, des plages, il y en a aussi en pagaille à Berlin. Alors, non, la plage ne me manque pas tant que ça. L’eau divinement tiède, turquoise, et transparente de la mer des Caraïbes, peut-être. Et encore... Le bruit régulier des vagues que l’on entend d’une oreille distraite depuis la plage, assurément. Le tintement de la clochette de la vendeuse de sorbets au coco maison, ça c’est évident. Mais la plage, en soi, en toute honnêteté, non. Il y a des substituts, des ersatz, tout à fait acceptables à Berlin et alentour. Et c’est un Martiniquais qui vous le dit !

Les Allemands ont un mot bien à eux pour désigner leur manie de se mettre à l’eau pour un oui ou pour un non, avec ou sans habits, avec ou sans staphylocoque doré : la Badekultur. On peut proposer des traductions françaises correctes comme «culture de la baignade» ou «tradition balnéaire», mais je ne connais pas de vrai équivalent à ce mot en français. La Badekultur, c’est un truc de Teutons. En Australie, ils ont la beach culture, et à Berlin, on a la Badekultur. De là à dire que Berlin en été, c’est un peu Sydney sans les requins croqueurs de baigneurs, il n’y a qu’un pas, que je franchis sans avoir peur de me couvrir de ridicule.

Alors, même si le sujet est hyper-bateau et a déjà été décrit en long et en large par la blogosphère franco-berlinoise, voici un petit tour d’horizon très incomplet, en forme de top 10 (effet de mode oblige), des spots trempette à Berlinque j’ai testés, et dont vous pourrez profiter par une chaude (ou pas) journée d’été. Ou d’automne, ou d’hiver. En fait c’est comme vous voulez, finalement. Il n’est pas interdit d’aller au lac par -7 degrés un 14 janvier, après tout. Mais allons-y.

10. Pour les baigneurs très courageux, un poil inconscients, et dûment vaccinés contre l'hépatite A : le Landwehrkanal


Ces Berlinois d’un weekend se rafraîchissent gaiement dans les eaux, euh, pures (?)... du Landwehrkanal, après une folle soirée au Klub der Visionäre, en juin 2010
Frappons un grand coup pour ouvrir ce modeste benchmark maison. Il faut bien se démarquer de la concurrence après tout... Le Landwehrkanal, canal navigable long de 10 kilomètres à travers les quartiers ouest-berlinois de Kreuzberg, Neukölln, Tiergarten et Charlottenburg aux berges verdoyantes et propices à la promenade, est une voie d’eau très appréciée des flâneurs, des pique-niqueurs, des amateurs de promenade en bateau, et des patineurs en hiver. Les baigneurs, curieusement, s’y font plus que rares. Étonnant, ne trouvez-vous pas ? Après tout, quand on y pense, c’est plus ou moins la même eau qui coule dans la Spree, la Dahme, la Havel, à Wannsee, des rivières qui font, quelques  kilomètres seulement en amont ou en aval, le plus grand bonheur des troupeaux de baigneurs... Gloups.

La plupart des Berlinois se contentent
de tremper les pieds dans le Kanal
Le plus : au moins, au Landwehrkanal, on barbote tranquille et tant que l’on reste dans l’eau, on risque pas d’être embêté par la foule ! Et puis, avantage non négligeable en cette période de crise : c’est entièrement gratuit d’y piquer une tête (sauf si à la rigueur vous avez payé pour entrer au Klub der Visionäre).

Le moins : hmmm, par où commencer ? Trop dégueu ? Pas de vraie plage ? Le risque de se faire jeter, gentiment mais fermement, par les videurs du Klub der Visionäre ? Et que dire du risque de se faire assommer d’un coup de pagaie par un kayakeur en goguette ? Du risque de se faire tailler en pièces par les hélices d’un bateau-mouche de la Reederei Stern und Kreis ? De se faire attaquer par un cygne en furie ? De se faire croquer le prépuce le gros orteil par un brochet mutant ? De choper la dysenterie ?

Indice de nudité teutonne : Négligeable, mais bon on ne sait jamais. C’est l’Allemagne après tout.

Verdict : Bof. Pour un délire entre potes, c’est rigolo et forcément inoubliable. Mais sinon, je dirais nein Danke.

9. Pour les baigneurs jeunes, bien bâtis, fortement grégaires, et qui aiment se rincer l’œil : le Badeschiff


On ne présente plus cette institution balnéaire berlinoise, le célèbre bateau transformé en piscine amarré face à l’Arena Treptow.

