"Chez nos voisins français", selon l'expression chère à Jules-Édouard Moustic, les ministres offrent depuis quelques mois un spectacle navrant, où l'indignité confine à l'absurde, et s'évertuent avec un zèle surprenant à se comporter de la manière la plus déshonorante qui soit, au point que l'on en vienne à s'étonner que Michèle Alliot-Marie n'ait pas encore proposé aux autorités libyennes de bénéficier du "savoir-faire français" en matière de maintien de l'ordre, ou que le Canard Enchaîné n'ait pas encore déterré des révélations qui surpassent encore les précédentes, allez, avec un minimum d'imagination, car, comme disait un certain candidat à la présidence en 2007, "tout devient possible" : que, par exemple, "MAM" et Patrick Ollier reviennent tout juste de vacances en Libye, tous frais payés par Kaddafi bien sûr, et que les arrière-grands-parents de notre ministre en goguette, Yvonne-Adélaïde et Hercule-Théodule Marie, âgés de 138 et 150 ans (et toutes leurs dents), étaient bien entendu du voyage pour effectuer de juteuses transactions immobilières avec Hannibal Kaddafi, le sinistre fils du colonel en déroute. Mais attendons tout de même la parution du Canard de mercredi prochain avant de trop nous réjouir de ce que la France ne soit pas tombée encore plus bas avec cette fine équipe au pouvoir.
Cependant, chers compatriotes, je voudrais vous apporter un peu de réconfort en ces heures moroses : car nous ne sommes pas les seuls en Europe à ne plus supporter l'inconduite et les turpitudes de nos dirigeants, loin s'en faut. Je ne pensais même pas à Berlusconi et à ses soirées "bunga-bunga", ce serait trop facile à citer, et puis tout comme vous, je ne vis ces rebondissements consternants que d'assez loin. Bien entendu, je voulais parler du pays où je vis, l'Allemagne, qui n'est pas épargnée par des polémiques surgissant çà et là, ridiculisant des politiciens peu scrupuleux et qui, dans certains cas, l'ont bien cherché. Ce qui est dommage, c'est que ces maudits politiciens allemands ont un énorme défaut que n'ont pas les nôtres : ils sont beaucoup moins combatifs que le premier Iznogoud UMPiste venu, et en général, si les preuves sont accablantes, ils battent très vite en retraite et admettent leurs torts pour clore la polémique au plus tôt, au lieu de s'enfoncer davantage dans la fange, feignant l'indignation, clamant leur innocence, hurlant au complot et jurant sur la tête de leur vieille mère qu'il y a un "malentendu".
Margot Käßmann s'était opposée à Guttenberg à propos de l'intervention allemande en Afghanistan. Un montage photo prémonitoire signé Deutsche Welle. |
"Devons-nous retenir un nom pareil ?" demandait Bild, qui rechigne toujours dès qu'il est question de faire le moindre effort intellectuel. |
Mais très vite, les moqueurs se sont tus, les chiens ont aboyé mais le carrosse est passé : Karl-Theodor zu Guttenberg a conquis les cœurs d'une nation éblouie, aveuglée même. L'Allemagne est tombée sous le charme de son ministre de l'Économie. Il faut dire que ce ne sont pas les arguments qui manquent : finalement, être aristo en Allemagne, c'est loin d'être aussi rédhibitoire que dans un certain pays voisin où l'on a autrefois débité de la tête de gentilhomme à la douzaine. Et puis, "KT", comme on se surprend à le surnommer affectueusement, en plus d'être aristo, il est jeune, devenu ministre à 37 ans, c'est presque un gamin dans une Allemagne à la tête grisonnante. Il est jeune et cool, c'est "le baron von Cool", avec ses cheveux toujours impeccablement gominés, et sa chemise parfois entr'ouverte, résolument cool. Bill Murray n'a qu'à aller se rhabiller, George Clooney peut nous lâcher avec son Nespresso à deux balles : il y a un ministre allemand dix fois plus cool que les deux réunis, et il a un vrai criminel de guerre dans sa famille par alliance, lui. Ha ! Il leur a bien damé le pion. Le sommet du "KT-chisme" a été atteint (ou le fond a été touché, selon votre point de vue) lorsqu'il a été très sérieusement comparé à un Obama allemand ! Là je dois vous avouer que j'ai perdu le fil du raisonnement... Mais, comme aiment à dire les Anglais, cherchez la femme. KT ne serait pas aussi populaire s'il n'était pas souvent vu en compagnie d'une blonde pulpeuse au sang bleu tout comme lui, son épouse, une certaine comtesse Stephanie von Bismarck-Schönhausen. Rouvrons une parenthèse Stéphane Bern : la comtesse est, vous l'auriez deviné, une descendante directe du fameux chancelier Otto von Bismarck, et une Bavaroise bon teint, ce qui ne manque pas de sel puisque son illustre trisaïeul était un Prussien pur jus qui a bâti l'unité allemande au profit de la Prusse protestante et sur le dos de la catholique Bavière... Parenthèse Stéphane Bern refermée.
