lundi 30 mai 2011

Les portraits de Margarita Broich en coulisse

À quoi ressemblent vos acteurs préférés en coulisse, épuisés, dans l'intimité de leur loge, juste après le tomber de rideau, pendant ce moment où les applaudissements du public résonnent encore dans leurs oreilles et où le niveau d'adrénaline redescend doucement ? Vous ne vous étiez jamais posé la question ? Moi non plus, je dois dire, mais l'expo photo Wenn der Vorhang fällt (“Quand tombe le rideau”), de l'actrice et photographe de théâtre Margarita Broich, jusqu'à ce soir, 22h, au Martin-Gropius-Bau, (oui oui, le même dont je parlais hier) suffit à convaincre que cette question est tout à fait pertinente.
Après une représentation d'une production de Christoph Schlingensief en 2001, je suis arrivée dans ma loge, barbouillée de faux sang, et ce que j'ai vu dans le miroir m'a profondément troublée. Je crois que cela m'a inspiré le projet de saisir cet instant particulier, cet entre-deux dans lequel des collègues avec qui j'ai été en tournage ou sur scène se trouvent, juste après une représentation.
C'est avec ces mots que Margarita Broich décrit pourquoi elle a commencé à tirer le portrait de ses collègues acteurs, en fin de représentation ou de tournage. L'exposition, entièrement gratuite, nous permet d'admirer soixante clichés grand format d'acteurs principalement allemands et peu connus en France, mais pas seulement. Les acteurs, qui portent encore leur costume et leur maquillage, ont un regard étonnamment vide que nous ne sommes pas habitués à voir chez ces personnages que l'on nous montre glamour en toute circonstance. La transition entre le monde fantaisiste de la fiction et le monde réel où ils redeviennent de simples mortels, se lit dans ces yeux fatigués, ces visages fermés et ces accoutrements soudain devenus grotesques dans cette antichambre de la réalité.

Isabelle Huppert dans Un tramway, de Krzysztof Warlikowsky
au Haus der Berliner Festspiele en novembre 2010 - J'y étais !

Bon, quand j'ai vu l'expo il y a déjà deux mois, j'ai pris tout plein de notes dans mon calepin pour faire un article bien comme il faut. Et là, j'ai beau chercher, plus de notes nulle part. Dommage, du coup je vous mets les photos sans commentaires, car vraiment je ne reconnais plus personne (à part bien sûr Margarita Broich elle-même, Kate Winslet et John Malkovich)... Si vous êtes fortiches en théâtre allemand, vous pourrez compléter.

L'expo se termine ce soir à 22h, est gratuite et un peu plus intéressante que celle du MoMA. Accourez-y toutes affaires cessantes !

Un brave monsieur dans son bain...
Yes! J'ai retrouvé le nom ! Christiane Hörbiger en train de se faire un lifting en coulisses.
C'est moins cher qu'à la clinique.
Margarita Broich: le cliché par lequel tout a commencé. Et c'est vrai qu'elle a l'air sonné.
Le grand John, qu'on ne présente plus.
Maintenant, il faudrait retrouver dans quelle pièce il a joué dans cette tenue
Une photo de Kate Winslet, même avec un méchant reflet, ça ne peut pas être mauvais
pour mes stats de fréquentation...
La méga-star autrichienne Sophie Rois juste après Ein Chor irrt sich gewältig,
grand succès de la Volksbühne en 2010, que j'ai vu, mais hélas
pas vraiment apprécié vu mon niveau d'allemand encore bien trop faible...
Qui sont-ils ? je suis sûr qu'ils sont super connus...
Vous ne pouvez pas savoir à quel point c'est frustrant. SVP, balancez les noms !
Je crois qu'ici c'était la troupe du Berliner Ensemble
Et là, la Amanda Lear allemande sans doute...
Un autre tout barbouillé... c'était du propre cette pièce.

Muttertag

Vivre à l'étranger, c'est prendre tout un tas de risques, calculés ou non. Mais de tous ces pièges sournois qui ne demandent qu'à happer l'émigré étourdi, le plus dangereux, et le plus inattendu aussi, est sans aucun doute le risque de louper la fête des Mères, qui bien sûr ne tombe pas le même jour en Allemagne et en France. Cette année, le Muttertag a été bruyamment célébré le 8 mai, sans doute pour avoir quelque chose à fêter en cette date qui sinon passe entièrement inaperçue dans le calendrier teuton, alors que le reste de l'Europe est en liesse (allez savoir pourquoi). Alors bien sûr, quand toute l'Allemagne fête ses mamans, l'espace d'une seconde j'angoisse et je me dis que je dois appeler en toute urgence ma mère adorée, qui n'est pas du genre à pardonner ce genre d'oublis, preuve suprême de l'ingratitude de sa progéniture. Et puis non, bien sûr, je me rappelle que la fête des Mères ne pourrait pas se télescoper avec la fête de l'armistice. Alors, l'alerte étant passée, je pousse un soupir de soulagement et vaque à nouveau à mes occupations.

Ce dimanche soir, horreur, je finis par me rendre compte que cet étrange logo Google qui était affiché à longueur de journée avait rapport avec la fête des Mères, qui tombe bel et bien aujourd'hui ! Enfer et damnation, j'ai encore failli oublier !

Mon vieux Google, on peut te reprocher tout ce qu'on veut,
mais cette année tu m'as bien sauvé la mise !


Par bonheur, grâce aux six heures de décalage horaire entre la Martinique et l'Europe, il était encore une heure tout à fait décente pour appeler la maison en catastrophe, au moment où chez nous les douze coups de minuit changeaient les carrosses en citrouilles et les princesses en souillons. D'ailleurs, après douze ans loin de la Martinique, je peux dire que ce décalage horaire a bien plus souvent été un avantage plutôt qu'un inconvénient. Verdict maternel : « Eh bien, je commençais à croire que tu t'étais trouvé une autre maman ». Et après que j'ai bafouillé confusément, comme chaque année, que je ne subis pas ce matraquage médiatique et publicitaire au même moment qu'elle, et que par conséquent, se souvenir de la fête des Mères à la bonne date est un exploit que seuls peuvent accomplir les enfants les plus dévoués et qui n'ont pour leur mère qu'amour et vénération : « Ah bon ? D'accord tu as une circonstance atténuante alors ». Ouf, une fois de plus je m'en tire à bon compte et avec seulement un demi-reproche fait en plaisantant.

