vendredi 11 février 2011

Mapplethorpe dans ta face

Robert Mapplethorpe, 1983
Mon 69ème billet de ce blog (en comptant les brouillons, qui probablement le resteront) est consacré à l'expo Robert Mapplethorpe : quelle curieuse coïncidence. Cela est d'autant plus troublant que ladite expo est présentée à la fameuse galerie C/O, sur Oranienburger Straße, qui sera expropriée (ou peut-être pas) dans moins de 6 semaines de ses prestigieux locaux de l'ancienne Poste centrale pour faire place à un hôtel de luxe. Apparemment il resterait donc une lueur d'espoir de ce côté-là, j'ose à peine y croire... Mais à propos de 69ème post je me faisais, en rentrant, la réflexion suivante : il y a bien des petites gens qui ne verraient probablement pas d'un mauvais œil la tragique disparition de C/O et l'inauguration d'un nouvel aimant à millionnaires bling-bling et vulgaires à son emplacement, j'ai nommé les p'tites Fräulein d'Oranienburger Straße et de Monbijoupark. En effet, l'embourgeoisement effréné de cette artère centrale de Berlin-Mitte aura, à coup sûr, des répercussions majeures sur le prix de la transaction, qui se chiffrait, en octobre 2009, à 80€ l'Oralverkehr et 350€ pour un moment d'intimité totale, selon une enquête menée par votre serviteur et quelques amis passablement éméchés. L'inflation galopante, au lieu de se cantonner aux loyers des appartements des riverains pris à la gorge, gagnerait assurément les trottoirs aguicheurs du quartier, illustrant à merveille, une fois n'est pas coutume, la théorie économique controversée appelée effet de "ruissellement", au sens propre tout comme au figuré d'ailleurs. Mais tout ceci n'est que conjectures.

Le Postfuhramt, futur hôtel de luxe
Bref, hasard du 69 ou pas, la galerie C/O tire sa révérence en beauté, dans un dernier baroud provocateur, et expose Robert Mapplethorpe jusqu'à sa fermeture définitive, le 27 mars prochain. D'emblée, la longue introduction, captivante et indispensable, pose les termes du sujet : "dans les années 1970", le profane se voit-il doctement informé, "le consensus autour de la nudité s'est lézardé, et celle-ci ne se définit plus simplement en fonction de l'absence de vêtements". Vous m'en direz tant. L'œuvre de Mapplethorpe est comparée sans ambages à Olympia, ce tableau d'Édouard Manet qui a fait scandale dans la bonne société parisienne sous Napoléon III. Les conservateurs de l'exposition trouvent au photographe new-yorkais et à son illustre aîné français un point commun fondamental : celui d'avoir obligé leurs contemporains à redéfinir leur vision de la nudité. Ça commence fort. Et je dirais même plus : Mapplethorpe ne s'est pas contenté de mettre le nu et le sexe au centre de son œuvre, il a aussi mis son œuvre au centre de sexe et du nu. Vous me suivez ? 



Patti Smith
Robert Mapplethorpe était un photographe d'une remarquable constance. Son œuvre se décline en quatre thèmes : le nu, le sexe, le sexe nu, et le reste. Pardon, je persifle. Je voulais dire : les autoportraits, les portraits, les nus et les... fleurs. Le tout en noir et blanc, exclusivement. La galerie des portraits de Mapplethorpe est impressionnante, et est essentiellement constituée de célébrités.

Ayant étudié les beaux-arts à New-York dans les années 1960, il a eu l'occasion de côtoyer dès sa jeunesse un cortège de futurs stars. Son premier amour n'était autre que Patti Smith, qui est restée son amie et sa muse (d'autres disent plutôt : son amuse et sa mie, il y a deux écoles) bien après leur rupture. Toute une salle est consacrée aux portraits de Patti Smith, Patti Smith songeuse, Patti Smith boudeuse, Patti Smith et le chat, Patti Smith et le papillon... Elle aurait dit : "j'étais le principal sujet de ses photos, avant lui-même". Et toc. La collection de portraits ne s'arrête toutefois pas là : plusieurs salles leurs sont consacrés, et parmi les nombreuses célébrités on reconnaît un Andy Warhol auréolé, une Isabella Rossellini pensive, une Grace Jones tribale, une Louise Bourgeois narquoise ou encore un Kiefer Sutherland grognon.