Karl-Theodor et Stephanie se sont rencontrés, à l'été 1995, non pas au bal des débutantes, ni dans une soirée "rallye" dans le 16ème, car ce n'est pas cool, mais... à la Love Parade à Berlin ! Et ça, c'est vachement cool. Depuis, le couple s'est assagi, s'est calmé sur la techno et sur l'ecsta, et a connu une ascension fulgurante. À l'image de la comparaison débile avec Obama plus haut, les médias n'ont pas tari d'éloges obséquieux et d'épithètes douteuses pour désigner ce couple bien assorti : les "Guttenberg en majesté", les "Kennedy allemands", tout est bon pour glorifier le couple glamour de l'année 2009-2010.
Lorsque, fin 2009, Guttenberg devient ministre de la Défense, un poste casse-pipe, on s'attend à ce que sa popularité en prenne un coup, et nombreux sont ceux qui se frottent les mains par avance à l'idée de le voir tomber piteusement de son piédestal. Mais il n'en est rien : malgré les bavures à répétition commises par l'armée allemande en Afghanistan, et quelques autres fâcheux dossiers qui s'accumulent, KT reste une icône stratosphérique. Fin 2010, dans une opération comm' tellement éhontée que même Sarkozy hésiterait à monter, il effectue une visite en Afghanistan, emmenant dans ses bagages quelques journalistes complaisants et sa sublime épouse. Les ficelles sont un peu grosses, et la polémique met bien quelques semaines à se résorber : il s'est trouvé quelques grincheux pour trouver que cette "trivialisation" et cette "glamourisation" du conflit dépassaient les bornes, sans parler du surcoût pour ces radins de contribuables allemands. Mais les contribuables allemands, une fois que les tabloïds, Bild en tête, leur ont pondu quelque mièvrerie soulignant le courage de la belle princesse, la seule femme — et quelle femme ! — qui ne soit pas ensachée dans une burqa à 500 kilomètres à la ronde, au milieu de barbus mal léchés, ont vite fait de se ranger, une fois de plus, du côté du baron qui semblait vraiment indestructible.
Pourtant, depuis dix jours, rien ne va plus pour Karl-Theodor zu Guttenberg. Qu'a-t-il donc fait de si répréhensible, le baronneau ? Eh bien cette fois, il semble qu'il soit vraiment allé trop loin. Tout a commencé en milieu de semaine dernière, lorsque l'université de Bayreuth annonce qu'elle soupçonne le ministre d'avoir plagié plusieurs travaux pour compléter sa thèse de droit, soutenue en 2007. Les accusations se retrouvent immédiatement dans la presse, enveloppées de conditionnels et de précautions langagières. Le ministre, lui, nie en bloc des accusations qu'il qualifie d' "absurdes". Mais chaque jour qui passe apporte son lot de corroborations aux soupçons. Le baron von Cool reconnaît alors qu'il a pu "oublier" de citer correctement certaines de ses sources, mais que la thèse sur laquelle il a travaillé d'arrache-pied pendant sept ans reste un travail personnel. Toutefois, après une entrevue avec la chancelière Merkel, il annonce qu'il renonce "temporairement" à son titre de Docteur, le temps que l'université de Bayreuth tire au clair son cas. Le public se passionne pour l'affaire, de nombreux volontaires recherchent méticuleusement les passages copiés. La crédibilité de celui qu'on surnomme déjà "Dr Copier-Coller" ou "Dr Googleberg", est désormais proche de zéro sur ce dossier. De mauvaises langues vont jusqu'à insinuer que même "son titre de baron" n'est pas le résultat de son propre mérite, mais un simple cadeau hérité de sa famille. Où les gens vont chercher des choses pareilles, on se le demande ! Lorsqu'au début de la semaine, on annonce que près de 70% du contenu de la thèse de droit (eviron 270 pages sur 400) est plagié, le ministre rend gorge : il renonce définitivement à son titre de docteur, dont l'université l'a officiellement déchu, hier.