Bonne fête Maman chérie !

dimanche 29 mai 2011

Expo Kompass au Martin-Gropius-Bau


Une affiche pleine de promesses
Jusqu'à 22h ce dimanche, vous pouvez, contre la modique somme de 12€, aller admirer les dessins du Museum of Modern Art de New York, présentés dans l'exposition Kompass qu'organise l'une des plus chouettes galeries de Berlin, le Martin-Gropius-Bau, entre Potsdamer Platz et Checkpoint Charlie, dont la façade imitation Renaissance italienne est masquée par des échafaudages. Le programme est alléchant et le label MoMA est vendeur. Mais au bout du compte, l'expo laisse surtout un arrière-goût de perplexité et de déception chez un grand nombre de ses visiteurs. Et je suis bien placé pour le dire : j'ai investi les lieux dimanche dernier avec pas moins de 10 amis, dont deux qui avaient traversé l'Atlantique la veille. Nous n'avions pas tenu compte des commentaires plus que mitigés du Berlin Équipier, nous avions considéré que l'absence de files d'attentes de plusieurs heures comme pour la précédente expo MoMA il y a quelques années à la Neue Nationalgalerie ou pour l'expo Frida Kahlo au même Gropius Bau en pleine canicule estivale était un heureux présage. Hélas, nous avons été trop optimistes. Les plus férus d'art parmi nous ont émis un verdict plutôt indulgent, et accusé l'éclairage des salles de ne pas avoir suffisamment mis en valeur les dessins exposés, leurs couleurs, etc. Mais pour la masse des individus grossiers et incultes d'entre nous (au nombre desquels je me compte), et à en croire les commentaires laissés au livre d'or, c'est surtout l'ennui qui était au rendez-vous. L'ennui et l'incompréhension devant des gribouillis fait par des artistes sur des coins de nappe, sur des cartes aériennes ou sur des supports monumentaux. En plus, il est rigoureusement interdit de photographier, et des cerbères présents dans chaque salle, dévisageant avec un air malveillant les visiteurs insatisfaits, veillent au respect de la consigne et s'assurent que pas une photo pirate de l'expo ne filtrera en-dehors des canaux officiels de communication, n'enrichira les blogs subversifs et n'ébruitera la rumeur du plus grand fiasco du Gropius-Bau de la décennie, malgré quelques noms connus comme Cy Twombly, Sol LeWitt ou Joseph Beuys.


Les restaurations viennent de commencer au Martin-Gropius-Bau. Armons-nous de patience avant de pouvoir admire à nouveau son élégante façade.

J'ai réussi malgré tout à prendre quelques photos à la dérobée, mais même ce petit jeu du chat et de la souris avec les cerbères m'a assez vite lassé. L'expo Kompass se visite en une heure maximum et vous laisse le temps de faire tout plein de choses de votre après-midi dominicale ensoleillée, comme par exemple aller à Mauerpark ou au Klub der Visionäre, dont il faudra que je vous parle un de ces jours.


Les Vavoom de Raymond Pettibon. Cool.
Le monumental Penis Hat de Paul McCarthy, ou encore
le plus gros chybre jamais montré dans un musée
Les fameuses boîtes Mephisto de Jason Rhoades. L'art, c'est chouette.
Les routes aériennes de British Aiways, SAS, Iberia et autres, revues et corrigées par Mona Hatoum.
Je suis aller piquer cette photo sur le site de l'exposition car il n'y avait vraiment pas moyen de photographier

vendredi 27 mai 2011

Réflexions sur la mémoire de l'esclavage

Je ne voudrais pas être accusé de prêcher pour ma paroisse, mais j'ai assisté, de loin, comme chaque mois de mai, au pathétique débat qui parasite la commémoration de l'abolition l'esclavage en France. Un débat, c'est très bien et c'est sain, et cela vaut peut-être mieux que l'indifférence totale, mais encore faut-il que ce soit un débat honnête, où l'on utilise des arguments valables.

J'ai du mal à comprendre pourquoi notre pays est à ce point fâché avec sa propre histoire. Aux Antilles, nous sommes élevés dans la mémoire de ces temps révolus, dont plus aucun survivant ne peut témoigner puisque l'abolition définitive remonte au printemps 1848, soit tout de même 27 ans avant la naissance de Jeanne Calment, ou encore juste après la circoncision de Mathusalem. Alors, est-ce à dire que c'est un épisode passé sans aucune importance, à jeter sans plus tarder aux poubelles de l'histoire? Bien évidemment, non. Aux Antilles, en Guyane, et dans une mesure un peu moindre, à la Réunion, la question tombe sous le sens : nos sociétés sont nées de la colonisation européenne et de l'esclavage. Notre peuple, notre culture, notre cuisine et notre langue créoles n'existeraient probablement pas s'il n'y avait pas eu deux siècles de traite négrière pour soutenir l'économie de ces colonies insulaires et si l'esclavage y avait été interdit comme dans d'autres colonies, comme la Nouvelle-France par exemple, ou bien entendu comme il l'était en France même. Cette tragédie, ayant donné naissance aux peuples antillais et guyanais, revêt donc une importance toute particulière, bien plus que le servage, cet “équivalent” bien commode mais un peu paresseux, souvent utilisé par les détracteurs de la commémoration de l'abolition, et dont l'idée de base se résume ainsi : “Ah oui bah nous aussi les gentils blancs, nous avons des ancêtres qui ont souffert, ils étaient des serfs, et le servage, c'est maaaaaal mais nous on est cool avec ça et on ne la ramène pas toutes les cinq minutes pour autant, alors s'il vous plaît les noirs, bouclez-la et puis d'ailleurs restez chez vous”. Le peuple français existerait aujourd'hui, même si le servage n'avait jamais existé. Le peuple antillo-guyanais tel que nous le connaissons, sûrement pas, s'il n'y avait pas eu l'esclavage. Demander aux Antillais d'arrêter de “la ramener”, de cesser de “regarder vers le passé”, “d'aller de l'avant”, etc., c'est comme demander aux Européens et aux autres peuples du monde d'oublier la moitié de leur héritage historique sous prétexte qu'il les empêcherait “d'aller de l'avant”. Ben voyons.

