lundi 31 octobre 2011

Le vol noir des corbeaux sur nos plaines - 2ème partie : un tour d’horizon

“POUR le premier ministre Charest, l’initiative concernant les étudiants étrangers est «un geste audacieux pour garder cette jeunesse et son potentiel chez nous»
Actuellement, un étudiant sur dix demeure au Québec une fois ses études complétées. «Nous nous fixons comme objectif de tripler le nombre d’étudiants étrangers qui font le choix de demeurer au Québec» a dit M. Charest. 
«Le Québec accueille chaque année quelque 22 000 étudiants étrangers. Ils sont jeunes. Ils sont brillants. Ils sont talentueux. Le monde entier se les arrache» a souligné le premier ministre. «Je veux que pour eux, le Québec ne soit pas qu’un heureux souvenir, mais qu’il soit un projet d’avenir», a renchéri M. Charest.
Québec, le 10 mars 2009. Le message est on ne peut plus clair : le Québec annonce sa volonté de se mettre en quatre pour retenir une partie des étudiants étrangers qui y ont suivi une partie de leur cursus, plutôt que de les voir faire leurs valises et quitter le pays une fois leur diplôme en poche. Pourtant, avec 8% de sans emploi en 2010 (un chiffre plutôt en hausse), le chômage est loin d’être un phénomène inconnu dans la «Belle-Province». Le gouvernement provincial aurait-il l’intuition que permettre l’accès au marché du travail à quelques milliers d’étrangers hautement qualifiés n’empêche pas de lutter efficacement contre le chômage ?  Voyons un peu le détail des mesures appliquées :
Si vous voulez travailler au Canada après avoir obtenu votre diplôme, vous devez demander un permis de travail au titre du «Programme de travail postdiplôme». 
Programme de travail postdiplôme
Le Programme de travail postdiplôme permet aux étudiants ayant obtenu un diplôme dans un établissement postsecondaire canadien participant d’acquérir une expérience professionnelle précieuse au Canada. 
Il vous est possible de vous voir délivrer un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme valide pour la durée de votre programme d’études, soit pour une période maximale de trois ans. La période de validité du permis de travail postdiplôme ne peut dépasser la durée du programme d’études de l’étudiant, laquelle doit être d’au moins huit mois. Par exemple, si vous avez eu votre diplôme après quatre ans d’études, vous pourriez être admissible à un permis de travail de trois ans pour autant que vous remplissiez les critères, mais pour un certificat obtenu après huit mois d’études, vous seriez admissible à un permis de travail valable au maximum huit mois.
Pour se voir délivrer un permis de travail et de manger le pain des Canadiens après l’obtention de son diplôme, l’immigré potentiel remplir un certain nombre de conditions, notamment : avoir étudié à temps plein au Canada pendant huit mois au minimum, avoir terminé le programme d’études avec succès et entamer ses démarches dans les délais impartis.

C’est tout ? Pas d’humiliations dans les sous-préfectures ? Pas de «circulaires» félonnes tapies dans les tiroirs ? Pas de douches obligatoires à l’eau de Javel pour désinfecter ces masses grouillantes de crève-la-faim enguenillés et malodorants, tout qualifiés qu’ils se prétendent ? Pas de carrières prometteuses détruites d’un coup de tampon désinvolte, par une armada de gratte-papier au teint blafard et aux cheveux gras, s’essuyant un filet de morve sur la joue du revers de la main en même temps qu’ils condamnent des promotions entières d’indésirables diplômés à une «déportation» (selon la terminologie locale) certaine et imminente ? Non, rien de tout ceci. Sainte Mère, quelle inconscience, quelle grave erreur ! Le Canada court à sa perte, et sera incessamment submergé de vagues d’immigration incontrôlée, et les Canadiens ne tarderont pas à ne plus «se sentir chez eux» ! On devrait leur envoyer Guéant en mai 2012, lorsqu’il se retrouvera au chômage chez nous : il remettrait de l’ordre vite fait dans cette maison ! OK, j’ai donc choisi un mauvais exemple avec le Québec : sans aucun doute, plein d’autres pays, dans le monde, ont une politique aussi restrictive (et de bon sens bien sûr) que la nôtre pour limiter l’emploi des anciens étudiants étrangers ?

EN ALLEMAGNE

C’est bien connu, l’Allemagne n’aime pas beaucoup les étrangers. Après tout, c’est ce pays qui a tout bonnement inventé le concept de xénophobie, pas vrai ? Jusqu’au début des années 2000, il était presque impossible pour les étrangers d’obtenir la nationalité allemande, sauf pour ceux ayant des origines allemandes, si lointaines soient-elles. Droit du sang, interdiction stricte de la double nationalité jusqu’en 2003 (de plus en plus grignotée par différentes dispositions) : il y a encore seulement quelques années, les politiques allemandes vis-à-vis de l’immigration et de l’intégration n’avaient rien à envier aux propositions les plus délirantes conservatrices du conglomérat politique français qu’il convient d’appeler UMFN, actuellement au pouvoir. Aussi peut-on supputer légitimement que les étudiants étrangers, une fois diplômés des facultés allemandes, sont chassés sans cérémonie et priés d’aller se faire pendre ailleurs, que ce soit dans leur pays d’origine où ils ont «vocation» à travailler (dixit Le Guéandertal), ou ailleurs s’ils le désirent, mais surtout pas en Allemagne, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?

Eh bien en fait pas du tout. Schock und Konsternation ! Depuis septembre 2007, les étrangers non-européens ayant terminé leurs études dans une université allemande disposent d’un délai d’un an pendant lequel il peuvent rester sur le territoire en toute légalité (et donc en toute sérénité) pour y trouver un emploi en rapport avec leur qualification. Ils bénéficient même d’un «examen prioritaire» de leur dossier pour obtenir le précieux Arbeitserlaubnis, le permis de travail. N’est-ce pas tout bonnement révoltant, ces masses crasseuses et enturbannées se ruant sur les emplois qui devraient revenir au bon peuple allemand ? Le chômage a dû partir en flèche, certainement ? On aimerait pouvoir dire cela pour donner raison à notre gouvernement, mais en fait le taux de chômeurs a fortement diminué, passant de 11,4 à 6% de la population active entre le printemps 2005 et le mois dernier... Et encore, pour la Bavière, fière et prospère, il faut diviser ces chiffres par deux. Késako ? Tous ces ingénieurs indiens ou mexicains, ces comptables égyptiens ou brésiliens, ces chercheurs canadiens ou australiens n’ont pas transformé le pays en tiers-monde invivable ? On en perd son latin. Le Chancelier à la moustache doit faire des bonds, dans sa fosse commune anonyme quelque part autour de Berlin... Quant à nos ministres, on aimerait bien avoir leur opinion sur ces faits. Je me demande ce que font les journalistes.

