Pour ceux qui y croyaient encore, un mythe s'écroule. Un peu comme un enfant apprend que le Père Noël n'existe pas, le public français est stupéfait, choqué, abasourdi, écœuré, et ce depuis une semaine. Et il a bien de quoi : la France, "Patrie des Droits de l'Homme" autoproclamée, "Mère des Arts, des Armes et des Lois" selon l'impartial arbitre du Bellay, serait la démocratie la plus malade de toute l'Europe occidentale, et d'ailleurs bien au-delà. Marie NDiaye aurait-elle donc eu raison de quitter la France "vulgaire et monstrueuse" de Sarkozy ?
Dans cette étude, de bien obscurs instituts à la solde de l'anti-France (pour les nommer, il s'agit de l'Université de Zurich et du Centre de Recherche en Sciences Sociales de Berlin) sont formels : chez tous nos voisins européens, la démocratie se porte nettement mieux que chez nous.
Les trois grands critères pris en compte sont : la liberté, l'égalité... et le niveau de contrôle qu'exercent les citoyens sur leur gouvernement. Ces trois critères sont ensuite divisés en plusieurs indicateurs bien spécifiques (libertés individuelles, État de droit, transparence, qualité de la représentation, etc.), qui sont à leur tour mesurés de manière "scientifique". Ne me demandez pas comment c'est fait ; trois heures de recherche sur internet ne m'ont pas permis de trouver le détail du calcul et j'ai fini par renoncer. Il va donc falloir se contenter de la portion congrue pour comprendre pourquoi notre belle nation, berceau des Droits de l'Homme, phare des Libertés, qui d'ailleurs a offert la Statue du même nom aux États-Unis, fait si piètre figure par rapport aux havres de démocratie qui l'entourent.
Ainsi, Der Spiegel assène avec un aplomb inouï qu'il y a "peu de partis politiques" en France, une affirmation qui laisse songeur quand on se souvient qu'au premier tour de la présidentielle en 2002, il n'y avait pas moins de seize candidats. Bien entendu, la conclusion de la susdite élection présidentielle, avec un record de 82% de voix pour un Jacques Chirac triomphalement réélu, rappelle davantage les scores des despotes soucieux de se maintenir au pouvoir avec un vernis de légitimité grâce à des élections truquées, comme Ben Ali en Tunisie par exemple. Le Spiegel poursuit sur sa lancée en hasardant comme explications à la déconfiture de notre démocratie hexagonale : un accroissement des "violences policières", qui en effet semble être un résultat pervers de la politique sécuritaire de notre gouvernement, mais aussi, la "faiblesse des syndicats" comme élément qui sape la qualité de notre démocratie dans son ensemble. L'on en reste pantois, car ce n'est un secret pour personne, en France tout comme ici en Allemagne, et bien au-delà : faible taux de syndicalisation ou pas, en France, on fait la grève comme on respire. Par conséquent, très cher Spiegel, peut-être auriez-vous dû vous fendre d'un peu plus d'une demi-ligne paresseuse sur la question, car même vos lecteurs allemands ne sont pas dupes, je vous assure.
Eurovision de la Démocratie : "France, Two points" |
Alors que la frustration et le désarroi du lecteur augmentent, d'autres recherches sur le Net permettent seulement de trouver cette information, selon laquelle l'enquête établit que la France fait aussi partie des neuf pays sur les trente étudiés où la "qualité" de la démocratie s'est détériorée pendant les dix années prises en compte, de 1995 à 2005 (tout comme l'Allemagne, l'Italie de Berlusconi, et les États-Unis de Bush pour ne citer que ceux-là), alors qu'elle s'est améliorée ailleurs. Voilà une conclusion qui semble tout à fait en accord avec l'impression générale qui se dégage depuis quelques années en France, mais je situerais plutôt le début de la débâcle en 2007 avec l'arrivée de la clique, pardon, de l'équipe actuelle au pouvoir. Si jamais l'Université de Zurich et le Wissenschaftszentrum de Berlin remettent le couvert dans quelques années, je serais bien curieux de voir les conséquences de l'affaire de l'EPAD, les multiples condamnations de ministres en exercice, les mutations arbitraires de préfets, et toutes ces joyeusetés auxquelles nous avons dû nous habituer depuis bientôt quatre ans. Et la liste s'allonge, de jour en jour ! En Allemagne, un scandale éclate lorsqu'une ministre de la santé se fait prendre en flagrant délit d'utilisation de sa voiture de fonction en vacances sur les plages d'Alicante, et en France nos ministres voyagent régulièrement en jet privé à prix d'or, ou alors carrément avec Air Dictateur. Dans ce contexte, il n'est plus si étonnant que nous soyons distancés par des pays qui ont découvert la démocratie il y a moins de vingt ans tels que la Hongrie et la république Tchèque ainsi que par Chypre et même par l'Italie, et talonnés par la Pologne.