Fort bien, maintenant que l'on a établi que nous autres Antillais, Guyanais et Réunionnais avons le droit de commémorer l'esclavage et son abolition, l'on pourrait se demander: en quoi ces sombres événements concernent-ils l'ensemble de la France et des Français de ce début du XXIème siècle ? Pour la simple et bonne raison que 1,5 millions de citoyens français vivent dans les quatre départements d'outre-mer à l'heure où nous parlons, parce qu'énormément de ressortissants des DOM (plus de 500.000) vivent en métropole, parce que de grands ports français se sont considérablement enrichis du commerce triangulaire, parce que deux millions de Français d'aujourd'hui, et deux siècles d'histoire de notre pays et d'histoire du commerce de villes comme Nantes, La Rochelle et Bordeaux, cela ne compte pas pour des clous. Parce que Bourg-en-Bresse a célébré la première abolition de l'esclavage (celle de 1794) par une grande fête populaire, où des femmes blanches et des négresses échangèrent leurs bébés et allaitèrent des nourrissons d'une autre couleur que la leur, dans un élan de fraternité probablement inédit en Europe, et que cette abolition-là, abrogée par Napoléon par la suite, avait été l'une de ces trop rares occasions où la France mettait vraiment en application ses principes et ses idéaux, sans hypocrisie, ni basses compromissions, ni vils renoncements. Il ne s'agit pas d'exiger de la “repentance”, le terme chéri des amnésiques de droite. Personne n'accuse personne. Les criminels d'antan sont morts sans procès et souvent, avec les honneurs. Les victimes de jadis sont mortes, bien enterrées, et entièrement oubliées : les esclaves n'avaient souvent qu'un simple prénom, un sobriquet donné par leur maître, et la mémoire de leur misérable existence individuelle n'a pas survécu aux proches qui les ont connus de leur vivant, sauf exceptions. Il ne reste que des descendants, du côté des criminels comme des victimes, nés plusieurs générations après les faits. Le contraire de la douce amnésie n'est pas la “repentance”, c'est l'honnêteté historique, le fait d'assumer pleinement l'histoire de son pays, dans les moments glorieux comme dans les heures troubles, le fait de ne pas se proclamer sans vergogne “tous résistants !” au lendemain de la Libération, ou de ne pas se sentir attaqué lorsque quelques voix discordantes osent noircir, si j'ose dire, le beau mythe de la construction nationale, avec d'encombrants faits historiques qu'il ne fait pas bon évoquer.

De nombreux détracteurs de droite, agacés par ces empêcheurs d'oublier en rond, arguent que “l'esclavage, ce n'est pas un génocide, donc ce n'est pas un crime contre l'humanité”. CQFD. On va leur accorder le bénéfice du doute, et supposer qu'ils font cet amalgame en toute bonne foi, parce que pour beaucoup d'entre nous, la notion de crime contre l'humanité fait écho en premier lieu aux procès de Nuremberg, donc à l'Holocauste, donc renvoie forcément à l'archi-crime qu'est le génocide. Mais alors, messieurs-dames, il va falloir ouvrir un bouquin ou deux (et je ne parle pas des ouvrages d'un Robert Faurisson, hein, attention petits coquinous, je vous vois venir), ou du moins une page Wikipedia, car nulle part la définition, au demeurant très vague et fluctuante, du crime contre l'humanité, ne se restreint aux seuls génocides. Je reprends ici la “définition” (plutôt un catalogue en fait) utilisée par la Cour Pénale Internationale, vous savez, ce repaire de gauchistes déchaînés, de suppôts baveux de l'anti-France, de champions notoires de la “repentance” et de l'auto-flagellation à tout va, qui n'ont de repos que lorsqu'ils ont humilié notre Grande Nation :
Meurtre ; extermination ; réduction en esclavage ; déportation ou transfert forcé de population ; emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; torture ; viol, esclavage sexuel, prostitution forcée; grossesse forcée; stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste (...) ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; disparitions forcées de personnes ; crimes d’apartheid, autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.
Bref, la liste des joyeusetés en question est drôlement longue, et comporte plusieurs des crimes commis de façon routinière par les esclavagistes, négriers ou non. La lecture du Code Noir, document légal qui est entré en vigueur dans les colonies françaises aux Antilles en 1685 (un grand millésime dans l'histoire de France, car c'est aussi l'année où Louis XIV, décidément très inspiré, a révoqué l'édit de Nantes, mettant un terme à près d'un siècle d'insupportable tolérance religieuse et jetant sur les routes de l'exil des centaines de milliers de “huguenots”, dont beaucoup, réfugiés à Berlin, ont fortement contribué au développement économique et culturel de ce qui n'était encore qu'une grosse bourgade teutonne sans grande importance), fournit quelques arguments assez frappants qui montrent que l'humanité des esclaves était systématiquement bafouée. Les esclaves, bien que considérés comme suffisamment humains pour mériter un baptême (“dans la Religion Catholique, Apostolique et Romaine”, comme il se doit, cf. article 2) et une sépulture chrétienne, étaient néanmoins qualifiés de “meubles” par l'article 44 dudit Code, étaient punis de mort pour des crimes monstrueux comme le fait de se réunir, de s'évader, de voler une vache ou de frapper leur maître. Il faut être sacrément obtus pour soutenir mordicus, en connaissance de cause, que la traite négrière et l'esclavage aux Amériques et dans l'Océan Indien ne constituent pas un crime contre l'humanité. À partir de ce point, je cesse de considérer ceux qui persistent dans cette voie comme étant neutres ou de bonne foi, désolé.