EN GRANDE-BRETAGNE

Comme d’habitude chez nos Rosbifs adorés, rien n’est simple. Le gouvernement conservateur de David Cameron, arrivé au pouvoir en mai 2010 dans un contexte de grande morosité économique, de crise financière et de chômage galopant, a été élu sur un programme où il était question de réduire fortement l’immigration de travail. Ah, enfin des politiciens raisonnables qui s’inspirent des lumières de notre UMP Nationale, direz-vous. Mais en fait, petit à petit, les contours des nouvelles mesures se sont précisés, et bien que l’on puisse parler de quotas très restrictifs, on est encore très loin de la politique aveugle que poursuit notre gouvernement. Les mesures entrées en vigueur en avril 2011 donnent les critères suivants : limitation du nombre global de permis de permis de travail à 21.700 par an, dont 1000 visas pour les exceptionally talented people, détenteurs de Ph.D ou de MBA, certains chercheurs et autre big brains ou big money bags (chefs d’entreprises & investisseurs) et 20.700 “Tier 2 Visas” pour les gens qui ont un diplôme, savent parler anglais et peuvent satisfaire des critères extrêmement détaillés et rébarbatifs à souhait. Chaque critère rempli attribue au candidat un certain nombre de «points» qui s’additionnent. De même, l’employeur potentiel doit satisfaire quelques requirements spécifiques et objectifs. Les jeunes diplômés ayant étudié au Royaume-Uni sont en concurrence avec les candidats qui postulent depuis l’étranger, mais les premiers ont l’avantage de recevoir des «points» supplémentaires dans leur dossier de candidature du fait d’avoir suivi leur cursus dans une université britannique, et peuvent, dans une certaine mesure, demeurer sur le territoire pendant leurs démarches, ce qui est un autre atout non négligeable.

Bref, tout ceci est très complexe et fortement indigeste, mais en définitive les règles sont transparentes, bien définies si on prend vraiment la peine de s’y plonger, et s’appliquent à tous d’après des critères plus ou moins objectifs. 

EN SUISSE

Disons-le franchement : en Suisse, les racistes et xénophobes de tout poil ont pignon sur rue et ne s’embarrassent pas de subtilités pour faire passer leur message. Quand ce ne sont pas les affiches électorales qui représentent les étrangers indésirables en brebis galeuses, ignominieusement jetées hors du pré carré helvétique à coup de sabots, ce sont les frontaliers italiens, français ou allemands qui se voient comparés à des corbeaux, à des rats ou alors désignés sous le sobriquet affectueux de «racaille d’Annemasse». À cette aune, les quelques courageux qui bravent un climat si hostile pour aller étudier dans la petite république alpine sont sûrement boutés hors de Suisse comme le mouton noir de l’affiche UDC dès l’obtention de leur diplôme ?

Non, non, non, et non. Sur le site de l’Office fédéral des migrations, un court article publié en juin 2010 et intitulé Admission facilitée pour les ressortissants d’États tiers diplômés d’une haute école suisse annonce la couleur : 
Le 18 juin 2010, le Parlement a accepté l’initiative parlementaire Neirynck qui prévoit une modification de l’art. 21 de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr). Cette décision implique que les étrangers diplômés d’une haute école suisse pourront être admis sans tenir compte de l’ordre de priorité défini à l’art. 21 LEtr. Le séjour leur sera provisoirement accordé pendant les six mois suivant la fin de leur formation ou de leur perfectionnement en Suisse pour leur permettre de trouver un emploi en adéquation avec leur diplôme. Seuls les diplômés aspirant à des postes importants du point de vue économique ou scientifique bénéficieront d’une autorisation de travail. La modification de loi entrera en vigueur le 1er janvier 2011.
Tout est dit en quelques courtes lignes. En Suisse, les racistes glapissent, et les populistes gémissent, mais des lois sensées entrent malgré tout en vigueur, en fonction de l’intérêt du pays, et pas pour séduire un électorat de beaufs incultes qui mettent tous les étrangers dans le même sac et les rendent responsables de tous les maux du pays.

Je crois que cela suffit : j’ai fait ma démonstration. Les règles applicables aux États-Unis étaient trop compliquées à trouver, donc je ferai sans. Mais vous voyez où je veux en venir : il n’y a donc qu’en France que la situation est aussi défavorable aux diplômés étrangers, et ce au mépris des lois existantes. Il n’est pas farfelu d’imaginer les conséquences désastreuses pour l’attractivité internationale de nos universités, si cette situation devait perdurer. À terme, comme l’a dit un de mes amis marocains (et récemment naturalisé français, heureusement pour lui), on en arriverait presque à souhaiter que les anciennes colonies françaises se détournent de la francophonie et adoptent l’anglais comme langue d’enseignement et de travail, pour réagir à ce mépris avec lequel leurs ressortissants sont traités en permanence : ainsi, il y aurait bien moins de candidats à l’immigration en France. Notre pays n’aurait peut-être plus que le rayonnement culturel de la Pologne ou de la Finlande à l’échelle mondiale, mais nos beaufs de Vitrolles ou d’Orange voteraient alors peut-être, oui peut-être, UMP plutôt que FN, et bien sûr ne seraient plus embêtés par personne pour organiser leurs apéros préférés...

C’était donc ça la «France d’après» ?
Ma foi, je ne suis pas mécontent d’être parti alors.
Le dernier qui sort pensera à éteindre la lumière ?

mercredi 26 octobre 2011

Le vol noir des corbeaux sur nos plaines - 1ère Partie : la circulaire Guéant

Dites, les gens, ça pue en France en ce moment, ne trouvez-vous pas ? Ça sent tellement mauvais que même chez nous à Berlin, par jour de grand vent, un remugle nauséabond venu de l’ouest empeste l’atmosphère. Même qu’aujourd’hui, alors qu’il n’y a pas un souffle de vent dans la pièce où j’écris ces lignes, ça fouette à la limite du supportable. Wait a minute, je checke mes semelles au cas z’où, parce que j’ai soudainement un doute : cette puanteur fétide ne saurait être l’arôme de notre doulce France tout de même... Semelle gauche OK, semelle droite... Ach, verdammte Kacke! Non mais vraiment, un instant de distraction sur les trottoirs de Friedrichshain, ça ne pardonne pas.