Baignade au Badeschiff l'été dernier

Le plus : Très facile d’accès, le Badeschiff peut dépanner si vous n’avez pas le temps ou l’envie de quitter le centre de Berlin pour aller faire trempette au lac. Il propose une vraie plage de sable fin, des transats, un bar, un stand de sandwiches au poulet et de la musique électro comme en boîte. En plus, l’endroit est fréquenté par une foule de beautiful people dans la fleur de l’âge qui portent tous le même modèle de Ray-Ban. Cerise sur le Kuchen: la piscine est chauffée. On peut donc en profiter des les premières chaudes journées du printemps, là où ailleurs l’eau des lacs (ou du Kanal, si c’est vraiment votre dada) est encore bien trop froide pour la baignade.

Le moins : La baignade au Badeschiff, c’est avant tout un bain de foule ! À moins de se pointer dès l’ouverture, à 8 heures du matin, ou alors juste avant la fermeture, ou un jour de pluie diluvienne, vous avez toutes les chances de faire la queue à l’entrée de l’établissement, victime de son succès... et le deuxième effet kiss-cool : de faire la queue à l’intérieur du Badeschiff pour accéder à la piscine ! En plus, on ne peut même pas apporter son pique-nique ou sa bibine. Trop c’est trop.

Bon, après tout le monde n'a pas forcément la méchante classe non plus, au Badeschiff.

Indice de nudité teutonne : Nul. Le Badeschiff est l’un de ces rares endroits où il est strictement interdit de se baigner simplement vêtu de son bronzage. La perfection n’est pas de ce monde, hélas !

Verdict : A priori, pour bien profiter du Badeschiff, il faut un minimum d’organisation. Sinon, armez-vous de patience. Beaucoup de patience. Il y a bien mieux, moins cher et moins compliqué à Berlin pour faire trempette.

8. Pour les amateurs de formules tout-compris : le Strandbad Wannsee


La «plage balnéaire» de Wannsee est la plus ancienne des plages aménagées de la capitale, ayant ouvert ses portes au public dès 1907, sous le règne du Kaiser Guillaume II, une époque où la stricte morale prussienne voyait d’un très mauvais œil la pratique de la baignade en groupes mixtes. Les bâtiments actuels datent de 1929 et sont classés monuments historiques. Longue de près de 1300 mètres de sable fin ramené du rivage de la Baltique, c’est aussi la plus longue plage en eau douce d’Europe ! Voilà de quoi meubler la conversation chez Tante Gertrud devant votre festin de Thüringer Klöße ce dimanche.

Baignade au Strandbad Wannsee, en juin 2013

Le plus : Vestiaires dignes de ce nom, sanitaires, boissons fraîches, bière, glaces, une débauche de Strandkörbe pour se prélasser comme sur la Mer  Baltique, des terrains de beach-volley, un kilomètre de sable fin et autant d’eau pour nager, et même un toboggan («de niveau de difficulté 3 sur 5», informe-t-on le baigneur)... «Il a Wannsee, il a tout compris», serait-on tenté de conclure. De plus, ce qui me plaît avec le Strandbad Wannsee, c’est que cet établissement administré par l’autorité des Berliner Bäderbetriebe est un lieu très démocratique, une merveille de mixité sociale, où les mamas turques en quasi-burkini côtoient sans ciller les hipsters dénudés avides d’ultra-violets. Seule ségrégation en vigueur : une partie de la plage, bien délimitée par des panneaux et abritée derrière une haute barrière en bois, est réservée aux naturistes.

Le moins : Il faut aussi aimer les plages archi-bondées et le fond un peu vaseux sous ses orteils. D’ailleurs, à propos d’orteils, vous ne risquez pas de les apercevoir dès lors que vous avez l’eau à mi-mollets : l’eau, brunâtre à souhait, est bien trop trouble pour cela ! On y repêche régulièrement des détritus et des poissons morts. À partir de la fin juillet, à la faveur de la chaleur, un plancton végétal prolifère et donne à la surface de l’eau la consistance d’une soupe verte très nourrissante. Mmmh ! Ça peut s’avérer pratique, cependant, si vous avez oublié votre casse-croûte.

En cette chaude journée de juin (un jeudi je crois), premier jour des vacances scolaires à Berlin, la plage du Großer Wannsee avait connu une très forte affluence.