Ensuite, parmi les nombreux opposants à tout ce qui touche la mémoire de l'esclavage, il y a ceux qui clament à cor et à cris : “c'est pas moi qu'a commencé !” comme dans la cour de récré. Pourtant, personne n'accuse les Français, les Européens ou les Blancs en général, d'avoir inventé l'esclavage, ni d'avoir conduit la traite tous seuls, sans l'aide de roitelets africains, d'alliés tribaux de circonstance ou d'aventuriers arabes. D'ailleurs, d'une certaine manière, les Européens se sont distingués en beauté en abolissant l'esclavage dans leurs pays, puis dans leurs colonies, bien avant la plupart des autres régions du monde, à commencer par les mahométans. Certains “penseurs”, toujours du même côté de l'échiquier politique, reprochent à la France la place, pourtant toute riquiqui, qu'elle fait à la mémoire de l'esclavage, et aux commémorations timides qui ont débuté en métropole le 10 mai 2006, de “négliger” des aspects importants de l'histoire entière de l'esclavage, tel qu'il fut pratiqué par les Arabes ou les Ottomans autour de la Méditerranée, voire par les Romains, les Égyptiens anciens (mais oui, vous vous rappelez au catéchisme, les Hébreux asservis par Pharaon !), ainsi qu'en Mésopotamie, comme le prouve sans équivoque le fameux code d'Hammourabi... Messieurs, les ficelles sont plutôt grosses. La France commémore l'esclavage, tel qu'il fut pratiqué, encouragé et légalisé, sur le sol des territoires qu'elle a administrés, pour son bénéfice exclusif, une pratique qui, ne vous déplaise, l'a changée pour très longtemps. Que vous le vouliez ou non, les Égyptiens n'ont vraiment rien à y voir. On commémore l'histoire de France, celle du peuple français, de la même manière que l'on célèbre en France la fin de la dernière guerre le 8 mai, et non pas le 2 septembre, date de la capitulation japonaise et point final de ce conflit mondial. Mais nos chafouins élus et “intellectuels” de la droite conservatrice n'en sont pas à une contradiction ni à une approximation près...

Statue décapitée et ensanglantée de l'impératrice Joséphine sur la place
de la Savane, à Fort-de-France. L'illustre fille de nos îles, dont nous
devrions sûrement être fiers, a poussé Napoléon à rétablir l'esclavage.
Cet acte de vandalisme n'a donc absolument rien d'étonnant.
Quelques sinistres figures de l'UMP et assimilés se sont érigées en inlassables pourfendeurs des lois mémorielles. Pourtant, leur duplicité ne fait pas l'ombre d'un doute. Parmi les plus hypocrites d'entre tous, l'odieux Christian Vanneste qualifiait, dans cette interview récente accordée au Nouvel Obs, la loi Taubira de 2001 de “loi anti-française” (ah, la voilà, l'anti-France !), qui “égorge la liberté d'expression”, et patati et patata, bottant habilement en touche pour éviter d'en dire autant de la loi Gayssot n'est-ce pas, facho mais pas fou le brave député. On note avec intérêt que c'est le même Christian Vanneste qui s'est donné beaucoup de mal pour que l'Assemblée vote une autre loi mémorielle en 2005, un texte de réhabilitation de l'entreprise coloniale, et qui a proposé des amendements poussant encore davantage dans ce sens, allant presque donner de grandes claques dans le dos aux anciens de l'OAS. On remarque que c'est toujours le sieur Vanneste, décidément très affairé dès qu'il s'agit de demander au législateur de se mêler d'histoire, qui a déposé, en novembre 2006, une proposition de loi de reconnaissance par la France du génocide ukrainien perpétré par Staline en 1932. Ah mais tout ceci, ce n'est pas de l'anti-France, n'est-ce pas, alors allons-y sans nous gêner, et encombrons le législateur de textes sur les souffrances des Ukrainiens.


Dans un monde parfait, dans une France parfaite, on n'aurait pas besoin de loi Taubira relative à la mémoire de l'esclavage, pas plus qu'on n'aurait besoin de loin Gayssot pénalisant la négation de la Shoah, ni de lois mémorielles en général, de la même manière dont on se passe très bien de lois “géographiques” (imaginez un peu : “La France reconnaît publiquement que son point culminant est le Mont-Blanc, à 4807 mètres d'altitude”, hahaha), de lois “mathématiques” [“La France reconnaît publiquement que deux et deux font quatre, et que pour tout entier naturel n, la somme des n premiers termes d'une suite arithmétique de premier terme u0 est (u0 + un) x (n + 1)/2], ou encore de lois chimiques (La France reconnaît publiquement que la formule chimique de l'eau est H2O). Vous vous imaginez le bazar. En attendant, loi ou pas, il est urgent d'arrêter de considérer la mémoire de l'esclavage comme une seule affaire d'Antillais ou de noirs : l'anti-France, pour moi, c'est plutôt ce genre d'attitudes amnésiques, qui épurent le récit national et en excluent des millions de citoyens français. Une nation harmonieuse est, au contraire, une nation dont le récit historique est accepté par tous, et où tous se reconnaissent, sans qu'il soit question de repentance. Nous, les Antillais, sommes Français et heureux de l'être, mais ne sommes pas arrivés là par l'opération du saint-Esprit ou par la dérive des continents.


La mémoire de l'esclavage est l'affaire de tous, et la commémoration de l'abolition, une grande fête pour toute notre nation, car elle célèbre, entre autres, l'un de ces moments-clés qui ont permis d'aboutir à un véritable État de droit et à une communauté de citoyens égaux devant la loi. Pour des raisons historiques, les quatre DOM commémorent l'abolition à des dates différentes les uns des autres : pour la Martinique, c'est le 22 mai de chaque année. Ce 27 mai, c'est au tour de la Guadeloupe. La date retenue à l'échelle nationale est le 10 mai, pour mettre tout le monde d'accord. Laissons derrière nous ces polémiques stériles, ces combats d'arrière-garde et ces aboiements des nostalgiques et des réacs héritiers des anti-dreyfusards d'antan: l'esclavage a eu lieu en France, a été aboli par la France, et notre nation se grandit et se fortifie à chaque fois qu'elle évoque ce passé avec réalisme et dignité.

Humour dans les rues : ABCDEF...

Vu samedi dernier sur la Karl-Marx-Allee, au niveau de Strausberger Platz, un Nord-Américain (du moins si l'on se fie à son accent lorsqu'il parlait à ses potes) à vélo avec un t-shirt rigolo. En général je désapprouve les grossièretés gratuites, mais quand elles sont amenées avec un peu d'humour, ça passe. J'ai moi-même pris la photo en suivant à vélo derrière. La maîtrise de l'art ancestral du vélo sans les mains sur du pavé, ça aussi ça fait partie du B-A-BA de l'intégration des étrangers à Berlin, parfois dans la douleur, littéralement...

jeudi 26 mai 2011

Perspectives nouvelles sur l'affaire “Déhescat”

Si vous lisez ces lignes, c'est que vous utilisez internet et il y a de très fortes chances pour que soyez francophone. Et si vous avez accès à internet et aux médias francophones, alors vous savez quelle info spectaculaire a complètement retourné la planète financière, politique (française du moins) et médiatique (française là encore) il y a déjà dix jours, donc je vous en épargnerai un énième résumé.