Pardonnez-moi cette brève interruption... Je disais plutôt : la pestilence gauloise n’a rien à voir avec l’odeur putride qui émane de mes souliers, ni avec les odieuses calomnies proférées par ces peuplades semi-barbares jalouses de notre prestigieuse industrie des parfums de luxe, et qui par dépit et dérision ont inventé des expressions peu flatteuses telles que französisch duschen (se laver à la française) ou to have a French shower chez les Rosbifs : par là, ils désignent le fait de faire sa toilette avec du parfum et/ou du déodorant plutôt qu’avec de l’eau et du savon. Le fait même que ces peuples de rustres mal lavés au teint couperosé et aux dents jaunes aient inventé une expression toute faite pour décrire ce genre de pratiques en dit long sur eux-mêmes, quand bien même ils accusent injustement les Français d’avoir ces habitudes peu hygiéniques trop peu répandues chez nous pour qu’on songe à leur donner un nom.

Non, ce ne sont pas les aisselles des 65 millions de Français qui sentent mauvais par-delà les frontières hexagonales, mais plutôt les éructations d’un trop grand nombre de nos dirigeants qui ne savent plus quoi inventer pour courtiser frénétiquement la frange la plus frileuse et frontiste de l’électorat français, fracturant froidement notre idéal de fraternité. Et malheureusement, des hectolitres de bains de bouche Eludril ou des tonnes de bonbons Fisherman’s Friend ne risquent pas de régler ce problème qui n’est pas d’ordre strictement hygiénique.

Mais trêve de bavardage. Après quatre ans de sarkozysme, ou devrions-nous dire, de hortefisme, de bessonisme, de guéantisme et plus clairement de désignation systématique des étrangers comme responsables de tous nos problèmes, la France pue, bien plus que si elle était tout en Roquefort. Le racisme repart à la hausse et est à nouveau accepté et valorisé car «iconoclaste», «anti-conformiste». L’une des toutes dernières excrétions méphitiques de l’équipe gouvernementale, c’est cette «circulaire» de Claude Guéant, l’actuel ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer (aïe !), des Collectivités territoriales et de l’Immigration, un de ces politiciens visionnaires que le monde entier nous envie et qui, comme souvent en Sarkozie, n’a jamais été un élu du peuple. De préfecture en préfecture, de secrétariat général en ministère, c’est à un flic-technocrate sans la moindre légitimité populaire que nous devons ce dernier oukase en vertu duquel les étudiants étrangers, à l’issue de leur cursus dans des établissements français, se heurtent à des difficultés gigantesques et jusqu’ici insoupçonnées pour obtenir les documents les autorisant à rester en France afin d’y chercher un emploi, voire, dans les cas les plus ahurissants, pour rester légalement en France pour commencer à exercer une activité professionnelle alors qu’ils ont déjà été embauchés.

OUI NIDE IOU, beutte onnely if iou are Frêneche or
atte ze rigueur fromme zi Iouropillane Iounionne.
Ozeurouailze, djeuste feuque euffe tou iour caountry
foulle ove Bougnoules or Blaque pipeule or ouatéveur.
La «circulaire Guéant», vous en avez sûrement déjà entendu parler. Vous avez certainement vu ces extraits édifiants qui décrivent par le menu les situations absurdes créées par l’application de cette circulaire.

Certains au gouvernement voudraient rassurer l’opinion et faire taire les critiques en soulignant que la circulaire n’est qu’un simple «rappel de la loi». On ne demande qu’à les croire, mais la circulaire, que j’ai lue dans sont intégralité, dit très exactement ceci dans son introduction et la même chose en substance en conclusion :
“Le Gouvernement s'est fixé pour objectif d'adapter l'immigration légale aux besoins comme aux capacités d'accueil et d'intégration de la société française. [...] cet objectif implique une diminution du flux. [...] En effet, la priorité doit être donnée à l'insertion professionnelle des demandeurs d'emploi aujourd'hui présents, qu'ils soient de nationalité française ou étrangère, résidant régulièrement en France. La procédure de changement de statut (étudiants demandant un titre de séjour professionnel) devra faire l'objet d'un contrôle approfondi. L'exception prévue pour les étudiants qui sollicitent une autorisation provisoire de séjour dans le cadre d'une recherche d'emploi doit rester rigoureusement limitée. Le fait d'avoir séjourné régulièrement en France en tant qu'étudiant [...] ne donne droit à aucune facilité particulière dans [...] la délivrance d'une autorisation de travail.”
De plus, la circulaire stipule, dans au moins deux passages différents, que «les étudiants étrangers ont prioritairement vocation, à l’issue de leur séjour d’études en France, à regagner leur pays». On va tout de même bien plus loin qu'un simple et salutaire rappel de la loi, puisque la loi ne demande nullement aux préfets de «diminuer» quelque flux que ce soit, ni de renvoyer chez eux les jeunes diplômés venus de pays étrangers dans le premier avion à destination de la Bougnoulie une fois leur cursus achevé. Elle ne préconise pas non plus d’appliquer la préférence nationale chère au FN depuis 1985. En fait, la loi dit plutôt ceci :
 “L'étudiant étranger, qui vient d'obtenir en France un diplôme au moins équivalent au master et qui souhaite, en vue d'un retour dans son pays, compléter sa formation par une première expérience professionnelle en France, peut demander une autorisation provisoire de séjour, sous certaines conditions (diplôme, salaire...).
Cette autorisation provisoire lui permet de travailler et, à son échéance, éventuellement de poursuivre son expérience professionnelle en France.
Certaines nationalités bénéficient de conditions plus favorables de délivrance.
[...]De plus, l'étudiant doit présenter un diplôme figurant sur une liste fixée par arrêté. Cette liste mentionne notamment  :
  • le diplôme de master,
  • le diplôme d'études approfondies (DEA) ou d'études supérieures spécialisées (DESS),
  • le diplôme d'ingénieur délivré par un établissement habilité,
  • le diplôme de recherche technologique, le doctorat et l'habilitation à diriger des recherches,
  • le diplôme d'État de docteur en médecine, chirurgie dentaire, pharmacie,
  • [...]
Il n’est dit nulle part que c’est une «exception» que de se voir accorder une autorisation provisoire de séjour, mais plutôt un droit dont jouit chaque diplômé étranger qui remplit les conditions clairement définies. Un simple «rappel de la loi», vraiment ?

