vendredi 29 avril 2011

L’Empereur Bokassa, le Duc de Cambridge et le Comte du Cocotier

Je vais être franc avec vous, chères lectrices que je sais toutes jeunes, jolies, mais aussi intelligentes n’est-ce pas, comme un croustillant mélange d’Emma Watson, de Kate Middleton et de Marie Curie : cette semaine, je me suis superficiellement intéressé au Royal Wedding. J’ai parcouru distraitement quelques articles publiés dans mes journaux favoris, qui en général s’adressent à un public qui se veut intelligent : The Guardian, Der Spiegel et Le Monde.

L'obscur archipel néo-zélandais de Niue honore le couple princier...
en attribuant à William et à Kate leur juste valeur respective.
Certains desdits articles étaient franchement “pipole” et faisaient languir le lecteur décérébré sur des questions brûlantes comme “Quel créateur signera la robe de mariée?” ou “Quel sera le menu du banquet royal ?”. Ceux-là, je les ai évités comme si leur simple lecture pouvait m’affliger immédiatement d’une maladie cérébrale dégénérative incurable (d’une certaine manière, ça doit être le cas). D’autres éditoriaux étaient farouchement anti-monarchistes, et leurs accents résolument robespierresques exhortaient le lecteur, à défaut de pouvoir faire tomber d’un coup sec et tranchant toutes ces têtes couronnées, à se désintéresser de ces niaiseries anachroniques et dispendieuses. Je les ai lus avec intérêt, même si je ne partage pas forcément la virulence de leur propos. La troisième catégorie d’articles, mes préférés, était entièrement factuelle, et informait d’un ton neutre l’humble populace grouillante que parmi les invités à la cérémonie, parmi la crème de la crème de ces êtres supérieurs que vous et moi n’égalerons jamais, figurent des individus aussi fréquentables qu’un ancien tortionnaire bahreïni devenu ambassadeur, ou le roi Mswati III du Swaziland, despote absolu et sanguinaire d’une nation croupissant dans une abjecte pauvreté, séropositive à 30% et qui jouit d’une espérance de vie d’une quarantaine d’années, une miséricorde tant la vie doit être affreuse dans ce petit royaume montagnard. J’aurais voulu vous dire, me hissant sur un haut piédestal de supériorité intellectuelle, que j’ai entièrement snobé l’événement, que la famille royale britannique est tellement insignifiante, “so irrelevant”, qu’elle n’est même pas digne de mon mépris, mais non, ce serait un mensonge.

D’ailleurs, grâce à ce mariage et à l’indécent battage médiatique qu’on nous a infligé, j’ai pu avoir un débat intéressant avec un ami espagnol et enfin comprendre à peu près pourquoi et comment diable on peut être monarchiste au XXIème siècle. La réponse est courte et limpide : les monarchies sont attachées à leurs rois comme des symboles de la nation, et le fait que ces personnes ne soient pas élues par le peuple semble aussi normal que le fait de ne pas avoir à voter tous les cinq ans pour désigner un nouveau drapeau ou un nouvel hymne national, puisqu’il s’agit tout simplement d’un symbole, quoique de chair et d’os. Raisonnement impeccable s’il en est. Je n’ai rien trouvé à redire. Très bien, chers Espagnols, Britanniques, Bénéluxiens et Scandinaves, si cela vous convient si bien, alors vous m’en voyez fort aise, et ce n’est pas moi qui tenterai de vous convertir aux vertus de la République à la sauce Sarko, qui fait plutôt figure de repoussoir chez les plus clairvoyants d’entre vous, et ce à juste titre.