Le code-barre de la vérité : 68,7 % de plagiat dans la thèse de Guttenberg ! |
En une semaine à peine, c'était donc plié : Karl-Theodor zu Guttenberg n'est donc pas plus docteur en quoi que ce soit que Jean Sarkozy. La bataille n'aura pas duré bien longtemps, bien moins que celle de l'EPAD en tout cas. Ce qui reste à savoir, c'est si le ministre de la Défense démissionnera de ses fonctions. Cela semble malheureusement peu probable : il n'est pas fait du même moule que Margot Kässmann, qui avait estimé il y a un an qu'une erreur rédhibitoire est une raison suffisante pour que son autorité et sa légitimité soient atteintes. Mais notre bon baron catholique n'est pas un homme d'église, et ne raisonne pas ainsi : tant qu'il est populaire, ça passe. Or, de récents sondages confirment que la cote de popularité stellaire du ministre n'a pas diminué d'un iota ; elle a même encore augmenté, culminant à 73% de satisfaction !
Mais c'est bien sûr : la popularité du ministre ne devait rien à son titre de docteur laborieusement obtenu ou pas. Tout ce qu'on lui demande, c'est d'être glamour, gominé, "cool" et d'avoir une belle femme. Tant que sur tous ces points, le public demeure satisfait, alors il ne devrait pas avoir trop de soucis à se faire, notre baron Von Cool !
Les Guttenberg : "Nous traversons cette épreuve ensemble !" nous dit Bunte, une sorte de Voici local. |
J'ai choisi exprès d'écrire "Kaddafi", mes amis arabes m'ayant dit que "Kadhafi" est incorrect. D'ailleurs toute la presse étrangère écrit toujours "Gaddafi" ou "Qaddafi".
Sept ans pour plagier?? lol il pensait que le facteur temps lui aurait donné de la crédibilité???
RépondreSupprimerQuoiqu'il en soit, cette affaire peu honorante pour lui, le droit et les vrais chercheurs,reste légère,voire rafraîchissante!
Aucune comparaison possible avec les affaires françaises du moment, qui, à une autre époque auraient eu des qualifiants très appropriés.
Très bon résumé de l'affaire. Mais tu oublies de dire à quel point le titre de Doktor est important en Allemagne: dès qu'on est Doktor, on le fait écrire sur sa carte d'identité, sa boîte aux lettres, sa carte visa... c'est presque aussi prestigieux que d'être un "von", sans parler du "zu"!
RépondreSupprimerEt puis que KT démissionne ou non, l'histoire n'est pas pour autant terminée: il va y avoir un procès, parce que quand on écrit un doctorat, on signe une déclaration qui dit qu'on a tout écrit soi-même, et les fausses déclarations sont poursuivies d'office, ou un truc comme ça. Enfin, ce n'est pas fini, c't'affaire!
Pis bon, sa cote de popularité démontre bien le mauvais goût des Allemands en matière de coupes de cheveux!
Hé oui, 7 ans pour plagier, c'est fou hein ? Mais en même temps, il était aussi député au Bundestag et faisait d'autres trucs à côté, alors bon la thèse... il a "sous-traité" en quelque sorte.
RépondreSupprimerComme dit JvH, les Allemands y attachent une importance assez hallucinante aux diplômes... Je voulais aussi parler de cet aspect mais en effet, au bout du compte j'ai oublié de l'inclure : le doctorat qui sert à flatter l'ego. Pas mal hein ? Bah du coup les gens y z'auront qu'à lire les commentaires ! Quant au procès, on verra bien ce que ça donnera. Je n'avais pas pensé que ça finirait en procès mais c'est clair que la fausse déclaration, ça va chercher loin !
Et Alexandre, oui je suis d'accord avec toi, les figures publiques et politiciens allemands sont vraiment petits joueurs par rapport à leurs homologues français en matière de scandales et de polémiques. Ici l'affaire du diplôme est grave, mais semble avoir assez peu de conséquences, ce qui est étonnant. Pour l'instant, comme dit JvH, ce n'est que le début. Globalement les trucs hallucinants comme on voit en France, j'ai vraiment du mal à imaginer qu'un politicien puisse y survivre ici...