Grace Jones, 1983
Mapplethorpe travesti

Un rien narcissique, Mapplethorpe s'est photographié lui-même, dans toutes les tenues, sous toutes les coutures, mais toujours en noir et blanc, bien entendu. Avec son Polaroid ou son Hasselblad, net ou flou, nu ou en loubard des mauvais quartiers façon années 80, en smoking ou en tenue sado-maso, en travesti ou en diable avec des cornes postiches, jeune et plein de vie ou en zombie blafard, rongé par le virus du sida qui a fini par l'emporter, à 43 ans. Après la fin de sa relation avec Patti Smith, Mapplethorpe a décidé d'assumer son homosexualité, dans sa vie comme dans son art, et n'a pas fait les choses à moitié, c'est le moins que l'on puisse dire.


Mapplethorpe et sa canne au crâne, un an avant sa mort (1988)
Mapplethorpe à 29 ans, 1975

Les natures-mortes constituent une part importante de l'art de Mapplethorpe. Il affectionnait tout particulièrement les tulipes, les anthuriums et les variétés de Canna. Toute une salle est consacrée à ces travaux. D'une photo à l'autre, les fleurs, "vivantes" mais étonnamment froides, s'observent, se parlent, se répondent.
"Deux Tulipes"
À gauche, les fleurs, à droite, le sexe : quelle porte choisissez-vous ?

Mais Mapplethorpe ne serait pas Mapplethorpe sans le nu et les photos qui choquent. On nous a vendu un Manet moderne après tout. Les sujets de ses photos de nu sont surtout des hommes, et en particulier lui-même, mais aussi tout de même un modèle féminin, une certaine Lisa Lyon, culturiste (apparemment à cette époque les femmes bodybuildeuses ressemblaient encore à des femmes) dont le visage n'est jamais montré dans l'exposition. Peut-être n'avait-elle pas un assez joli minois. On n'en saura pas plus.



La féminité de Lisa Lyon
Ces corps musclés, principalement masculins, et présentés dans des positions sculpturales, sont l'une des signatures de l'artiste. D'ailleurs, sur la fin, Robert Mapplethorpe s'est tout simplement mis à photographier des statues, cela simplifie les choses.



Et puis il y a les photos érotiques, ou pornographiques. Je dirais pornographiques. Elles sont très crues et ont énormément choqué ses contemporains par leur contenu. Je ne montrerai pas ces œuvres sur mon blog, car je n'ai pas envie de lui faire courir le risque d'être censuré par les logiciels de contrôle parental. Si vous êtes intéressés, cherchez "Dennis Speight" (un de ses modèles) sur Google, ou tout simplement "Mapplethorpe", et vous trouverez tout ce qu'il vous faut : des hommes en latex ou pas, dans toutes sortes de positions. Il affectionnait tant les modèles noirs, à une époque où c'était encore peu courant, que ceux qui n'étaient pas choqués par le caractère franchement pornographique de son œuvre l'ont accusé de blaxploitation. C'est dire qu'il ne s'est pas fait que des amis, notre vaillant photographe.


Titre d'une des photos. Il y avait aussi une intitulée "Cock and Gun",
et tout de même un grand nombre de "Cock" dans l'ensemble.

En bref, oui son œuvre avait largement de quoi choquer, aussi bien aux États-Unis qu'en Europe. L'expo berlinoise rencontre pourtant un grand succès et l'on voit dans les couloirs de la galerie C/O des familles  qui déambulent tranquillement avec leurs jeunes enfants au milieu de toute cette débauche. Ah, que c'est beau l'éducation moderne. De mon temps, il en allait autrement !