Fort-de-France, le 19 avril
Dès lors, que m’inspire cet événement d’une importance au mieux très moyenne, à propos duquel je me suis laborieusement évertué à finir trois paragraphes toute la semaine, en vain jusqu’ici ? Pas grand-chose, à part une réaction à cet article du Guardian qui détaille et analyse la pluie de titres de noblesse qui s’abat sur les tourtereaux comme une giboulée printanière, like rain on your wedding day comme l’a d’ailleurs ironiquement chanté Alanis Morrissette : la Reine, pimpante et élégamment chapeautée, a fait son petit-fils William et sa belle-petite-fille Kate, en guise de cadeau de mariage, 
Duc et Duchesse de Cambridge, Comte et Comtesse de Strathearn et Baron et Baronne Carrickfergus
Elle s’est arrêtée là de justesse, alors qu’elle aurait très bien pu les honorer du titre de Docteur et Doctoresse en Droit à l’université de Bayreuth, si tel était son bon vouloir, et ce sans même qu’ils ne se donnent la peine de plagier une thèse, mais il est vrai que ce dernier titre s’est quelque peu galvaudé par les temps qui courent... L’implication logique de tout ceci, c’est que William, qui depuis sa sortie triomphale du noble utérus de feu sa mère, porte le titre de “Prince William of Wales”, gagne aujourd'hui trois lignes sur sa carte de visite, tandis que son épouse Catherine entre dans la Family en recevant les distinctions qui jusqu’ici lui avaient cruellement manqué. On comprend aisément, si on veut bien respecter de vieilles traditions, que l’épouse du deuxième prétendant au trône d’Angleterre mérite mieux qu’un simple « Madame », ce terme banal qui convient mieux à une vulgaire bouchère de banlieue. Du coup, dans le cas de Kate M., ces titres rutilants sont mérités dans la mesure où, pour les recevoir, elle ne s’est pas simplement contentée de naître : elle a tout de même dû pécho le fils de Lady Di, un exploit peu commun qui en soi n’est pas à la portée de la première fille de millionnaire et étudiante en histoire de lart venue. Elle devient officiellement une altesse royale mais ne reçoit surtout pas le titre de princesse, alors attention à ne pas vous tromper dans le protocole hein, bande de gueux et de gueuses. Etc, etc, etc.

Madrid, le 27 avril. El País Semanal fait ses choux gras des noces de
"Guillermo y Catalina"
Fi, vous dis-je, fi ! Outre le fait que ce soit la grande classe d’offrir un duché, un comté et une baronnie comme cadeau de noces, bien plus la classe qu'un bon de 50€ sur Printemps à Deux ou une parure de lit achetée en deux clics chez 1001Listes.fr, à quoi riment-ils, tous ces titres, vains et dans le fond assez ridicules ? Guillermo y Catalina, comme les nomme joliment la presse espagnole, deviennent Ducs de Cambridge pour de faux. La ville de Cambridge garde son maire et sa structure démocratique, merci pour elle, et il n’est pas question d’y réintroduire la taille, la gabelle, les corvées et le droit de cuissage, Dieu soit loué. Alors, quid de toutes ces distinctions ? Si jamais, en un jour béni, nous autres manants étions brièvement élevés du caniveau où nous sommes vautrés, et amenés à rencontrer William Windsor, devrons-nous lui faire trois révérences de plus, une au duc, une au comte et une au baron ? Si jamais Catherine Middleton Windsor devait un jour débarquer dans notre salon pour des leçons d’élocution comme Helena Bonham Carter alias l’épouse de George VI dans The King’s Speech, devrons-nous lui faire trois fois plus de baisemains ? Devons-nous les respecter trois fois plus ? Ou peut-être notre respect et nos salamalecs ne doivent pas être augmentés de manière arithmétique, mais plutôt logarithmique, pour respecter la hiérarchie des différents titres conférés, en vertu du Théorème d’Henry VIII ?