Par ailleurs, le législateur demande aux entreprises et aux employeurs de se conformer à un certain nombre d’obligations essentielles relatives au versement des cotisations sociales, aux normes de sécurité, à la formation professionnelle, à l’emploi des travailleurs handicapés ou des «seniors». Jusqu’ici, rien que de très normal. Mais la circulaire Guéant poursuit son rappel de la loi de manière pour le moins innovante et créative, en suggérant explicitement aux préfectures d’opposer un «avis défavorable» aux sociétés qui, par le passé, se seraient fait pincer sur un manquement aux obligations précitées, et empêcher ainsi lesdites entreprises de recruter des diplômés étrangers. Ces derniers n’ont évidemment rien à voir la faute en question, si minime ou si énorme soit-elle, mais ce sont eux qui vont payer les pots cassés et les erreurs de leurs employeurs potentiels. En gros, l’idée ici c’est : «Non, désolé, en mars 2009 il vous manquait un quinquagénaire unijambiste pour que vous remplissiez votre quota de travailleurs handicapés, par conséquent vous n'allez pas pouvoir recruter cette doctorante mexicaine, qui d'ailleurs va devoir gicler fissa, tiens d'ailleurs casse-toi Conchita, t'as assez traîné tes guêtres chez nous. Allez, ouste, retourne boire de la tequila et danser la cucaracha avec Speedy Gonzalez, hop, hop, hop !».

Dans un tel climat, après quatre années de vomissage permanent sur tout ce qui n’est pas assez français (cinq ans si on compte la dernière campagne présidentielle), on comprend presque que les Préfectures aient fait l’impasse sur l’absurde batterie de vérifications tatillonnes à effectuer avant d’accorder les précieuses autorisations, dans un contexte de réduction du nombre de fonctionnaires, et choisi d’appliquer la consigne avec un zèle systématique, au mépris des lois dont la circulaire n’est pourtant qu’un simple «rappel» (n’est-ce pas), plongeant dans le désarroi des centaines de jeunes âgés de 20 à 30 ans, Africains, Maghrébins, Nord-Américains, Asiatiques ou autres, qui n’avaient pas la moindre idée du piège qui se refermait sur eux alors qu’ils validaient leurs derniers crédits au printemps dernier, ou qui ne s’imaginaient pas de telles difficultés lorsqu’ils décidèrent de s’inscrire dans telle ou telle grande école ou université française il y a 3 ans ou plus.

Merci aux Inrocks pour ce chouette cliché de notre ministre préféré
J’ai eu la chance de fréquenter un établissement supérieur jouissant d’une bonne réputation hors de nos frontières, où de nombreux étudiants non européens choisissaient d’effectuer une partie ou la totalité de leur cursus. En même temps que je me suis lié d’amitié avec nombre d’entre eux, je les ai vu s’attacher à la France et choisir d’y rester, pour la plupart d’entre eux, une fois leur diplôme obtenu, se trouver de bons jobs, payer leurs impôts, bref, enrichir la France, matériellement mais sans doute à tous les sens du terme, tout en y construisant leur vie. C’était la moindre des choses de leur donner la possibilité de rester, plutôt que de les chasser ignominieusement en raison d’une quelconque «vocation à retourner dans leur pays». Fatalement, je trouve cette directive complètement absurde, tout comme cette mise à hystérie grandissante contre l’ensemble des étrangers en France.

Beaucoup de choses ont déjà été dites, écrites et diffusées sur les ondes, depuis que cette circulaire a atterri dans les préfectures, avec la discrétion furtive d’un fax, plutôt que par le biais d’un bruyant débat parlementaire (le suffrage universel et les débats démocratiques n’étant pas le fort de notre ministre-flic). Je vous propose de lire cet excellent article de Slate.fr, qui exprime en mieux une bonne partie des pensées que cette circulaire m’inspire. Au lieu de répéter et paraphraser tous ces arguments, plutôt que de me joindre au chœur des indignés, je vais, dans un deuxième volet, démonter cette illusion (ou ce mensonge) selon laquelle «c’est pareil ailleurs». Car enfin, non ce n’est pas pareil. Les faits sont là et ne demandent qu’à être exposés. Voilà.

Au fait, pourquoi parlé-je de corbeaux noirs dans le titre de ce billet ? Parce que nos trois derniers ministres de l’Intérieur, par leurs discours de rejet et leur «idées» de génie, me font penser à l’affiche suivante :

Des corbeaux (forcément étrangers) dépècent la Suisse. Oh qu’ils sont vilains !

Notre gouvernement n’emploie peut-être pas la terminologie crue de l’extrême-droite suisse (enfin, pas toujours), mais les idées sont les mêmes à 100%. Cependant, pour moi, ces trois corbeaux ne symbolisent pas les étrangers prédateurs qui viennent jusque dans nos bras, égorger nos fils et nos compagnes, mais plutôt la malveillance hypocrite de ce gouvernement, en particulier les trois ministres de l’Intérieur qui se sont succédé ces quatre dernières années : Riri, Hortefifi et Cloclo. À très bientôt pour le 2ème volet.

Affiche électorale d’extrême droite suisse.
La symétrie avec les propos de l’UMP est plus que frappante.

vendredi 21 octobre 2011

Beauté de Berlin : Les scintillements de Köpenick

Comme les saisons se hâtent, dans ces contrées septentrionales ! Mais où vont-elles si vite ? En Martinique aussi, nous avons des saisons, mais elles sont nettement moins tranchées, et la transition entre l’une et la suivante s’étale tranquillement sur 3 à 6 mois. Point n’est besoin de se presser : les choses évoluent lentement, sans brusquerie, au rythme antillais. Il y a la saison sèche (le «Carême») et la saison humide, qu’on appelle «hivernage» aux Antilles, et qui, pour pluvieuse qu’elle soit, reste nettement plus chaude et plus sèche que le plus chaud et sec des étés allemands. Il y a la saison des juteuses mandarines, la saison des savoureux melons sucrés, la saison des quénettes à grosse graine et la saison des mangues charnues. La saison des glycérias en fleurs, autour du Carnaval, et la saison où les flamboyants flamboient de leurs couleurs ardentes, en «été» (un terme qui n’a pas vraiment de sens chez nous), plus exactement au début de l’hivernage. D’ailleurs, tant qu’on y est, il y a la saison du Carnaval et la saison du «non-Carnaval». Et toutes ces périodes commencent en douceur et s’achèvent progressivement, se chevauchent allègrement (même le Carnaval et le non-Carnaval, c’est dire), et laissent à l’îlien le temps de s’habituer à la nouvelle condition végétale et atmosphérique, sans traumatisme aucun.

Ici, à Berlin, point de tout ceci. En quelques jours à peine, on bascule de l’été à l’Altweibersommer, qui cède brutalement sa place à l’automne, froid et venteux. Il faut s’y faire, et en profiter à fond, jusqu’à la toute dernière minute de soleil, et surtout, de douceur relativement estivale. Début octobre, alors qu’il était encore possible de flâner sans risquer de contracter une pneumonie, j’ai profité des dernières belles et chaudes journées du Goldener Oktober pour enfourcher mon vaillant Holland-Rad et partir à la découverte du quartier est-berlinois de Köpenick. Il est même possible que quelques gouttes de sueur aient perlé sur mon front, mais je n’en suis plus trop certain... trois semaines après les faits, la seule pensée d’avoir chaud en-dehors d’un sauna semble déjà complètement inconcevable. Mais reprenons. Ici Köpenick, disions nous.