Quand je vois un tel déchaînement, je suis content d'être à l'étranger

Je ne comptais pas écrire sur le sujet vu que tout le monde le fait si bien au point d'éclipser tout autre événement susceptible (j'ai failli écrire suceptible) de se produire en France, mais j'ai changé d'avis. Alors que je commentais la nouvelle avec des amis français ébranlés par la succession des révélations sordides, de détails graveleux et d'euphémismes transparents (comme les traces “d'ADN”), notre discussion a évolué vers une exploration méthodique des différents scénarios possibles du déroulement des événements qui se sont déroulés dans l'intimité de la suite 2806 du Sofitel de la 44ème rue, samedi dernier, et ont conduit Dominique Strauss-Kahn à être accusé d'agression sexuelle envers une femme de chambre, “qui travaille dur” et “craint Dieu”, et toutes ces mauvaises traductions de l'anglais qui fleurissent dans la presse réputée “de qualité” et me hérissent (qu'est-il arrivé aux mots “travailleuse” et “pieuse” ? je ne saurais vous le dire). Nous avons émis beaucoup d'hypothèses, et la conclusion est sans appel : devant tant de scénarios tous aussi plausibles les uns que les autres, bien plus crédibles qu'une improbable “relation consentie” entre la soubrette et le séducteur en voie de décrépitude, il est clair de Déhescat a été jeté un peu vite en pâture ou alors que les théoriciens du complot ont un peu trop travaillé du chapeau... La vérité, limpide, éblouissante, est peut-être à chercher dans les propositions qui suivent !

Voici nos différentes conclusions :

Les propositions 1 à 4 disculpent entièrement l'accusé, victime d'un tragique malentendu. Les hypothèses 5 à 9 n'innocentent pas DSK, car elles reconnaissent qu'il y a bien eu agression sexuelle avérée, mais elles plaident un motif noble qui justifie entièrement cet acte (si vous avez loupé un épisode, je vous rappelle que je suis un violeur compréhensif - donc la fin justifie le câlin en quelque sorte).

Hypothèse 1
Dominique Strauss-Kahn, chef du FMI, est préoccupé : il a demain un rendez-vous important avec Angela Merkel, où il va être question des malheurs de la zone euro, de plans de sauvetage, d'austérité et de risques déflationnistes. En sortant de sa douche, il tombe sur la femme de chambre, avec qui il veut éprouver la pertinence de ses arguments de maîtrise de l'inflation de la dette en zone euro. Hélas, la malheureuse le comprend mal et, comme Rachida Dati, entend un autre mot qui y ressemble beaucoup mais ne veut pas dire la même chose. Il faut dire que ce gros lourdaud de DSK ne dissipe pas le malentendu lorsqu'il laisse tomber sa serviette et tente de briser la glace par une partie de lutte gréco-romaine en tout bien tout honneur.

Verdict : Ça se tient, mais c'est tout de même tiré par les cheveux. En l'absence d'une bande vidéo, cela reste impossible à prouver.

Crédibilité : 10%

Hypothèse 2
Selon Rafik, Dominique Strauss-Kahn attendait une call-girl sado-maso pour un petit moment de détente avant son vol transatlantique, et quand il a vu la maid, il a cru que c’était celle qu'il attendait… Empoignant la jeune femme, il a pensé que les débattements de la malheureuse faisaient partie du jeu, et qu’après il pourrait obtenir satisfaction. Et quand il s’est rendu compte que c’était pas la compagne de jeu qu’il attendait, il s’est enfui sans demander son reste !

Verdict : Classique et regrettable malentendu digne des meilleurs comédies de boulevard où l'on se tape sur les cuisses. Il ne manque plus que les applaudissements enregistrés. Une pièce à succès est déjà en cours de préparation avec Georges Beller dans le rôle de DSK, Danièle Évenou en Anne Sinclair, et Pépita de Pyramide alias Nafissatou Diallo mi-soubrette, mi-call girl. Ça va envoyer du lourd !

Crédibilité : un bon 75% et une pluie de royalties à venir pour l'ancien chef du FMI, de quoi le remplumer quelque peu après les frais de justice qui l'attendent.

Hypothèse 3
Ce qui s’est passé doit être proche du quiproquo ou de l’accident domestique, a rétorqué Mohammed, sûr de lui, et qui de surcroît y connaît un rayon en us et coutumes guinéens :

La jeune Nafissatou entre dans la chambre. Prise d’une fatigue soudaine elle décide de s’étendre par terre pour se reposer (pratique courante dans la savane de son pays natal). Sur ce, DSK sort de sa douche. L’homme âgé et encore humide de sa toilette, surpris par le spectacle de la jeune nymphe étendue à terre, trébuche alors même que celle-ci bâillait aux corneilles (sans mettre sa main devant sa bouche, comme d’usage par chez elle). C’est alors que la M. Strauss-Kahn, dans sa chute, et toujours sous l’emprise de son viagra de la veille ayant servi à honorer son épouse (qui est bien entendu l'amour de sa vie et la seule et unique femme qui ait jamais partagé sa couche) se retrouve accidentellement à se voir prodiguer une fellation.

Quod erat demonstrandum !

Verdict : Je ne vois pas comment la justice pourrait condamner un innocent, victime malencontreuse d’un accident qui pourrait arriver à tout le monde…

Crédibilité : 50%

Hypothèse 4
Une tragique histoire de savonnette...
 


Crédibilité : 60%


Hypothèse 5
Rafik nous propose une analyse psychologique de Dominique Strauss-Kahn :

En fait, DSK nous a fait une “Zidane” !

Finale de la coupe du monde, quelques minutes avant d’être Champion du Monde vs. Début de la campagne présidentielle, quelques mois avant d’être élu Président de la République française (oui, Rafik y croyait vraiment, la déception est donc immense).

Un coup de boule pour l’un, un coup de chybre pour l’autre ! Il s'agissait de deux idoles au sommet de leur gloire ayant soudain quelque part choisi de casser le mythe qu'ils représentaient. C’est évident, non ?

Crédibilité : 30% tout de même.