Indice de nudité teutonne : Élevé. Mais disons que si vous vous retrouvez au beau milieu de baigneurs simplement vêtus de crème solaire, c’est que vous l’avez un peu voulu, hein, petit polisson. On ne nous la fait pas. Ou alors, à votre décharge, il est vrai que la barrière de séparation n’est présente que sur la plage et ne se prolonge pas dans l’eau. Ainsi, il n’est pas exclu que vous tombiez nez à... nez (ou à tout autre organe) avec un nageur naturiste au cours de vos longueurs de bassin.

Verdict : Ma foi, une visite par an au Strandbad Wannsee, ça suffit largement, et de préférence en juin, avant le début de la prolifération du plancton.

7. Pour ceux qui préfèrent la baignade Ossi-style : le Seebad Wendenschloss et les plages du Langer See.


Malgré ses 11 kilomètres de long, le bien nommé Langer See (le «Lac Long» tout bêtement, faut pas chercher midi à quatorze heures) demeure un plan d’eau assez peu connu de la capitale. Il serpente tout en longueur à travers des forêts de pins aux confins orientaux du district est-berlinois de Köpenick, non loin au sud du bien plus célèbre Müggelsee (et clairement dans l’ombre de ce dernier). Comme au Großer Wannsee, on y trouve un certain nombre de clubs nautiques, de plages «sauvages» gratuites, et au moins deux plages aménagées, le Strandbad Grünau et le Seebad Wendenschloss. Rien que pour vos beaux yeux, j’ai testé la plage de Wendenschloss.

Une chaude après-midi de juillet 2013, au Seebad Wendenschloß. Il y a de la place pour tout le monde.

Le plus : Pour ceux qui habitent à l’Est, le quartier de Grünau est bien plus accessible que Wannsee. Un petit quart d’heure en S-Bahn, une courte promenade à vélo, bien agréable dans la verdure, et le tour est joué. L’endroit est nettement moins fréquenté que le Strandbad Wannsee. La petite plage de 100 mètres de long semble au premier abord bien riquiqui par rapport aux hectomètres de sable fin du mastodonte ouest-berlinois, mais en fin de compte, on y trouve plus facilement de la place. Les autres prestations de base (sanitaires, café, snack etc) sont également assurées. De surcroît, pour l’islamophobe qui sommeille en chacun de nous, sachez que l’établissement, contrairement au Strandbad Wannsee, est très peu prisé des Turcs et des Arabes de la capitale. Donc pas d’ambiance wesh-wesh, à tout le moins. Le Martiniquais que je suis faisait tache dans cette foule rougeaude purement teutonne de souche, qui lorgnait avec envie mon beau bronzage couleur café.

Le moins : Il y a beaucoup de trafic fluvial sur le Langer See qui, en définitive, n’est qu’une portion plus large de la Dahme, un affluent navigable de la Spree. Du coup, l’espace de baignade, délimité par des bouées, est très restreint. On ne vient pas au Langer See pour nager à tue-tête. Par ailleurs, l’eau du lac, couleur «Seine sous le pont Charles-de-Gaulle», fait assez peu envie, finalement.

Juste en face du Seebad Wendenschloß, le Strandbad Grünau fait jouer la concurrence

Indice de nudité teutonne : Nul au Seebad Wendenschloss (d’après mon observation empirique d’une après-midi). Très élevé sur les plages gratuites environnantes. On est, après tout, au royaume du FKK, le naturisme à l’allemande, certes en perte de vitesse auprès des jeunes générations, mais encore solidement ancré dans les mœurs est-allemandes.

Verdict : Sympa, vaut la découverte, mais peut mieux faire.

6. Pour les explorateurs de lacs complètement inconnus au bataillon : le Summter See.


Le glacier du Summter See (et des lacs avoisinants)
La commune de Mühlenbeck, juste au nord de Berlin, a beau être une ville limitrophe de la capitale, elle conserve néanmoins un caractère indéniablement rural, avec ses pinèdes, ses petits champs de blé et ses 3500 habitants bien tassés... Au lieu-dit Summt se trouve, logiquement, le Summter See, un petit lac aux rivages verdoyants et aux petites plages discrètes offrant presque un semblant d’intimité.