Son Excellence, le Président à Vie,
Maréchal, Docteur El-Hajji, Idi Amin Dada,
Conquérant de l'Empire Britannique,
Roi d'Écosse, etc, etc.
En somme, cet empilement de distinctions et de titres est aussi débile que dans le cas de ces potentats africains qui se décernaient à eux-mêmes des titres ronflants, ces Colonels usurpateurs, Généraux d’opérette, Maréchaux autoproclamés, ces Derniers Rois d’Écosse d’imposture. Mouammar Kadhafi n’était un simple capitaine ? Et hop, promu par lui-même au grade de colonel, il a tout de suite acquis de la stature. Idi Amin Dada se sentait-il quelque peu à l’étroit dans son uniforme de major-général ? Qu’à cela ne tienne, un costume de Maréchal fort seyant, taillé sur mesure et par ses propres soins lui permit aussitôt d’y coudre toutes les décorations qu’il s’est lui-même attribué. Et Bokassa Ier, empereur de Centrafrique ? Ah, Bokassa...

Oui, c’est tout de même moins crevant de collectionner ainsi les titres que de travailler pour les mériter. À ce petit jeu, même les faux docteurs qui semblent abonder dans la classe politique allemande (pas si classe que ça justement, puisqu'après l'élégant baron von Googleberg, c'est au tour de Silvana Koch-Mehrin d'être démasquée) font figure de laborieux crétins et de vertueux imbéciles qui n’ont rien compris à l’art d'acquérir du prestiiiige en cinq minutes chrono.

Maintenant que j’ai pigé le truc pour se hisser définitivement au-dessus de la masse fétide des mortels, je ne vais pas me priver. Pécho le prince Harry étant relativement improbable, un anoblissement par la Reine d’Angleterre semble peu envisageable. En plus il paraît que c’est vraiment un gros boulet ce Harry. Au lieu d'abandonner au premier contretemps, je passe donc au plan B : me faire adouber par une Reine, n’importe laquelle. Cela tombe bien, j’en connais une : ma propre mère bien sûr, qui pour moi vaut toutes les Reines de ce monde. Je suis allé mander ma génitrice :

Oui, ma mère ressemble un peu à
Galadriel, dans Le Seigneur des Anneaux
« Dis, Maman, j'en ai marre d'être un loser et un moins que rien. Tu voudrais bien me décerner quelques chouettes titres de noblesse histoire que ma pitoyable existence commence enfin à ressembler à quelque chose et que je puisse chopper plein de minettes ?
– OK mon fils, aujourd’hui, je te fais Baron du Balcon de la Maison, Comte du Cocotier au Fond du Jardin, Chevalier de la Chaise-Cassée dans le Garage, et Grand Chambellan de ta Chambre d'Ado.
– Wouaouh, rien que ça ! Ça pète ! Mais dis, tant qu'on y est, un titre académique me dépannerait bien, là tout de suite...
– Je te décerne ce diplôme de Docteur ès Techniques du Lavage de Vaisselle et t'attribue cette chaire de Professeur Émérite en Repassage de Chemises à Manchettes à l'université de la Buandery.
– Chanmé de ouf !
– Tu conserveras ces titres jusqu'à la prochaine lune. Tâche d'en faire bon usage !
– Merci M'man, tu es vraiment la meilleure ! Bisou ! »

Voilà, c'est chose faite depuis aujourd'hui : j'ai trop la classe et je suis l'égal de toutes ces têtes couronnées. Me voilà un homme neuf, que dis-je, un homme tout court, un gentilhomme. OK, je vous laisse, mon Eurostar vient d'entrer en gare de Saint-Pancras, et je dois vite filer à la réception du mariage de ces chers Will et Katie. J'espère qu'ils vont apprécier le coffret arts de la table de chez Christofle que je le leur ai trouvé chez Lafayette Mariage. Il m'a coûté un bras.

Oh là, l'ami, mon cher Duc, ravi de vous revoir ! Que vous avez bonne mine.

mardi 26 avril 2011

SOLUTION: Assez nié l'éviGdansk...