Hypothèse 6
À mon tour de proposer une théorie :

DSK sort de la douche et trouve dans sa suite une jeune femme, noire et belle, prise de violentes convulsions sur le sol : il reconnaît immédiatement les spasmes de l'épilepsie. La malheureuse ne respire plus et s'asphyxie. Le héros tente le bouche à bouche mais en vain, la belle ne respire toujours pas et semble avoir la langue coincée au fond de la gorge, le risque encouru par tout épileptique. DSK, secouriste peu expérimenté, tente alors de lui dégager les voies respiratoires avec le seul objet non contondant qu'il a sous la main, son membre. Chaque seconde compte, alors il y va sans hésiter un instant. Le stratagème fonctionne mais la miraculée reprend alors conscience avec un chybre de sexagénaire au fond du pharynx : elle prend donc peur et accuse son sauveur d'être un violeur, ce qui est compréhensible mais hautement navrant.

Verdict : DSK est la victime de son héroïsme naïf. Quelle cruelle ironie ! Pas besoin d'aller plus loin pour expliquer la présence “d'ADN”...

Crédibilité : 60% et une belle médaille du mérite en perspective, pour avoir ainsi sauvé une mère de famille.

Hypothèse 7
Je ne vais rien modifier à la prose haute en couleurs employée par Ben, en espérant que vous l'apprécierez autant que moi : 

Voyant à plusieurs centaines de kilomètres la stratégie UMP avec la prégnancy soudaine de Carlita, et ne pouvant combattre le capital sympathie qui suit chaque naissance en France, surtout quand il s'agit d'une naissance WASP qui vient contrebalancer les millions d'enfants qu'expulsent les te-cha non blondes en France, DSK décide de take la femme de ménage, de se retrouver à Rikers, de claquer son suicide, et d'être disculpé after à titre posthume... ce qui permet au parti socialiste de gagner haut la main 2012, bénéficiant d'un effet style affaire Dreyfus!

Laaaaaaaaaaaaaaaaaa Cé-Ku-Ef-De

Verdict : Merci Ben.

Crédibilité : pas moins de 95%

Hypothèse 8
C'est la perspective de sa rencontre avec Angela Merkel, prévue le lendemain de “l'incident”, qui a déclenché un pétage de plombs sans précédent chez DSK. À partir de là, deux interprétations sont possibles: soit Dominique Strauss-Kahn a tenté ce geste désespéré pour être assuré de ne plus jamais rencontrer la chancelière de sa vie, soit DSK fantasmait secrètement sur Frau Merkel et son opulente poitrine, et savait pertinemment les risques qu'il lui faisait courir à chaque fois qu'il se retrouvait en sa mammaire compagnie. En ce samedi, au Sofitel, alors que ses fantasmes atteignaient des sommets jusqu'ici inconnus, il a tout simplement de deux maux choisi le moindre : assouvir immédiatement ses pulsions sur la malheureuse femme de chambre plutôt que de pogner (je rentre d'une projection de film québécois) sauvagement la plantureuse chancelière et de plonger le monde dans une crise diplomatique d'ampleur inégalée depuis l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo en 1914 !

Crédibilité : 85%

Hypothèse 9
DSK a été recruté par le Fight Club. Sa mission dans le cadre du project mayhem est, au lieu de fabriquer de vulgaires bombes avec du savon (une pratique quelque peu discréditée depuis 2001, même pour les desseins les plus nobles), d'interpréter l'injonction fuck the system de la manière la plus littérale possible, par le viol. Et quoi de plus emblématique de ce système capitaliste pourri qu'une immigrée guinéenne travaillant dans un hôtel de luxe new-yorkais ? Je vous le demande. C'était vraiment la cible parfaite.

Crédibilité : 99%. Malheureusement pour DSK, il ne pourra jamais se défendre en invoquant cet argument, sinon il enfreindrait les règles 1 et 2 du Fight Club. Tout comme son camarade Georges Tron d'ailleurs.

Bref, pour que la vérité se fasse jour, la police de l'État de New-York n'a pas intérêt à bâcler l'enquête car il y a tout simplement 9 chances sur 10 que DSK soit innocent ou tout du moins bénéficie de circonstances fortement atténuantes !

PS : Je suis de retour sur le blog, de manière un peu plus régulière, je l'espère.

jeudi 19 mai 2011

Klotür & Sport - Schwalbe

Chères Lectrices à la peau de vahinés tahitiennes et à la chevelure ondoyante dans la brise printanière, je suis tout penaud car je vous délaisse. N'allez surtout pas croire que votre dévoué chroniqueur n'a plus rien d'intéressant à vous raconter ; ce serait vraiment faire erreur car j'ai plusieurs articles en préparation. Mais il se trouve qu'en ce moment, malgré tous mes efforts, je rencontre toutes sortes de difficultés qui m'empêchent de me plonger suffisamment dans mes billets et de les terminer. Voyez, pas plus tard qu'hier, alors que j'étais sur le point de finir un super article, mon petit neveu a vomi sur mon clavier et mon chien a mangé mon ordinateur portable ! Eh oui, das Leben ist kein Ponyhof comme on dit ici. La traduction littérale serait “La vie n'est pas un poney club”, une expression mystérieuse qui dénigre gratuitement les poneys clubs, puisqu'elle signifie que dans la vie, il y a toujours des obstacles à surmonter. Eh bien aller insinuer que faire une balade à dos de poney est toujours une sinécure, je trouve cela franchement désobligeant envers les cavaliers du dimanche et les nombreuses victimes d'accident de poney qui, en plus d'être traumatisées à vie, peuvent se sentir incomprises et injustement stigmatisées par ce dicton dénué de subtilité. Mais passons.

Pour vous faire patienter en ces temps de disette bloguistique et rendre un hommage tardif au printemps, je vous présente en un billet rapide l'un de mes bars préférés, qui brille par ses Klo-Türen fort bien soignées, le bar Schwalbe (“Hirondelle”), à Prenzlauer Berg, à deux pas du Klub der Republik. Contrairement à ce que ce nom pourrait suggérer, il s'agit d'une Fußballkneipe, un bar de footeux et de passionnés de Kicker (le baby-foot), et non pas un repaire de mordus d'ornithologie. Situé sur la très accueillante Stargarder Straße, le bar s'ouvre largement sur le trottoir en une terrasse chaleureuse et conviviale, qui vraiment est ouverte presque toute l'année sauf de décembre à février. À l'intérieur, de nombreux écrans géants permettent de ne rien perdre des défaites matchs du 1. FC Köln en Bundesliga, car Die Schwalbe est avant tout un bar de supporters de Cologne, un îlot de Rhénanie en terre prussienne où l'on trouve même de la kölsch pour se désaltérer (et se consoler après les matchs du FC Köln). Au sous-sol, pas moins de trois tables de baby-foot permettent de faire des tournois de Kicker avec ses amis. Les mardis et les samedis (lorsqu'il n'y a pas de match), c'est la maison qui offre les parties.