Vue de la Dahme et du «Fischerkietz» (le village des pêcheurs) depuis les jardins du Château de Köpenick.

En amont du centre de Berlin, en remontant la Spree plein est sur 12 km en partant de Friedrichshain (ou dix-huit kilomètres depuis le Reichstag, ah, les distances à Berlin), on atteint la ville de Köpenick, rétrogradée au rang de simple quartier de la capitale prussienne en 1920 par la loi d’extension de Berlin. Pourtant, Köpenick la slave, en tant que centre urbain, est plus ancienne et se targue d’une bien plus longue histoire que le village allemand en aval, qui allait la concurrencer, la supplanter et finalement l’absorber après un millénaire de bon voisinage. Un village fondé par la mystérieuse tribu slave des «Sprévanes» ou «Sprewanen», au confluent de ces rivières qu’on appelle aujourd’hui la Spree et la Dahme, a été attesté dans des chroniques officielles sous le nom de Copnic vers la fin des années 1100 et quelque, plusieurs décennies avant la fondation de Berlin, et s’appelait encore officiellement «Cöpenick» avec un C jusqu’en 1931, année où l’on opta pour une nouvelle orthographe. Non mais c’est vrai quoi, avec un K, Köpenick, c’est incomparablement plus chic, plus typique, plus germanique.

Les reflets du Château de Köpenick, construit sur une petite île en 1558, modifié en 1677 dans un style baroque (curieusement je lui trouve un aspect bien plus «moderne»), et rénové en 2004, scintillent sur la Dahme.
Il y a bien longtemps (j’imagine, car après tout j’y étais pas) que Köpenick a perdu son caractère slave, et est devenue teutonne bon teint. Néanmoins, loin de s’être dissoute dans l’anonymat de la capitale prussienne, elle conserve son identité à part, et il faut un certain effort pour se rappeler qu’on est encore à Berlin plutôt que dans quelque paisible village pittoresque en bordure de rivière, où vivotaient encore des pêcheurs il y a un siècle. Tant de végétation, tant d’eau, c’est un régal pour l’insulaire que je suis. Un dimanche ensoleillé à Köpenick, c’est déjà un début de vacances loin de la ville.

Le crépuscule du dimanche 2 octobre près du centre de Köpenick, à la confluence de la Dahme et de la Spree

La Spree rougeoie sous le ciel d’octobre

En plus de la Spree et de la Dahme, une autre vaste étendue d’eau baigne la région et lui donne encore plus d’attrait : le Müggelsee, grosse bassine ovale de 4 kilomètres sur 3, est le plus grand des lacs de Berlin. Il est principalement entouré de pinèdes, de modestes collines et de quelques petites plages ombragées. La Spree s’y déverse à l’est et en ressort à l’ouest, un peu comme le Rhône avec le lac Léman mais à une échelle bien plus réduite. Ses eaux bleues, tièdes et peu profondes (8 mètres de profondeur maximale !), scintillent généreusement pendant les journées d’été et se prêtent à la baignade et aux activités nautiques durant une bonne partie de l’année.

Le Müggelsee scintille à Friedrichshagen, un hameau proche de Köpenick, sous le soleil d’octobre.
Le fan de Harry Potter que je suis a été fort marri d’apprendre que le Müggelsee n’a absolument rien à voir avec les Muggles (en allemand, die Muggel), même si je n’aurais pas forcément osé parier une fortune là-dessus. Le «Lac des Moldus», voilà un nom qui enverrait du lourd. Mais non. Le mot «Müggel», avec un Ü, qui donne leur nom au lac, aux collines, au village de Müggelheim juste à côté, etc, a une obscure étymologie slave avec laquelle je n’ai aucune envie de vous barber là tout de suite... une prochaine fois peut-être ?

Un généreux soleil illumine le lac en des reflets éblouissants. C’était il y a 19 jours seulement...

L’inconvénient de la baignade au Müggelsee, du fait de sa faible profondeur, c’est qu’il faut patauger sur une longue distance pour enfin parvenir au grand bain où l’on peut nager librement au-dessus de la vase. Inversement, après le bain, une longue marche s’impose avec l’eau à mi-mollet pour regagner la berge sableuse. Du coup, pendant que vous vous évertuez à photographier les reflets du soleil sur le lac, un baigneur naturiste peut surgir dans votre champ sans crier gare et promener nonchalamment sa nudité devant votre objectif pendant de longues minutes, sans complexe ni pudeur. Ici, à l’Est, le nudiste est roi, et c’est pas forcément joli-joli. Âmes sensibles s’abstenir donc. Mais pour voir le lac à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, disons qu’il n’y a absolument aucun risque qu’un monstre façon Loch Ness, ou quelque autre abominable créature chthonienne, ne se tapisse dans 8 mètres de profondeur et vienne terroriser les baigneurs tous nus, voire mordre à l’hameçon... C’était le défi du mois, placer le mot «chthonien» dans un billet. Je m’en sors plutôt bien non ? C’est d’ailleurs un bien joli mot à remettre au plus vite au goût du jour. Je m’y attellerai ASAP.

Pinède dans les Landes ou banlieue boisée de Berlin ?
Un petit lotissement entre Schöneweide et Köpenick

Se baigner, avec ou sans vêtements, se balader à vélo, admirer le château, s’émerveiller des scintillements de la Spree et du Müggelsee... Que faire de plus à Köpenick ? Ce ne sont pas les possibilités qui manquent. Les mélomanes (ou pas) peuvent assister aux méga-concerts en plein air de la Kindl-Bühne Wuhlheide en été ; les footeux préféreront tenter l’expérience d’un match de la 1. FC Union, LE club de foot de Berlin-Est, qui évolue habituellement en deuxième Bundesliga et affronte parfois le Hertha BSC de l’ouest lors de derbys épiques. À ce qu’il paraît, voir l’Union jouer à domicile est une expérience à vivre absolument. Mais de telles activités se prévoient longtemps à l’avance. Lorsque l’on improvise un dimanche à Köpenick, il faut voir plus petit. On peut, par exemple, s’amuser à repérer les innombrables statues d’artistes est-allemands qui décorent les pelouses un peu partout et s’amusent à surprendre le promeneur au détour d’un sentier. 
    