Choc et incrédulité : oui, il y a des gens qui viennent de loin pour passer leurs weekends en Pologne.
Une mystérieuse galerie, rue Piwna ("rue de la Bière").
Eh oui, après trois jours de suspense, de réponses hasardeuses, de fausses et vraies pistes, il est temps de remercier les participantes et de donner la réponse à la question qui n'était même pas posée, mais qui a tenu le web en haleine au-delà de mes espérances : oui, j'étais bien à Gdańsk, une ville moyenne, une coquette capitale provinciale polonaise qui aurait dû compter pour des clous à l'échelle mondiale si les hiérarchies naturelles étaient respectées. Pourtant, la destinée mouvementée de l'ancienne Danzig a changé le cours de l'histoire de l'humanité à bien des reprises au cours de ses 1014 ans d'existence attestée. C'est un peu comme si des soubresauts politiques strictement locaux à Dieppe avaient plongé le monde entier dans un effroyable bain de sang, ou comme si une grève anodine à Saint-Brieuc avait fait tomber le premier domino d'une longue rangée, et en fin de course, avait provoqué la chute des régimes en place dans une bonne douzaine de pays...

C'est sur les chantiers navals de Gdansk que le vent a commencé à tourner dans les dictatures communistes
d'Europe de l'Est

Merci et bravo à Zénobie, Andrea, Manon et à Virgo. Puisque nous vivons, hélas, dans un monde ultra-compétitif où la concurrence libre et non faussée est érigée en art de vivre et en but ultime vers lequel convergent nos misérables existences de variables économiques, je suis bien obligé de vous départager, ce qui ne va pas être chose facile puisque Manon, en proposant Vilnius, était bien plus proche du but que toutes ses adversaires, devant Zénobie avec Rostock. Cependant, Vilnius est fort loin de la côte, ce qui pourrait être un motif de disqualification immédiate... aïe. Et Virgo, en trouvant la réponse à ma question sur l'équivalent allemand du "facteur", a droit à ma reconnaissance éternelle. Quant à Andrea, de fausses routes (volontaires ou pas) en indices quasi-transparents, elle a contribué à bien pimenter l'échange.

À la "célèbre" plage chic de Sopot, le "Deauville Polonais", en toute modestie, pas un vaillant baigneur en vue.
Il faut dire que l'eau à 10°C, ça a moins d'attrait que les bars à "wódka" et leur élégante clientèle.

Bref, à l'heure de couronner l'élue, dur de se prononcer mais je vais tout de même proclamer Zénobie, qui a proposé pas moins de six villes différentes, dont deux ma foi pas mauvaises, vainqueur "à l'usure".

Bravo Zénobie, tu as gagné une carte postale d'un lieu à définir. Il faudra qu'on se mette d'accord sur le moyen de te la faire parvenir...

À bientôt pour un petit compte-rendu de ce mémorable road-trip polonais !

"L'île fantôme", un terrain vague couvert de ruines et de graffitis entre les deux rives de la Vistule

Face à l'île fantôme : une vue du vieux Gdansk qui me rappelle Södermalm à Stockholm
Le fameux Krantor, la Porte à la Grue
Deux têtes à la fenêtre dans le vieux Gdansk

samedi 23 avril 2011

Noël Germanique, Pâques Hanséatique


Mes amis et ceux qui suivent assidûment blog savent que, contrairement à mon habitude, je n'ai pas fêté Noël en famille en Martinique cette année. Je comptais me rattraper à Pâques, et j'avais même déjà prévu d'écrire un billet intitulé "Noël Germanique, Pâques en Martinique", avec une superbe rime riche en "nique" à la clé. Si c'est pas être visionnaire ça... Eh bien c'est complètement loupé, les hydres féroces des Ressources Humaines en ayant décidé autrement, malgré mes supplications et mes menaces de faire une grève de la faim. Plutôt que de deux semaines de vacances aux Antilles, je dois donc me contenter d'un long et beau weekend de Pâques pas trop loin de Berlin. Je m'en suis allé faire une escapade touristique dans une cité hanséatique au bord de la mer Baltique, et fais en conséquence des rimes nettement moins poétiques... Comme toujours, je suis parti en compagnie de mes amis "Erasmus" de Berlin : quatre jours, quatre comparses, quatre nationalités, quatre langues maternelles. Et ce matin, alors que nous petit-déjeunions en terrasse sous un soleil printanier encore frisquet, j'ai appris que "le facteur est passé par là", lorsqu'on parle d'enfants à la paternité douteuse, se dit :

En Espagne : "Se lo ha hecho con el fontanero", ou encore "Elle s'est tapé le plombier".