Grand démocrate : Silvio Berlusconi |
Le résultat de cette étude a été publié le 27 janvier, et la nouvelle a été accueillie avec une certaine indifférence par les médias français. Peut-être est-ce mérité, mais c'est dommage que nous ne saisissions pas cette occasion de réfléchir à la manière de redonner un sens à nos valeurs démocratiques allègrement piétinées par certains de nos politiciens, qui pourtant ne ratent jamais une occasion d'aller s'en gargariser auprès de la Turquie et dans d'autres pays où "ça fait bien" suivant l'humeur du moment. En revanche, la nouvelle a été prise tout à fait au sérieux par les médias suisses : alors que je cherchais à m'informer sur les détails de l'enquête, j'ai trouvé pas mal d'articles de la presse suisse qui traitaient cette information comme une tragédie nationale : Malédiction ! La démocratie suisse est "moyenne" ! Horreur, nous ne sommes que quatorzièmes ! Ciel, l'Allemagne est devant nous ! Damned, la Belgique* aussi !! Amis Suisses, je ne connais pas bien votre pays et je ne voudrais pas vous vexer (surtout mes deux ou trois lecteurs helvétiques), m'enfin au cours de mes recherches pour écrire ce billet, j'ai appris par hasard qu'aujourd'hui, en ce 7 février 2011, vous commémorez les quarante ans du droit de vote des femmes ? En quarante ans, beaucoup de choses ont sûrement changé et fait de la Suisse une des plus illustres démocraties du monde, mais tout de même, pour un pays qui a attendu 1971 pour permettre à ses citoyennes de voter, la quatorzième place de l'Eurovision de la démocratie, ce n'est peut-être pas si mal !
* En 2005, dernière année prise en compte pour cette étude, la Belgique n'avait pas encore connu deux crises gouvernementales successives et plusieurs mois sans exécutif. Voilà un pays qui sera peut-être aussi mal noté que la France lors de la prochaine enquête.
Ummm, en effet, tout cela laisse pantois.
RépondreSupprimerQuelques réflexions me viennent spontanément, en dehors du contenu même de ton article (que je trouve d'ailleurs très bon! Je vais finir par le lire comme d'autres lisent le Monde, c'est pas possible;)):
- pas besoin d'une étude pour dire que la démocratie française se porte mal.
- un peu marre qu'on essaye d'expliquer par des chiffres ce qui se voit comme au nez au milieu de la figure.
- un peu marre que tout soit interprété à la va-vite par des gens qui ne savent pas de quoi ils parlent (le Spiegel, au hasard), et qui sans doute, ne cherchent même pas à le savoir.
Et last but not least: je trouve ça assez pénible cette tendance de certains à dire, presque en héros: je suis parti à cause de Sarko, "la droite c'est le mal" etc., etc. Et d'un, sortir que la droite est le mal ou la mort, c'est quand même dire que la moitié des Français, en gros, sont le suppôt du diable. Ce dont je doute sérieusement, la politique sarkozyste restant bien entendu ce qu'elle est. En plus c'est vraiment génial pour arriver à les convaincre d'ouvrir les yeux comme argument. Très objectif.
Et de deux, si on n'est pas d'accord au point de balancer des choses aussi violentes, alors pourquoi se barrer, prendre une attitude légèrement dédaigneuse pour dire qu'on fait mieux que tous les autres qui ont eu l'idée malsaine et dans le fond bien collabo, de rester? Perso, ce genre de propos ne m'aide pas en tant que Française à croire qu'on va réussir à revenir à une situation plus normale. Je ne suis pas partie pour ces raisons et je ne me permettrai pas de le faire croire. C'est au contraire en restant et en étant sur place au quotidien, pour les petites comme les grandes choses qu'on peut faire bouger son pays. Enfin bon après moi ce que j'en dis...c'est que je vais me renseigner sur les moyens de faire de la politique en tant qu'expat', tiens :)
J'ai une idée pour faire de la politique en tant qu'expat : un appel à la radio le 18 juin ou un truc comme ça :-)
RépondreSupprimerMeuh non l'heure n'est pas si grave (et l'expo Hitler und die Deutschen est là pour nous le rappeler). Évidemment nous sommes partis pour des raisons qui n'avaient absolument rien à voir. En ce qui me concerne l'heure du départ est venue, une occasion s'est présentée et j'ai saisi ma chance qui n'était pas près de se représenter...
Pour le reste, cette étude, et les comptes-rendus qui en ont été faits, m'ont vraiment laissé sur ma faim.