Une statue dont j’ai oublié de noter le nom
  
Ingeborg Hunziger, Vater mit Kind, 1958

Theo Balden, Geschwister («Frère et sœur»), 1974

Très joli et très rigolo tout ceci. Une fois que l’on s’est bien fatigué à vélo, que l’on a bien sué à la plage, assez barboté au milieu des nudistes, et que l’on s’est suffisamment extasié devant la fine fleur de la sculpture est-allemande, l’on peut se remettre de ses émotions en s’offrant un verre de Federweißer bien mérité, la version allemande du «vin bourru», blanc, sucré et trouble, à consommer bien frais pendant les vendanges.

Un verre de Federweißer à la terrasse du Schlosscafé (Café du Château)
Et voilà ! Vous avez passé un merveilleux dimanche de début d’automne à Köpenick ! Signe du destin, deux jours plus tôt, je rentrais à Berlin après quelques jours d’absence, et j’ai eu la chance d’admirer et d’immortaliser un coucher de soleil sur le Müggelsee depuis mon hublot. Sur la photo, on voit très bien la Dahme, qui serpente à travers la largeur de l’image, et s’élargit vers la gauche (en fait, le sud) pour donner le Langer See de Grünau, connu entre autres pour ses régates d’aviron. À droite (vers le nord), vous reconnaissez la grande bassine du Großer Müggelsee, et pouvez même voir la Spree qui s’en écoule vers l’arrière-plan (l’ouest) et part à la rencontre de la Dahme.

Spree et Dahme, Langer See et Müggelsee, le 30 septembre 2011

Et, trois jours plus tard, finie la récré ! Comme ça, brutalement, sans transition. Ce qui est bien à Berlin, c’est qu’on sait qu’une fois que l’été est terminé, il est vraiment fini pour de bon. Il n’y aura pas de supplément. Il est donc déjà temps de ranger les tenues estivales, de ressortir les manteaux et les pulls épais, de remettre de l’imperméabilisant sur ses chaussures, et, si on est un con-sommateur un peu débile, de commencer à faire provision de Lebkuchen et de calendriers de l’Avent.

La dernière journée de soleil et de douceur de l’année, c’était le 4 octobre.
Il va falloir patienter jusqu’en 2012 pour la prochaine !


mercredi 19 octobre 2011

Occupy the Reichstag (révolution d’Octobre)

Samedi 15 octobre vers 18h à Berlin

Q : Quel est le point commun entre le mouvement Occupy Wall Street et les semblables d’Alessio Rastani, ce «trader freelance» parfaitement inconnu jusqu’à une interview choc qu’il a accordée à la BBC fin septembre au cours de laquelle il a fait avaler son oreillette à une journaliste chevronnée à l’irréprochable diction oxfordienne ?



R : Eh bien ces deux groupes, que tout semble opposer, s’accordent sur le constat que les banques jouissent d’un pouvoir considérable. Pour reprendre les mots du trader gominé, elles «gouvernent» le monde. Mais alors ce dernier semble s’en accommoder parfaitement, cet état de fait est précisément le nœud d’un problème inacceptable aux yeux des contestataires (et on les comprend).

Samedi 15 octobre, à Berlin comme dans plusieurs autres villes allemandes, et plus de 900 villes à travers le monde, une grande manifestation solidaire avec le mouvement Occupy Wall Street a été organisée. Pourtant, avec un taux de chômage tombé sous la barre des 7% cette année, le pourcentage le plus bas depuis la réunification, l’Allemagne ne constitue pas, à première vue, le terreau le plus fertile à ce mouvement de contestation du capitalisme financier, qui n’a pas provoqué les mêmes dégâts qu’en Irlande, aux États-Unis ou en Grèce. Mais il faut bien dire que les Berlinois ont la manif’ facile, et ne sont pas du genre à se faire prier pour descendre dans les rues et agiter des pancartes. Manifester contre les aires de survol aérien du futur aéroport ou contre l’autoroute A100, contre le nucléaire ou contre les industries polluantes qui émettent trop de «Céodeux», contre le pape ou contre les anti-papes, ou alors contre les anti-papophobes, contre les «nazis» ou contre les néo-anti-nazis, contre les «violences» policières et contre les viols, contre les mosquées ou contre l’homoxénotransphobie... Quel que soit le mouvement de protestation dans l’air du temps, quelque part dans le monde, il se trouvera toujours des groupes pour y faire écho dans la capitale allemande, comme si le Berlinois avait besoin de se trouver une caution idéologique pour aller se promener par une belle journée d’automne. J’exagère ? Pas si sûr. Après tout, ce n’est pas moi qui ai soufflé sa réplique à Jessica B., qui a répondu lors d’un micro-trottoir : «I think it’s good. I’m for protests of every kind. [...] It’s good that the western world is beginning to protest against something though.» Édifiant.

Cependant, ce serait injuste de tout mettre sur le compte d’un engouement local pour la contestation en général. Selon la presse, environ 10.000 personnes se sont déplacées à Berlin pour exiger un monde plus démocratique, où ce sont les peuples et leurs émanations légitimes (les gouvernements) qui décident, pas des institutions financières opaques et soucieuses de profits à court terme. Le fait qu’un tel message mobilise autant dans un pays à l’économie prospère et qui ne souffre pas directement des problèmes dénoncés ne fait que renforcer le message de ras-le-bol mondial.

Voici quelques photos pour traduire l’ambiance devant un Reichstag rougeoyant ce samedi, à l’heure du coucher du soleil.

De toute évidence, de nombreux manifestants on préféré venir à vélo, les risques pesant sur le métro et le S-Bahn étant encore trop lourds après une semaine d’alertes à la bombe dans la ville.



Le masque devenu emblématique de la contestation :


Autre slogan déjà emblématique du mouvement Occupy Wall Street, et le journal qui va avec.



Quelques contestataires ont tenté de camper sur les pelouses du Reichstag, mais ont été promptement délogés par la maréchaussée dans la soirée. Après tout, lesdites pelouses sont l’un des rares endroits de la ville où il est strictement interdit d’organiser des barbecues, alors le camping, pensez-vous... Le tableau d’école dit : «Nous sommes votre dernière crise».


Yes We Camp! Zeltstadt Berlin (un jeu de mots sur Weltstadt, «ville d’envergure mondiale», et Zelt, «tente»). Oh, oh, oh, mais qu’est-ce qu’on s’marre.




«Ceux qui changent le monde sont ceux qui s’en croient capables». Ce n’est pas faux dans le fond. Comme de dire qu’au loto, 100% des gagnants ont tenté leur chance.



«Nous sommes le peuple : ça ne vous rappelle rien ?» Wir sind das Volk est resté l’un des slogans marquants des protestations de masse en RDA en 1989, celles qui ont fait chuter le régime socialiste de Honecker. Rappel salutaire.



Les mouvements apparentés aux partis communistes étaient très présents, surfant sur la vague de mécontentement populaire et récoltant des soutiens à peu de frais.