En Hollande : "Het moet wel van de melkboer zijn", soit en langage chrétien "Ça doit être un coup du laitier".

En Amérique du Nord : rien du tout. Il n'y a pas d'expression standard ou de profession associée directement au cocufiage et à la filiation incertaine chez nos amis américains ou canadiens anglophones. Quel manque d'imagination, quelle déception !

Tout de même, c'est beau la diversité des langues et des cultures. D'ailleurs si quelqu'un veut éclairer ma lanterne et me révéler comment ça se dit en allemand, je suis preneur.

Voici quelques photos de cette mystérieuse cité maritime où nous sommes allés respirer l'air du large. Si vous êtes hyper fortiches, vous devinerez peut-être où c'est. Ce n'est pas forcément évident, car ces grandes villes portuaires du Nord se ressemblent beaucoup plus qu'on ne le pense... Joyeuses Pâques à tous et à très bientôt pour de vrais billets un peu moins paresseux !






jeudi 21 avril 2011

Beauté de Berlin : Karl-Marx-Sunset Boulevard

Au cœur de la capitale prussienne, il est une profonde balafre urbaine à l'architecture étonnante et à l'histoire tragique. Longue de 2,4 km entre Alexanderplatz et Frankfurter Tor, la Karl-Marx-Allee distance largement Unter den Linden par ses majestueuses dimensions, mais est loin d'être la plus longue avenue de Berlin, puisque la Straße des 17. Juni, dans Berlin-Ouest, la surpasse de plus d'un kilomètre. Toutefois, aucune artère berlinoise ne peut se vanter d'avoir été appelée Stalinallee pendant douze ans (et d'avoir été honorée de la statue qui va avec), d'abriter la plus belle collection d'architecture stalinienne de prestige en-dehors de l'ex-Union soviétique, d'offrir une splendide perspective aboutissant sur le symbole phallique le plus connu d'Allemagne, et d'être un terrain privilégié pour admirer de spectaculaires couchers de soleil à l'automne et au printemps. Les jours où l'astre solaire s'aligne parfaitement dans l'axe de l'avenue, le spectacle évoque ces sanctuaires païens du néolithique ou de l'Antiquité, et il est permis de se demander si les cerveaux soviétiques et est-allemands qui ont planifié la reconstruction de l'ancienne avenue de Francfort, ravagée par la guerre, n'appartenaient pas à quelque société secrète d'adorateurs du soleil. Le reste en images.

Le 5 septembre 2010, vers 19h40



Le 23 mars 2011, à 18h45



Le 28 mars 2011, à 19h14



Le 17 avril 2011, vers 19h34


Strausberger Platz, le 20 avril 2011 à 19h41. Ornée de son buste de Karl Marx, c'est la dernière portion monumentale de l'avenue, avant une série d'immeubles d'habitation purement fonctionnels qui, conformément au style "DDR" le plus classique, se moquent bien de nos critères esthétiques petits-bourgeois, avec leurs mornes façades rectilignes et leurs formes géométriques. On les voit déjà à l'arrière-plan, vers Alexanderplatz. C'est aussi ici que l'on quitte Friedrichshain et l'on entre dans Berlin-Mitte.


Le 25 décembre 2010 à 8h18... sans soleil. Ah, tout de suite c'est moins chaleureux.



mardi 19 avril 2011

Mayday Teasing

Ah le printemps berlinois ! À quoi ressemblerait notre misérable existence sur cette morne plaine sableuse, sans ce puissant souffle de renouveau qui, en l'espace d'un mois à peine, secoue la ville hors de sa longue torpeur frileuse et transforme les êtres furtifs, livides et racornis que nous étions encore début mars (oui, livides, même moi) en lézards oisifs à l'humeur badine, qui se dénudent sans pudeur, se gorgent d'ultraviolets en terrasse, et sourient à la vie, le teint ragaillardi, l'épiderme repu de mélanine et de coenzyme Q10 ? (C'était le défi de la semaine, placer le mot "coenzyme" dans un billet. Je m'en tire honorablement.)

