Jeudi, un ami qui vous veut du bien

Il y a quelques trucs que j’aime bien avec l’hiver berlinois. D’abord, tout le monde adooooore s’en plaindre. C’est tout simplement obligatoire : il fait froid, il fait moche, il fait moche et froid. Donc on se plaint. Quand il ne fait pas si froid que ça, eh bien c’est précisément cela le problème : il ne fait pas froid, donc ce n’est pas normal, donc tout le monde se plaint de plus belle de ne pas avoir un «vrai» hiver (et moi aussi, pour le coup). Et puis il fait nuit tôt, c’est glauque. Donc on se plaint. Puis, soudain, il fait re-froid, et la chute des températures déclenche mathématiquement un accroissement de l’intensité des lamentations  : aïe, aïe, aïe, qu’est-ce que ça caille, ouille, ouille, ouille, on se pèle les c... euh..., les cubitus, on se pèle les cubitus : «sich die Ellenbogenbeine abschälen», c’est une vieille expression brandebourgeoise, vous ne saviez pas ? Pour ceux qui me croient pas et qui rigolent, c’est pas plus crétin que «il gèle à pierre fendre» comme dicton, d’abord. Bon. Hum, hum. Pardon, j’ai perdu le fil. Où en étais-je déjà ?

Ah oui, se plaindre. Donc, disais-je : Un beau jour, fatalement, la neige finit par tomber, et là, tout le monde s’extasie de concert pendant environ 24 heures. La moitié des Berlinois informe l’autre moitié, par Facebook, qu’il neige dehors, avec force photos, smileys et points d’exclamation sur leur mur (leur Mauer quoi), au cas où les récepteurs desdits messages vivraient dans des bunkers dépourvus de fenêtres, le must troglodyte qui faisait fureur au printemps 45. Certains blogueurs inexpérimentés vont jusqu’à publier des billets et écrire des poèmes sur ce phénomène météorologique exceptionnel et inouï dans le nord de l’Allemagne, c’est dire. Puis, passés quelques jours de blanche liesse, la lassitude reprend bien vite le dessus et l’avalanche de récriminations redouble d’intensité. La neige, c’est dégueu par terre, ça rend les pavés glissants, ça cache les petites crottes qui décorent nos trottoirs, et je vous en passe. Bref, on se plaint puissance dix. Omettez de vous plaindre, et vous devenez suspect. En fait, cette déprime collective est encore plus impitoyable que la météo, et en démultiplie les effets pervers. Comme l’a dit un poète maudit :

“Là, tout n’est qu’hostilité,

Dure glace et cruauté.”

Que faire pour échapper à la sinistrose ambiante en 10 minutes chrono ? Je vous conseille de suivre ces trois étapes simples :

0. Apprendre quelques rudiments d’allemand, notamment les bases élémentaires qui vous permettront de déchiffrer un bulletin météo.

1. Vous diriger vers la station de métro la plus proche, et monter dans le premier convoi. En plus c’est chauffé.

2. Repérer les écrans de la Berliner Fenster dans votre wagon, qui diffusent infos et divertissement en boucle.

3. Ne surtout pas manquer le bulletin météo du métro ! Vous finirez alors par apercevoir ceci :

Donnerstag recht freundlich (-14° bis -8°C)
«Jeudi : temps très agréable (de -14 à -8°C)»

Là, voyez-vous, j’ai été un chouïa déconcerté. Pas par la prévision en elle-même : j’étais déjà au courant que ça allait cailler sévère, et puis on en a déjà vu d’autres par ici. Pas par les termes employés : j’ai déjà suffisamment entendu l’expression pour savoir que, même si freundlich veut dire au sens propre «aimable, amical, affable, sympa», on l’emploie parfois dans les bulletins météo pour informer l’auditeur que le temps sera agréable, calme, ensoleillé. Du beau temps quoi, mais dit de manière plus pro. Mais alors là où j’ai du mal à suivre, c’est sur la juxtaposition de freundlich et des -14°C ! 

Je tire mon chapeau à mes amis teutons, car ils ont vraiment atteint le stade ultime de la capacité à voir le verre à moitié plein. Dans le fond, les Allemands sont de grands optimistes. En ce qui me concerne, passé le seuil de la température négative à deux chiffres, la météo n’est plus du tout mon «amie», quelle que soit la beauté du ciel au-dessus de nos têtes et la douceur des rayons du soleil sur nos huit épaisseurs de vêtements ! Mais l’Allemand, qui n’est pas une mauviette, a une tout autre échelle de valeurs.

Comme je suis du genre coriace, et que j’aime bien aller au fond des choses, j’ai discuté avec des amis allemands experts en la matière, rencontré quelques météorologistes, et reconstitué pour vous l’échelle d’appréciation de la météo selon les critères teutoniques. Elle est ainsi graduée (sous réserve de temps calme et ensoleillé, bien sûr) :

– Kaiserwetter (temps magnifique, «royal», «digne du Kaiser») : au-dessus de 0°C

– Tolles Wetter (super beau temps) : de -10 à 0°C

– Freundliches Wetter (temps agréable) : de -20 à -10°C

– Nettes Wetter aber naja ein Bisschen krass (temps sympa, mais limite relou) : de -30 à -20°C

– Kaltes Wetter (temps froid) : de -40 à -30°C

– Arschlochwetter (temps de fils de pute) : au-delà de -40°C

– Hitlerwetter : qualificatif prévu pour le cas hypothétique où la température dépasse les -1933°C. Il y a encore de la marge, vu que la plus basse température jamais enregistrée en Allemagne n’est qu’un très modeste -45,9°C, dans les environs de Berchtesgaden (ah, tiens, quand on parle du loup...).

L’avantage de cette échelle, c’est qu’elle permet d’affirmer qu’en Allemagne, il ne fait presque jamais très froid en fait. Youpi ! Vive la douceur de l’hiver berlinois !

Allez, ce jeudi, tous en maillot de bain !

Mercredi 1er février 2012 sur l'Oberbaumbrücke, vers 9h du matin : il fait -11°C, la glace se forme sur la Spree, mais l'essentiel c'est qu'il fasse un temps freundlich ! Donc moi je me balade à vélo, heureux, comblé.