Une manif’ à Berlin sans femme nue au regard dément n’est pas une vraie manif’! Certaines se prendraient presque pour la Liberté de Delacroix.




«Assez payé les pots cassés» dit (en substance) cette pancarte rageuse.




«Qu’est-ce qui est pire : dévaliser une banque, ou en fonder une ?» C’est vrai que la subtilité, c’est bien, mais point trop n’en faut.



«La solution : partager les ressources mondiales». Je me méfie toujours quand des Allemands lancent un mouvement d’«occupation» et s’empressent de trouver des «solutions». Oui je sais, elle était trop facile celle-là, mais c’était plus fort que moi !



J’ai parlé à ce monsieur et je peux témoigner qu’il n’était pas grec. C’est la solidarité qui s’exprime ici et pas le chacun-pour-soi.



«Votr€ drogu€ n€ fait plus d’€ff€t»«Et maintenant, ça cogne». Allons donc. Sont-ce des menaces, jeunes gens ?

Ah, une autre tarte à la crème présente à chaque manifestation à Berlin cette année... c’est qu’on se serait presque inquiété de son absence jusqu’ici !


Tiens, revoici notre jeune contestatrice qui n’a pas froid aux yeux... Avant que vous ne me clouiez au pilori pour atteinte à la personnalité de cette jeune dévêtue, sachez que le journal Stern a fait bien pire sur son édition en ligne !



Un grand sit-in devant le Reichstag au crépuscule. L’ambiance était vraiment bizarre. Des meneurs hurlaient des slogans et la foule devait répéter. Ceux qui bavardaient se faisaient rabrouer sans ménagement. L’analogie avec une sorte de messe noire anti-capitaliste n’est pas exagérée.



Comme je disais tout récemment à un ami : il est difficile de croire que ces manifestations de hippies et d’excentriques dénudés changeront la donne. Mais quand on y pense, lorsque les manifestations contre le régime ont débuté en Tunisie, j’ai mis longtemps à croire qu’elles avaient une chance de renverser la dictature, et elles y sont parvenues. L’avenir nous le dira. En tout cas, c’est peut-être une banale coïncidence, ou alors un signe du destin, mais deux jours après les manifestations, la redoutable banque Goldman Sachs, grand bénéficiaire de la déréglementation financière à tout crin et très critiquée pour son rôle dans la crise actuelle, a annoncé un résultat dans le rouge au troisième trimestre de cette année : la banque a enregistré une perte de 428 millions de dollars, sa deuxième perte depuis 1999. Comme quoi, même Goldman ne gagne pas à tous les coups...

vendredi 14 octobre 2011

Péril rouge : Quand l’extrême-gauche déraille

Pour ce billet, contrairement à mon expérience habituelle au bout de 139 articles, j’ai hésité entre une flopée de titres possibles, qui me paraissaient tous aussi bons les uns que les autres : «Berlin c’est littéralement de la bombe» (haha), «Berlin brûle-t-il ? Acte II» (pour mémoire, l’acte I, cest par ici), «La Terreur rouge», «Coup d’Hekla des énervés de gauche», «Berlin, ses bars, ses cocktails Molotov», «Lextrême-gauche a le feu sacré», etc, etc. Bref, il n’y avait que l’embarras du choix. Mais en fin de compte, j’ai choisi la sobriété, ne me sentant ni particulièrement «terrorisé», pour l’instant du moins, ni d’humeur à aller défier L’Équipe sur son terrain favori qu’est celui des jeux de mots pourris.

Engels, Marx et Lénine, «Conseillers de crise» de la
Deutsche Kommunistische Partei (en 2011).
Ciel ! Les Bolcheviks ont débarqué ! 
Le Péril rouge, ce n’est peut-être pas une formule très originale, mais cette expression un peu vieillotte pose d’emblée le sujet sans aucune ambiguïté, et a le mérite d’être également en phase avec l’actualité française, puisqu’elle fait écho aux dernières déclarations alarmistes de notre impayable Jean-François, qui devait être franchement à Copé de ses pompes, à agiter ainsi la peur des «Bolcheviks», ces épouvantails d’il y a 94 ans qui ont dû traumatiser son enfance, à force d’entendre les radotages de grand-papa qui pestait sans cesse, de sa voix éraillée, contre ces affreux satanistes bolcheviques lors des déjeuners dominicaux en famille, toussant dans son verre de vermouth. Non mais vraiment, hein. J’en dis que ses Meaux ont dépassé ses pensées... ou alors il était UMPeu soûl ? Mais passons.

S’il est un pays qui a un vrai problème d’extrême-gauche, ce serait plutôt l’Allemagne, qui a subi cette semaine une énième recrudescence d’actes de vandalisme et d’attaques incendiaires revendiquées par des groupuscules extrémistes, une spécialité de la maison. Étrangement, la nouvelle est passée quasiment inaperçue dans les médias français, donc pour ceux et celles d’entre vous qui ne seraient pas au courant, je résume en quelques mots : lundi, une explosion a endommagé l’infrastructure de la ligne à grande vitesse Berlin-Hambourg et provoqué des retards considérables. Une formation jusqu’ici inconnue, se faisant appeler «Hekla», comme un volcan islandais du même nom (un choix des plus judicieux, quand on se souvient de l’incroyable boxon causé par l’Eyjafjallajökull l’an dernier) a alors immédiatement revendiqué l’attaque et exigé dans la foulée le retrait des troupes allemandes d’Afghanistan, la libération du soldat américain Bradley Manning, ce jeune héros de Wikileaks embastillé par l’armée américaine, la fin des guerres, la semaine des quatre jeudis, cent balles et un Mars. Depuis cet Hekla de colère, ce ne sont pas moins de 17 engins explosifs qui ont été retrouvés par la police cette semaine, à la gare centrale de Berlin ou à proximité immédiate des rails des lignes de S-Bahn un peu partout dans la ville, avant ou après détonation, semant ainsi la confusion sur les lignes ferroviaires berlinoises qui commençaient à peine à se remettre de deux ans de chaos et d’incidents en chaîne, et à regagner la confiance des usagers.