De retour à Berlin après dix jours d'absence, je trouve ma ville verte, feuillue et fleurie, les oiseaux gazouillent amoureusement, les écureuils folâtrent, les eaux glauques de la Spree scintillent sous les rayons d'un franc soleil, le fumet gras des Bratwurst grillées enveloppe subtilement les parcs et chatouille les narines du flâneur nonchalant, les mini-jupes s'affichent en pagaille... non là je rêve : la Berlinoise en mini-jupe, cet accessoire machiste et avilissant conçu pour faire de la femme un objet sexuel ? On aura plus vite fait de lui faire adopter la burqa. Mais passons. Le printemps est arrivé avec rage et il en était temps.

"1er Mai : Jour de la colère"
Ça c'est pour les lourdauds qui
n'avaient toujours pas compris
La rage, c'est aussi le sentiment qui monte dans les rues de mon quartier de Friedrichshain, acquises aux idées politiques les plus marquées à gauche. Car, qui dit printemps dit aussi 1er mai. Et, alors que dans le reste du monde civilisé, le jour de la Fête du Travail est synonyme de défilés ennuyeux, de revendications politiques confuses et à peine audibles, d'innocents brins de muguet et surtout, de ponts et de viaducs, et en Allemagne, de grandes fêtes populaires où l'on tanzt in den Mai (on célèbre mai en dansant) à Berlin, c'est un tout autre rituel qui s'est imposé depuis la fin des années 1980, et qui depuis, s'est exporté vers les autres grandes villes allemandes. Depuis ce jour de 1987 où une énième manifestation d'extrême gauche a engendré une énième émeute, Berlin célèbre fraternellement la castagne, la violence et l'agression. C'est plutôt sympathique non ? Chaque année, avec les bourgeons d'avril et les jours qui rallongent, une tension sourde monte perceptiblement autour de nous. Les murs de Friedrichshain se couvrent de slogans avant-gardistes et novateurs : "Pour la lutte des classes", "Solidarité", "Révolution", "Contre la répression", etc. Nous y sommes : hier j'ai repéré un grand nombre d'affiches appelant à la manifestation annuelle. Les termes employés, les couleurs utilisées, les illustrations affichées ne laissent guère de doute quant aux intentions des divers groupuscules et obscurs collectifs qui ont lancé cette campagne coordonnée. Le message est clair : nous autres les citadins, ne sommes certes pas conviés à un aimable pique-nique en bord de canal où l'on débattra poliment du projet socialiste sur une nappe à carreaux ; il est question d'en découdre. Contre la police, cela ne fait pas de doute. Et contre les opposants qui relèveront le gant, comme par exemple les néo-nazis qui, certaines années, répondent jovialement à l'invitation et ramènent leurs crânes huilés et leurs bottes cloutées histoire de pimenter l'événement. Vous pensez bien, l'on commencerait à s'ennuyer si le rituel se répétait à l'identique année après année.

"Contre la guerre et le militarisme" - "Révolution sociale mondiale"
Moi je suis contre les émeutes dans ma ville, mais pour la guerre et le militarisme, voyez-vous.

