vendredi 1 octobre 2010

Vesterophobia

Cette semaine, je suis à Västerås, pour mon sixième séjour dans la cinquième plus grande ville suédoise, au centre du pays, enfin je ne vous apprends rien. Wouahou ! À mon arrivée l'autre soir à l'aéroport de Stockholm, les vingt petites minutes de retard de mon vol ont eu de lourdes conséquences: j'ai loupé d'un cheveu le dernier bus 866 pour Västerås. Résultat: à 23h30, par une froide nuit d'automne boréal, j'ai grelotté de longues minutes sur le vaste parvis tout en béton dans l'attente d'un taxi. Quand il a fini par arriver, à ma grande surprise, le chauffeur a accepté la course, mais à la condition expresse que je paye avant le départ car "le terminal de cartes de crédit ne fonctionne pas là-bas" ou quelque conte surréaliste de ce genre... Je savais que je me rendais dans une contrée reculée, mais pas à ce point. Je me suis donc délesté par avance de 1.430 kronor, soit la bagatelle de 160 € au taux de change actuel, et après une heure de route et 100 km à travers la forêt, me voici dans mon quasi deuxième chez-moi scandinave, bien à mon corps défendant...


À Västerås (prononcez "vesterausse"), sur les rives du grand lac Mälaren, l'ennui est érigé en art de vivre. La neurasthénie est une condition tout à fait normale voire enviable, surtout au bout de quelques dîners au Jensen's Bøfhus du coin (la sinistre version danoise de L'Hippopotamus, présente dans toute la Scandinavie), et un éclat de rire dans la rue vous attire des regards réprobateurs des passants. Les mieux disposés à votre égard, pour peu qu'ils parviennent à surmonter leur indignation bien légitime, vous rappelleront sur un ton neutre qu'un excès de bonne humeur sur la voie publique en-dehors des jours de beuverie nationale peut vous mettre en contravention avec pas moins de trois arrêtés municipaux. Ah mais c'est qu'on ne badine pas avec les règlements contre la pollution sonore, cher Monsieur. Pour couronner le tout, rire trop souvent, en plus d'être un signe évident de niaiserie, ça donne de vilaines rides à la longue. Mieux vaut être beau et triste que moche et gai.


Pourtant, ce n'est pas si mal comme endroit, loin s'en faut. Ce ne sont pas les motifs de fierté qui manquent aux habitants. Après tout, bien peu de préfectures provinciales somnolentes de par le monde peuvent s'enorgueillir d'être le berceau historique d'une chaîne de magasins de prêt-à-porter de renommée mondiale. D'ailleurs, tous ces mannequins qu’on voit dans les campagnes d'affichage à travers le monde sont des citadines ordinaires photographiées sans chichis à la sortie du lycée ou de la fac, je vous assure.


Elin et Åsa, 19 et 20 ans, étudiantes en neurobiologie cellulaire à l'université Lisbeth-Salander de Västerås,
se rafraîchissent volontiers au lac Mälaren entre les séances de TD
tout en taquinant l'objectif pendant ces moments de détente
 
Une fois qu'ils ont gagné votre respect par cette révélation sensationnelle, les Vesteriens se rengorgent et vous annoncent, au détour d'une conversation sur les avantages comparatifs des Volvo des uns et des Saab des autres, rien de moins que le scoop de la décennie : Ikea va prochainement ouvrir dans le quartier d'Erikslund le plus grand magasin de möbler du pays ! Et lorsque la nouvelle a produit son effet, et que vous commencez à peine à vous remettre du choc, l'on vous assène sans ménagement le coup de grâce : oui, ici même, à Västerås, juché au sommet du "Skrapan", ce gratte-ciel qui se dresse fièrement au centre de la ville, se trouve le plus haut "sky-bar" de tout le royaume de Suède, un phare de coolitude resplendissant tout en haut du firmament du Västmanland et bien au-delà. Ah, prenez garde, tour Eiffel, Empire State Building, Fernsehturm ! Le Skrapan, auguste excroissance post-architecturale, vous méprise en majesté.


Et puis, petite ville oblige, il y a la nature : ce lac disions-nous, certes un peu frais pour la baignade pendant les six semaines d'été, mais idéal pour de grandes randonnées autour des îles, patins à glace aux pieds, pendant la haute saison des sports d'hiver, d'octobre à mai. Mais aussi cette immense forêt de bouleaux et de sapins qui entoure la ville, une haute muraille vert sombre, élégamment rehaussée de jaune et de rouge en cette saison, qui enserre l'horizon, d'où la nécessité vitale du Skrapan, pour voir plus loin, plus de lac, plus d'îles, plus de bouleaux, et plus de sapins. Elle  


est peuplée de loups, d'ours, de lynx, et
surtout d'élans, qui, comme tant d'humains habitant cette rude contrée, ont un penchant notoire pour l'ivrognerie. Sans oublier les dernières licornes d'Europe qui, menacées de disparition en ces temps de recul de la biodiversité, y ont trouvé refuge. Saviez-vous que Charles Perrault a eu l'idée du Petit Chaperon rouge en revenant d'un pique-nique avec sa mère-grand au hameau voisin de Finnslätten ? Du moins, c'est ce que Sven-Erik, avachi au comptoir du Karlsson på Taket, sur le toit du Skrapan, que dis-je, du monde, m'assure avec aplomb après une troisième pinte de Pripps Blå lättöl.


Le lättöl, une bière pour les hommes, les vrais


En fait, le pire du pire, à Västerås, c'est qu'au bout de cinq ou six séjours, on commence à s'y faire des amis, et à y passer des moments agréables. On se surprend à trouver des côtés sympas à cette ville et un bon fond à ses habitants.

C'est décidé, l'année prochaine je m'y installe pour de bon !



Västerås au lever du jour, du 9ème étage du Skrapan,
avec le lac et les îles à l'arrière-plan.








Scène de rue, devant la gare, à l'heure de pointe

La cueillette aux champignons permet quelques trouvailles intéressantes
comme cette superbe amanite tue-mouches.
En plus du risque de tomber "nez à truffe" avec un loup...








Scène de la forêt de Västerås

A miniature stuga (traditionnel house) in Västerås, in Central Sweden. Image: Daniel Köttbullekvist
A miniature stuga (traditional house) in Västerås, in Central Sweden. Image: Daniel Köttbullekvist

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