Il n’y a pas lieu de céder à la panique : la bande à Baader n’est pas de retour parmi nous, mais je trouve nos sympathiques Genossen, d’habitude doux comme des agneaux, particulièrement virulents cette année. Il y a eu l’épidémie de voitures incendiées à Berlin-Ouest en août, des attaques jamais revendiquées mais «peut-être proches des mouvements de gauche» selon la police. Il y a eu le sabotage incendiaire, et clairement revendiqué, à la gare d’Ostkreuz (une gare importante à Friedrichshain) en mai, qui a mis le S-Bahn KO pendant deux jours et privé des milliers d’habitants du quartier, y compris votre dévoué chroniqueur, de téléphone et d’internet durant cette même période, des câbles optiques ayant également été endommagés... Il y a eu les menaces proférées en début d’année, pour protester contre la hausse des loyers ou «venger» les expulsé de la communauté «Liebig 14», dont on attend encore la mise à exécution. Et la liste continue...
La contribution communiste aux
50 ans du mur a fait des vagues

Si encore ces actions déplorables n’étaient que le fait d’une poignée d’illuminés mal lavés ou de groupuscules isolés, ce ne serait pas si grave. Mais ce n’est malheureusement pas le cas : l’idéologie délétère de cette extrême-gauche «décomplexée» contamine lentement mais sûrement certains médias et partis politiques, à la faveur des multiples rebondissements de la crise financière mondiale, et du temps qui passe, efface lentement la mémoire des crimes de la Stasi et les douleurs de l’oppression, et remet l’Ostalgie de plus en plus au goût du jour. Le 13 août dernier, à l’occasion de la commémoration de l’édification du Mur de Berlin, le journal marxiste et fier de l’être Junge Welt avait publié une édition spéciale où il «remerciait» en couverture les politiciens de la RDA pour «28 ans de paix en Europe, 28 ans sans soupes populaires ni SDF, 28 ans sans hedge-funds, 28 ans d’éducation pour tous et de Freikörperkultur», qui ont donc été rendus possibles par... autant d’années de division physique de la capitale allemande par cette «barrière de protection anti-fasciste», et par l’assassinat de 136 fugitifs, dont beaucoup d’enfants. Ah bah c’est sûr que laisser mourir des enfants dans la Spree en restant les bras croisés, cela en vaut bien la peine s’il est question de défendre le sacro-saint FKK, car enfin, on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs, c’est bien connu... Qui a dit que le révisionisme était forcément une tare qui affectait les sympathisants de l’extrême droite ? L’indignation a atteint des sommets à l’échelle nationale. Mais deux mois après, qu’en est-il ? Fichtre rien. Junge Welt continue de paraître quotidiennement à vingt mille exemplaires, et le monde ne s’est pas arrêté de tourner.

Camarade Latschoum, la Rouge
à la veste en skai
Le jour de la commémoration, le parti politique Die Linke (j’en parlais de manière un peu moins critique l’an dernier), qui a passé les 10 dernières années à prendre part à la coalition «rouge-rouge» qui gouvernait l’État de Berlin, s’est lui aussi retrouvé au centre d’une polémique hallucinante, certains de ses membres qui participaient à une convention publique ce 13 août ayant refusé de prendre part à une minute de silence à la mémoire des victimes de cette répression criminelle et aveugle. Même pas à la mémoire des enfants. La controverse a duré des semaines avant de retomber, mais à ma connaissance, les petits Robespierre Ossis, droits dans leurs bottes et experts en pas de l’oie, n’ont toujours pas été exclus de ce parti, qui a ainsi démontré son manque d’attachement à la démocratie allemande et à des principes qui ne devraient pas être négociables une seule seconde. Gesine Lötzsch, présidente du Parti et seule figure politique allemande qui peut articuler son nom en plein milieu d’un éternuement (un privilège que beaucoup lui envient), a tenté maladroitement de minimiser l’incident en récitant le point de doctrine de Die Linke, le parti héritier de la SED est-allemande, sur cette question gênante : «Le Mur était une conséquence, certes tragique, mais inévitable, de la guerre froide, donc de la 2ème Guerre mondiale». Et le reste n’est qu’inutiles palabres de réactionnaires et de calomnies des suppôts du capitalisme. Comme les masques tombent. Il suffit juste de gratter un peu et le mince vernis de respectabilité démocratique de Die Linke s’effrite encore plus vite que les façades des Stalinbauten de la Karl-Marx-Allee. Et comme de juste, quelques semaines plus tard, un mémorial du Mur de Berlin était vandalisé par des inconnus à Pankow. Mais puisque l’exemple vient d’en haut, d’un parti qui participe au gouvernement de plusieurs régions allemandes et d’un quotidien bien établi, alors il n’y a rien d’étonnant à ce que des jeunes désœuvrés prennent le taureau par les cornes et s’attaquent aux monuments à la mémoire des victimes et aux symboles de la réunification.

Sur une note plus humoristique, pendant la toute dernière campagne électorale, j’ai repéré des affiches de Die Linke qui, telles qu’elles étaient situées, laissaient suggérer que le Parti a vraiment du mal à se détacher du passé de certains de ses membres à la tête de la RDA. Pur hasard ou message subliminal laissé par les colleurs d’affiches ? Nous ne le saurons probablement jamais. Mais la sagesse martiniquaise a une réponse toute faite à ce genre de question : Ich tig pa ka fèt san zong. (Traduction fournie sur demande).

Pour aller tout droit dans «Le Mur», suivez Die Linke (Hallesches Ufer, août 2011)

Pour renouer avec la Stasi, faites un grand virage à Gauche (Hedemannstraße, août 2011)
Quant à nos énervés de l’Hekla, pour revenir à eux, ils ont rejeté en bloc les accusations de terrorisme en se fendant d’un communiqué où ils disent en substance ceci : «Méééé-euh ! C’est même pas vrai qu’on est des terrorisses puisqu’on s’attaque pas aux gens. Nous on est des gentils pacifisses non-violents, alors arrêtez de nous embêtéééé-euh». Un argumentaire aussi convainquant que les sophismes de Frau Lötchoum plus haut. En attendant, on dirait qu’ils n’ont pas laissé traîner de cocktails Molotov sur les voies ferrées ce vendredi. Pourtant, aucune de leurs revendications n’a été satisfaite : l’armée allemande continue de pourfendre des Infidèles en Afghanistan, le soldat Manning croupit toujours dans les geôles américaines, et un vendredi a succédé à un jeudi. C’est vraiment bête ça : pendant un moment, on avait vraiment cru qu’ils avaient une bonne chance de faire plier la Défense américaine, comme ça, à eux tout seuls, en persécutant des banlieusards berlinois avec des bidons d’essence. Mais peut-être une âme charitable leur a-t-elle payé la rançon de cent balles et un mars, et cela a dû leur suffire, au moins pour cette fois. En attendant, je suis bien content de me déplacer principalement à vélo, même dans le froid qui s’installe déjà : mon Holland-Rad est peut-être plus facile à voler qu’une Audi ou qu’une rame de S-Bahn, mais il reste le seul moyen de locomotion qui ne fasse pas encore les frais du juste courroux des gentils terroristes pacifistes non violents d’extrême gauche.
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