Les médias fourbissent leurs armes et ont déjà commencé à republier leurs séries annuelles sur "les mafias d'extrême-gauche", et nombre de journaux spéculent sur une journée de manifestations qui devraient être encore plus violentes que les années précédentes, puisque, après les évacuations de plusieurs squats de Friedrichshain dont le fameux Liebig 14, les "groupes autonomes" crient vengeance. L'année dernière, la police avait eu une idée lumineuse et organisé "MyFest", un festival en plein air, afin de détendre l'atmosphère, susurrant en quelque sorte "faites l'amour, pas la guerre" à l'oreille des Berlinois en colère, ce qui ne manquait pas de sel. Cette année, d'après Berliner Morgenpost, les Linksextreme, agacés par ce lâche subterfuge, ont déjà prévenu que leur juste courroux s'abattra sur les fêtards insouciants, puisque se faisant ces derniers se rendent complices des forces de la gentrification et doivent supporter les fâcheuses conséquences de leurs actes. Le sophisme est imparable.

"Pour la solidarité et la lutte des classes. Contre la répression et le bla-bla des extrémistes".
Ha ! L'extrémisme, c'est les autres ! en quelque sorte. Ce sont des Sartre en puissance ces galopins.

Rendez-vous pris pour le dimanche 1er mai à 18 heures donc. Les amis, si je suis d'humeur suicidaire ce jour-là, je me rendrai à Kottbusser Tor, à Kreuzberg pour voir de plus près les manifs, témoigner ma solidarité envers les squatteurs expulsés et mon opposition aux forces du capitalisme prédateur et déshumanisant. Mais il est plus probable que, pusillanime comme à mon habitude, je m'en aille profiter d'une belle journée de printemps à ramasser les fraises à la ferme, loin de la ville et de sa jeunesse un peu trop turbulente.

Demonstration: "Revolutionaerer 1. Mai"
Femmes saoudiennes dans une rue commerçante de Djeddah.
Non, attendez, j'ai comme un doute là, tout d'un coup.

jeudi 14 avril 2011

Merci pour votre compréhension

Je suis un type sympa, un type ouvert d'esprit, un type compréhensif.

Franchement, il n'y a que les vierges
effarouchées de gauche pour voir du
racisme dans cette pub rétro sympa
Je ne suis pas raciste, mais je comprends tout à fait que certains mes compatriotes le soient, quand on voit tous les problèmes que posent "les immigrés et leurs descendants" (euphémisme pudique, NDLR) dans les quartiers difficiles, loin du regard des bobos germanopratins bien-pensants : je suis un raciste compréhensif. C'est nouveau, ça vient de sortir.

Je ne suis pas antisémite. Mais je suis parfois étonné de voir à quel point les juifs sont nombreux et influents dans les médias, les banques et les universités. Peut-être que les lois de Nuremberg de 1935 n'étaient pas une si mauvaise idée, dans le fond. Non mais c'est vrai quoi, mettez-vous à la place des millions d'Allemands lambda ruinés pendant la Grande Dépression, il fallait bien agir pour eux. Bon, évidemment, Auschwitz et tout ce bazar, c'était clairement la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Le diable est dans les détails, comme on dit. Je suis simplement un antisémite compréhensif. C'est nouveau, ça vient de sortir.

D'ailleurs, je ne suis pas du tout fasciste, mais avouons que les régimes fascistes savaient s'y prendre pour maîtriser la délinquance. Sérieux, si le camp de Drancy était encore en activité, la racaille des banlieues chaudes du 9-3 tout autour filerait droit je vous dis ! Et je ne vous parle même pas des prières de rue. Nos démocraties à bout de souffle, avec toutes leurs lois anti-discriminations à la noix, sont en train de se faire bouffer. Je suis un fasciste compréhensif. C'est nouveau, ça vient de sortir.

Candidate au viol sur la Route 69
Je ne suis pas un violeur. Mais de vous à moi, je trouve que certaines femmes qui se font violer l'ont bien cherché, quand on voit les tenues que nombre d'entre elles portent, comment elles s'exhibent dans la rue. Et puis, dans la masse des prétendues "victimes", il doit bien y en avoir deux ou trois, au bas mot, qui prennent du plaisir, ces sal***s. Je suis un violeur compréhensif. C'est nouveau, ça vient de sortir.