RépondreSupprimerEt voilà, c'est chose faite, une bonne douzaine de jours après les révélations du Süddeuschte Zeitung, Guttenberg vient de donner sa démission. C'est pas mal joué au fond, puisque qu'il démissionne après que le plus fort de l'orage a passé en donnant l'impression d'avoir tenu vent debout contre l'infamie mais forcé à plier en définitive contre les coups de boutoir d'un destin impitoyable. Et rude est la fortune, en effet. Car pourvu d'un nom, d'un titre et d'un physique qu'on s'accorde à trouver avantageux, il est entendu que c'est du seul fait de son talent qu'il ne tarda pas à monter, vite. Gageons que c'est l'honneur meurtri mais la tête haute et pleine d'ambitions que notre baron va s'afficher en Une de Das Bild dans les prochains jours. C'est qu'il est, à n'en point douter, une victime du système de production des élites allemandes... Tout comme le peuple d'ailleurs qui nourrit une commune défiance avec la noblesse terrienne pour l'exactitude de quelques notes en bas de pages et autres vétilles académiques parfaitement superflues en ces temps de crises, de guerres et de révolutions tous azimuts. L'homme se réserve donc pour les élections de 2013 et ne manquera pas de faire fuctifier, en temps et en heure, la place de martyr qu'il occupe dans le coeur de 70% d'allemands qui continuent à trouver très belle la photo d'un Guttenberg en Kennedy allemand entichée d'une Sarah Palin de haute lignée. A moins que... à moins que l'université de Bayreuth lui demande de rendre des comptes par le menu et que la déconfiture soit totale... et le larcin (faux et usage de faux) nommé et attesté.
RépondreSupprimerHé oui, il est tombé. Je ne sais pas comment Bild va réagir, je ne suis pas assez fin pour faire un bon pronostic. Tous les Allemands à qui je parlais de l'affaire cette semaine me disaient qu'il devrait démissionner, donc je ne comprenais pas du tout les sondages qui paraissaient et le montraient toujours largement soutenu par l'opinion. L'université de Bayreuth ne sort d'ailleurs pas grandie de cette affaire !
RépondreSupprimerCeci dit, une fois de plus l'intégrité des politiciens allemands m'impressionne, du moins, si on les compare à nos politiciens franchouillards. Il a fallu 2 mois de sordide polémique pour dégager MAM, c'est tout de même dingue !
C'est que nos ministres français ont les épaules très larges: ils sont "responsables". Or être responsable c'est assumer, et assumer de nos jours c'est rester en poste et s'entêter à ne pas démissionner. C'est là toute l'astuce: par un tour de passe passe linguistique, il est devenu irresponsable de démissionner. Et démissionner est devenu un verbe employé à la forme passive: on est démissionné. De même, faire son mea culpa, c'est reconnaître avoir mal été compris... ça ne mange pas de pain en effet. Je reconnais volontiers que l'Allemagne donne là encore un meilleur exemple et le demi aveu de Guttenberg contraste fortement avec le déni et demi de MAM. Mais, je peux fort bien imaginer un retour triomphant de Guttenberg grandit par l'épreuve, mûri et prêt conquérir de nouveau une opinion allemande, qui ne demande que ça...
RépondreSupprimerAh oui, ils sont forts en sophismes nos ministres ! Ça au moins c'est un talent qu'il faut leur reconnaître. Quant à un éventuel retour du baron, pourquoi pas après tout, car comme on dit, "faute avouée, à moitié pardonnée". Rien n'exclut qu'il reviendra sur le devant de la scène après une longue traversée du désert. Il avait péché par orgueil, il a appris une sacrée leçon, et si le peuple allemand est prêt à lui faire confiance à nouveau dans quelques années, et qu'il fait un boulot correct, eh bien pourquoi pas après tout. Dans 10 ans ils seront moins beaux, moins jeunes et moins glamour les Guttenberg, alors il leur faudra recourir à d'autres artifices pour séduire l'opinion !
RépondreSupprimerEn France, on a bien Fabius, qui était 1er ministre pendant l'affaire du sang contaminé et fait encore de la politique, on a bien Longuet qui n'est pas définitivement sur la touche, et pire, on a un condamné récidiviste au gouvernement...