Et les toilettes alors ? Puisque là réside l'intérêt de la série, je vous le rappelle. Ma foi, très réussis, ces petits symboles sur les portes. On est dans l'ambiance foot. La première fois que je suis allé à Schwalbe, un jour de l'été 2009, il m'a suffi de voir la Klotür pour être certain que j'y reviendrais maintes fois. Schwalbe restera ce lieu unique où j'ai appris un “sport”, une langue et un dialecte.

Sinon, les amies, rien à voir mais j'ai de bien tristes nouvelles à vous annoncer sur le front de la gentrification. Le mythique Bar 25, dont je vous parlais il y a quelques mois, n'a pas rouvert ses portes en ce printemps 2011 : il semblerait qu'après des années de fausses alertes, cette fois ait été la bonne, hélas. “Ils” ont eu sa peau, ces salauds. Dire que tous ceux qui se sont installés à Berlin au cours des 6 derniers mois ne sauront jamais ce qu'était Bar 25, c'est d'une tristesse à vous donner le cafard pour tout l'été... Adieu cirque, adieu balançoire suspendue précairement au-dessus de la Spree, adieu pizzas pas très bonnes mais ô combien nourrissantes pendant un marathon d'électro dans la fraîcheur d'une courte nuit d'été berlinoise. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, ce weekend,  Mediaspree s'apprête à faire une nouvelle victime emblématique, qui fermera également ses portes pour toujours : la boîte légendaire Maria am Ostbahnhof jouera son chant du cygne vendredi et samedi soir avant de laisser la place à de chouettes immeubles de bureaux comme à Paris et à Londres. 

So ist Berlin!

Quelques photos pour finir avant, on l'espère, des billets plus approfondis :

Le logo des supporters du 1. FC Köln à Berlin

La cave de Schwalbe et ses trois baby-foot

La terrasse de Schwalbe, un soir de février... le footeux n'est pas frileux.

Questions pour un Champion, avec de la bière et du foot

samedi 14 mai 2011

Information: Grosse panne sur les blogs

Hello chères lectrices,

Si vous vous demandez ce qui s'est passé ces derniers jours sur mon blog, c'est très simple : Blogger, le système de support des blogs Google (donc tous les blogs "Blogspot", dont les Chroniques Berliniquaises), a subi un gros bug qui a duré de mercredi à vendredi, qui a affecté l'ensemble des blogs. Comme vous avez dû voir, il était impossible de commenter, et mon dernier post, "Tu t'intégreras dans la douleur", n'a été visible que pendant quelques heures puis a complètement disparu jusqu'à ce que je le remette en ligne ce matin.

Même Le Figaro, qui n'est pas mon journal préféré, en a parlé. Ce sera peut-être le moment de préparer ma migration Wordpress.

Si vous aviez essayé de commenter ces derniers jours, n'hésitez pas maintenant, j'aime bien vos commentaires :-)

Bon weekend et à la semaine prochaine pour de nouveaux posts.

Votre Chroniqueur

jeudi 12 mai 2011

Tu t'intégreras dans la douleur - Première partie


Ah, les joies inénarrables de l'expatriation ! On se frotte à une nouvelle culture, on chamboule ses certitudes sur le monde, on apprend à douter de ce qui tenait autrefois de l'évidence même, on s'émerveille de toutes ces différences qui rendent la moindre visite à la boulangerie aussi palpitante qu'un tour de Space Mountain. Tout ceci ne se fait pas sans quelques mésaventures désopilantes, typiques de l'Ausländer qui trébuche maintes fois et se heurte, parfois douloureusement, aux us et coutumes de son pays d'adoption dont il avait sous-estimé la singularité. Voici quelques exemples types issus de la checklist des Bourdes Classiques du Français débarqué en Allemagne :

– Vous vous êtes trompés sur la manière de laisser le pourboire - Check


Coupe du monde de foot 2010 vue à Tiergarten
– Vous vous êtes pointés chez Real ou Kaisers le premier jour avec une carte Visa et bien entendu, et au moment de passer à la caisse, vous n'avez pas pu payer vos courses ("EC-Karte, c'est coâ ça?"), alors qu'une énorme file d'attente, rappelant des images de Kiev en 1988 que vous avez vues dans Envoyé Spécial, s'impatiente derrière vous. Seule technique pour sauver la face : fuir en abandonnant toutes vos provisions sur le tapis, et bien sûr dribbler le vigile à la porte - Check

– Vous avez commandé "une autre bière s'il vous plaît" (ein anderes Bier bitte) et avez reçu pour toute réponse un "Et alors laquelle ?" souligné par un regard perplexe disant clairement "ach, ces étrangers" de la part d'un serveur à qui on ne la fait pas - Check.

– Vous avez fini par comprendre, au bout de la quatorzième fois, qu'il faut dire "encore une bière s'il vous plaît" (noch eins bitte) pour doubler sereinement votre commande, éviter le malentendu ci-dessus, et vous épargner un haussement d'épaules méprisant, car si vous demandez une autre bière, l'Allemand, qui prend tout au pied de la lettre, croit que vous voulez vraiment une autre bière, pardi - Check.


– Vous avez voulu faire la bise à une demoiselle qui, gênée par cette intrusion hostile dans son Lebensraum, a eu un mouvement de recul de la tête, tout en vous tendant ostensiblement la main pour une poignée virile. Check.

– Vous avez fait une bise sonore pile dans l'oreille d'une autre demoiselle qui, elle, voulait vous étreindre d'un "hug" chaleureux à l'américaine. Caramba, encore loupé ! Après quoi, la bise, vous avez laissé tomber - Check.

– Vous avez organisé une soirée vins-fromages chez vous et, comble de l'horreur, n'avez pas pensé à prévoir en quantité suffisante le seul ingrédient vraiment important, la clé de voûte pour une collation réussie en Germanie, et dont l'absence peut tout gâcher: de la bière - Tchèque. Non, pardon, Check (ha, ha). Manon raconte très bien ce fiasco typique ici.