Au fait, pour mémoire, voici les deux célèbres tableaux de Manet qui ont fait scandale, cent ans avant Mapplethorpe :


Olympia
Le déjeuner sur l'herbe
Comme le faisait remarquer le texte d'introduction à l'exposition, ces tableaux qui ont tant choqué les Parisiens comme il faut en 1862 sont devenus des classiques quelques décennies plus tard à peine. Alors, Mapplethorpe sera-t-il le Doisneau des années 2030 ? Et quel sera l'artiste non conformiste de génie, le "Robouard Manetpplethorpe" des années 2070, qui s'attirera la fureur et la réprobation de ses contemporains ? Quelqu'un qui montrera des gens habillés ? Parce que vraiment, à mon humble avis de quidam pas du tout expert en la matière, il ne reste plus beaucoup de choses nouvelles à montrer en matière de nudité.  


Isabella Rossellini
Kiefer Sutherland
Andy Warhol
L'expo Robert Mapplethorpe dure jusqu'au 27 mars à la galerie C/O Berlin.

8 commentaires:

  1. Casi no necesitas ir a la exposición con este gran reportaje!! Me ha encantado :)
    *y sé que hacer esas fotos casi te cuestan la vida ;)

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  2. Gracias Cristina!
    Claro que fue una exposición muy interesante! Me inspiró mucho!
    Nos vemos :-)

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  3. Merci pour la présentation et tes impressions. A l'instar de tes photos de Lindbergh, les jeux de reflets provenant des éclairages et flashs, changent bien évidemment les lignes, textures et ombres de l'image; ce résultat de la photo de la photo ne manque pas de surprendre!
    Si en plus cette expo t'as inspiré...

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  4. C'est clair qu'on est bien obligé de composer comme on peut avec tous ces reflets, chère Sophie :-)
    Heureusement que le résultat est intéressant, enfin, pas toujours, il faut s'y reprendre à plusieurs fois !

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  5. Le C/O n'est pas exproprié.
    Il reste bien plus longtemps que vous l'écrivez.
    Quant à l'hôtel de luxe...

    Vous ferrez mieux de bien vous informer.
    Et de laisser de coté les clichés sur les méchants entrepreneurs contre la culture, pitié ! Qui a financer les expositions du C/O jusqu'ici à votre avis??!

    Thomas M.

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  6. Cher Thomas, j'étais à la galerie C/O il y a 10 jours à peine et j'ai lu en détail un très long panneau explicatif racontant en détail l'histoire de l'immeuble et de la galerie. Il était toujours question de déménagement à la fin mars. Des recherches express sur internet m'ont permis de trouver un très court article du Morgenpost qui confirme que le contrat de location de C/O expire le 31 mars, mais apparemment ils ont réussi à négocier avec le propriétaire pour rester jusqu'à fin 2012. Tant mieux, mais c'est une nouvelle très récente qui n'était pas encore dans la presse lorsque j'ai préparé ce billet (et qui ne l'est toujours quasiment pas).

    Si vous disposez d'informations privilégiées sur la négociation, j'en suis ravi et honoré que vous les partagiez avec nous. Tout ce que j'ai raconté sur l'éviction en cours, y compris sur l'hôtel de luxe planifié par le groupe israélien Elad, je l'ai trouvé dans Der Spiegel, un journal bien à droite, et j'ai mis les liens dans mon article, si vous avez lu. Par conséquent, si nous sommes mal informés, c'est le Spiegel et le reste de la presse qui en sont responsables.

    Par ailleurs, permettez que j'écrive tous les clichés qui me plaisent dans mon blog. La manière dont je l'écris ne laisse d'ailleurs aucun doute sur le fait que ce soit un cliché. Je ne crois pas avoir dit que toutes les entreprises de la terre veulent tuer la culture, je n'ai parlé que de cas bien spécifiques et des éléments accessibles au public dans la presse...

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  7. Ah, ben c'est justement ça (entre autre) que j'aime chez toi, qu'au niveau cliché ou moquerie, il y en a pour tout le monde!

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  8. Hé oui, merci JvH ! Mais bon il y a des gens qui prennent les choses plus au premier degré, surtout s'ils se sentent visés...

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Un petit bonjour ?

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