Le plus : Le Summter See, c’est garanti touristenfrei ! Ignoré par le Routard, snobé par le Lonely Planet, ce petit lac brandebourgeois, pourtant si proche de la capitale et facilement accessible en voiture ou en S-Bahn et vélo, n’est connu que des gens du cru. Le secret du Summter See ne se transmet que de bouche d’Alt-Berliner (Berlinois de souche) à oreille d’Alt-Berliner. Autre argument appréciable : un glacier en camionnette, assurant des rotations entre les différentes plages du coin, vient vendre ses glaces aux baigneurs, non pas une, mais deux fois par jour !

Le moins : Je n’ai peut-être pas eu beaucoup de chance, mais le jour où j’ai testé le Summter See, l’eau brun-vert sentait très fort le marécage, et un poisson d’espèce indéfinie, de grande taille et en état de décomposition avancée, montait jalousement la garde dans l’eau face à la petite plage. Aussi dissuasif pour moi qu’un crocodile à jeûn depuis la dernière lune, attendant que je lui offre mon mollet. Mais bon, ça c’est mon côté un peu chochotte, je l’avoue.

Au Summter See, on se baigne ha-bi-llé ! Dommage...

Indice de nudité teutonne : Faible à moyen. En fait, à part les habituels enfants tous nus, on s’est retrouvés plutôt entre «textiles». Mais j’attribue cette observation au hasard, un peu comme pour le poisson mort: après tout, là encore, ces petits lacs autour de Berlin sont habituellement très prisés des naturistes.

Verdict : On m’en avait dit beaucoup de bien, mais je n’ai vraiment pas été conquis par le Summter See. Dommage.

À venir au prochain numéro : la suite de ce top 10, de la cinquième à la première place. Là, il sera plutôt question de belles plages, celles grâce auxquelles la Mer des Caraïbes ne me manque presque pas ! Bon weekend estival et à très bientôt.

Coucher de soleil au Werbellinsee, dans le nord du Brandebourg, en août 2012

6 commentaires:

  1. ahhhhhhhhh quel suspens, je ne vais pas réussir à m'endormir à cause de toi !

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    1. Le remède: regarde la vidéo de Morille ci-dessous. Effet garanti! Non pas qu'elle soit soporifique en soi, bien au contraire. Mais elle chassera toute pensée négative de ton esprit, j'en suis convaincu :-)

      Sinon oui t'inquiète, ça vient la suite de ma sélection de lacs berlinois!

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  2. Berly! Que vois-je? Tu as fait un article sur les Thüringer Klöße sans faire mention de cette vidéo?? http://www.youtube.com/watch?v=qJe3cdM7f1c Est-ce possible??

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    1. Quelle perle ! Quelle trouvaille ! Je ne connaissais pas. Du fond du cœur, merci Morille ! J'ai regardé TOUTE la vidéo, jusqu'à la fin (sans même couper le son). Je peux m'endormir tranquille ce soir, bercé par la belle mélodie de cet hymne émouvant aux Thüringer Klöße.

      Les commentaires sont remarquablement sympas je trouve. Il y en a même eu au moins un pour dire "Besser als Justin Bieber"...

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  3. Le Landwehrkanal? J'ai testé, en état d'ébriété trèèèès avancé.... et euh, non, c'est vraiment crade ! Plus JA-MAIS !
    Et ça me parait loin d'être une alternative agréable à tes plages de ton Überseedépartement...

    Moi aussi j'ai fait un petit top des meilleures plages berlinoises. On a rien en commun dans le choix :)
    http://www.rainbow-berlin.com/2013/06/a-berlin-aussi-on-va-la-plage.html

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    1. Ah toi aussi? Ma foi j'avoue que je n'ai pas suivi mes potes dans leur délire. Disons qu'ils étaient tellement cuits qu'ils ont même plongé habillés, avec leur iPhone dans la poche du pantalon... génial hein? Du coup, moi je me suis contenté de faire le maître-nageur depuis la berge, en tant qu'hôte et responsable du bon déroulement du weekend...

      Très bon top toi aussi! Tu m'as bien donné envie de découvrir le Teufelssee, que je n'ai encore jamais vu. Malheureusement il y a une deuxième partie en cours de préparation, et là j'ai bien peur qu'il y ait un peu de chevauchement entre ta sélection et la mienne. Déjà la photo de plage au Kleiner Müggelsee est un petit indicateur de ce qui suit.

      Merci pour la visite et ton commentaire!

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Un petit bonjour ?

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