Friedrichshain, décembre 2010 : une pile de neige =
un support idéal pour graffiti
– Vous comblez les lacunes de votre vocabulaire gruyèresque en enrichissant la langue de Goethe de toutes sortes de néologismes futés mais qui tombent à plat. "On ne dit pas retroaktiv, on dit rückwirkend enfin" - Check.

– Vous comblez les lacunes de votre vocabulaire en germanisant sans vergogne des termes français et en espérant, priant tous les saints du paradis, que ça passera. Et bien sûr ça ne passe jamais. Au club de badminton : Mein Freund da möchte eine Rackette leihen (mon pote voudrait louer une "Rackette"). Réponse moqueuse: Aha, ein Rakete leihen. Naja mal sehen... ("Ah bon, louer un missile ? Eh ben on va voir ça..."). Vous finissez par perdre vos illusions: parler l'allemand, vous n'y arriverez pas sans apprendre des milliers de mots barbares par cœur - Check.

– Vous êtes régulièrement humilié en public à cause des déficiences de votre prononciation de vache espagnole, et êtes persuadé que vous auriez moins de problèmes si certains y mettaient un peu moins de mauvaise volonté: Hörnchen (croissant)Non. Hündchen (petit chien)Non. Ach sooooo, HÜHNCHEN! (du poulet). Oui du poulet, diantrefoutre, je parlais de fricassée de poulet, pas de fricassée de croissant ni de fricassée de chiot. Si ce n'est pas de la persécution, ça - Check.

– Double check si votre boulangère, cette perverse, refuse de vous servir tant que vous n'avez pas prononcé intelligiblement le mot Sonnenblumenbrötchen en imitant à la perfection son accent turc, et s'amuse, un rictus sadique sur les lèvres, des contorsions de votre mâchoire, de la veine qui palpite sur votre tempe et des gouttes de sueur qui perlent sur votre front - Checkcheck.

– Vous persistez à tout comprendre de travers : on vous invite à un tournoi de tennis, vous acceptez avec joie tout en vous enquérant prudemment du niveau de jeu des participants, sur quoi l'on vous répond poliment que vous étiez convié à venir regarder les matchs, pas jouer hein, non mais oh l'aut' là - Check.
 

– Malgré tout, vous vous obstinez à baragouiner l'allemand et mettez un point d'honneur à massacrer la langue de Goethe en toute circonstance, car vous êtes un local désormais. Petit à petit, vous êtes passés de l'époque où des larmes de gratitude vous venaient aux yeux dès que l'on daignait vous adresser la parole en anglais par charité envers vous, au stade advanced où à chaque fois qu'un Allemand vous parle en anglais, vous le vivez comme un échec cuisant. L'anglais, c'est pour les touristes - Check.

– Vous avez réappris à envisager votre corps comme une chose normale et naturelle, à vous débarrasser de cette encombrante pudeur latine, et si une accorte demoiselle évoque sans ambages le Durchfall (la diarrhée) qui a pourri son weekend, ou qui vous dit, comme si elle commentait le bulletin météo, Die Russen kommen (l'Armée Rouge arrive...), ce n'est pas sale, c'est la nature - Check.

– D'ailleurs, vous avez appris à ne pas montrer trop d'étonnement si les septuagénaires qui bronzent à côté de vous au Volkspark ou au Langer See par une chaude journée d'été sont nus comme au jour de leur naissance, exhibant nonchalamment bourrelets, varices, membres chenus, épidermes flasques et ridés... et tout le reste, à l'action bienfaisante du soleil estival - Check.

– Vous avez aussi appris à ne plus glousser comme une collégienne à la seule mention du KitKat Club, et avez même promis à votre amie Anja qu'un jour vous testerez ce lieu de perdition avec elle - Check.

– Vous avez pris l'habitude de faire des retraits de 100€ minimum au distributeur de billets, car même la sacro-sainte EC-Karte n'est pas du tout une alliée fiable - Check.

Friedrichshain, août 2010 : mon balcon, mon Éden.
– À force de recevoir des courriers de plus en plus menaçants du GEZ, vous avez fini par craquer et avez tout avoué, tel un maquisard acculé jetant l'éponge face à la cruelle opiniâtreté de la Gestapo : oui, vous possédez un ordinateur, oui, une radio aussi, jawohl, Herr Obersturmbannführer, vous allez la payer cette satanée redevance audiovisuelle (un vrai Allemand n'a que faire de ces vains ultimatums, reste flegmatique face aux missives apocalyptiques du GEZ et ne paye jamais sa redevance) - Check.

– Vous vous êtes habitués à répéter votre nom, à l'épeler à la vitesse de l'éclair en utilisant des lettres comme "tsé", "yott", "ha", "faou", et à vous accommoder de toutes les manières possibles d'écorcher votre patronyme sans le prendre comme une attaque personnelle - Check

– Double check si on vous a déjà répondu, philosophe : "De toute façon, ce ne serait pas drôle si tout le monde s'appelait Müller" - Checkcheck.

– Vous avez dit un jour "janz jut" pour faire cool, mais votre pitoyable tentative de parler le dialecte berlinois avec un énorme accent français vous a plutôt attiré des petits rires étouffés et des regards compatissants, voire un "so süß" assassin qui vous a guéri à jamais de toute velléité de vous mettre au berlinerisch - Check.

– Vous avez multiplié les compromissions, renié vos principes, vendu votre âme - Check.

– Vous rechutez, encore et encore, répétez vos erreurs, et les humiliations vont croissant à mesure que vous vous dites que depuis le temps, vous pourriez faire mieux - Check.

En somme, vous avez surmonté bien plus de difficultés que ce à quoi vous vous attendiez, et même si vous êtes loin de maîtriser parfaitement la langue, vous savez désormais vous débrouiller dans toutes les situations ou presque, vous comprenez les codes culturels, vous pouvez improviser et déduire la bonne attitude à avoir dans une situation nouvelle grâce à votre expérience du pays et de sa culture. Bref, vous êtes intégré. Alors prenez garde, ami étranger ! C'est au moment où vous commencez à vous sentir à l'aise, à vous reposer sur vos lauriers, au moment où vous vous accordez le droit de baisser la garde, c'est à ce moment-là que vous vous exposez aux pièges les plus redoutables d'entre tous ceux qui vous guettent et dans lesquels vous êtes tombés à pieds joints jusqu'ici...

La suite au prochain numéro.
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