Je ne suis pas homophobe. Les gens, ils font ce qu'ils veulent chez eux, c'est leur affaire. Mais la manière dont certains se trémoussent en string pendant la Gay Pride me met mal à l'aise. Ces gens-là sont clairement obsédés par le sexe. Je comprends que certaines personnes soient choquées et rejettent ce style de vie qu'on cherche à nous imposer. De toute façon, c'est un péché ; c'est le pape qui le dit. Et puis, qu'est-ce qu'ils ont à réclamer des droits à longueur de journée, ces types ? Je suis un homophobe compréhensif. C'est nouveau, ça vient de sortir.

Je ne suis pas un fraudeur. Mais je trouve que les impôts, c'est mauvais pour notre pouvoir d'achat, et puis les politiciens gaspillent les deniers publics en cigares, en appartements de fonction et en voyages en jet privé. Nous ne sommes pas des vaches à lait à la fin ! En fait, frauder le fisc, c'est se faire justice en quelque sorte. Je suis un fraudeur compréhensif. C'est nouveau, ça vient de sortir.

Je ne suis pas frontiste. Mais je trouve que Marine Le Pen a du charme, et je ne suis pas le seul à le penser. D'ailleurs le FN est un parti politique comme un autre, en fin de compte. Il défend les petites gens laissées pour compte face à la mondialisation et notre culture et nos valeurs menacées par l'immigration incontrôlée. Je suis un frontiste compréhensif. C'est nouveau, ça vient de sortir.

Assurément, nous pouvons être fiers de la France, le pays le plus compréhensif au monde. Tant de compréhension de toutes parts, ça donne le tournis. On pourrait avoir des ministres qui s'attèlent à redresser la situation économique, se préoccupent d'emploi, de recherche, des universités, de logement. Mais non, la priorité des priorités est de nous rendre encore plus compréhensifs. Cet impayable Claude Néant veut combattre l'immigration légale pour, entre autres, "éviter les préjugés, voire la xénophobie". Au passage, cela laisse songeur quant à ce qu'il pourrait concocter s'il se mettait en tête de combattre l'antisémitisme, les viols ou l'homophobie, mais passons... Nous approuvons de tout cœur de telles déclarations, car, c'est sûr, elles donnent un bon coup de boost à la xénophobie compréhensive. C'est nouveau, ça vient de sortir.

mercredi 13 avril 2011

Flâneries parisiennes : le retour de la suite

Le Chroniqueur Berliniquais passe-t-il trop de temps à Paris ? Cette question est tout à fait légitime et je comprends l'exaspération croissante des fidèles lecteurs devant cette invasion parisienne dans les pages de leur blog berlinois préféré, qui est en train de devenir un énième catalogue de photos des rues de Paris. Cela ne devrait pas durer trop longtemps.



Mais en ce moment, c'est comme ça : je passe pas mal de temps en France, parfois pour le plaisir, parfois du fait de contraintes professionnelles, et je ne vais pas m'en plaindre. Après tout, Paris a du bon. Et, c'est moi ou notre bonne vieille ville-musée est en train de devenir cool ? Par un beau weekend printano-estival, les hordes de promeneurs, qu'ils soient touristes, Parisiens ou visiteurs divers, ont repris leurs droits dans les rues de la capitale. Désolé, j'ai beau tourner des ébauches de phrases dans tous les sens, mais je crois qu'il faisait trop chaud pour être vraiment être inspiré pour l'écriture.



Allez, notre capitale est belle sous le soleil du printemps, lorsqu'on y déambule sans but précis, en compagnie de ses amis de toujours. On papote, on parle de rien et de tout, on s'arrête pour observer ensemble un détail étonnant, et le Chroniqueur en vient même à se demander si son confort berlinois, son appart spacieux et pas cher, son balcon ensoleillé et son Kiez alternatif valent vraiment la peine de vivre toujours loin des meilleurs et des plus chers.

Paris est une des grandes capitales du street art, même s'il est est moins omniprésent et tapageur qu'à Berlin. Ici, dans les rues du Quartier Latin, près de la Contrescarpe.


Et là, au Quai de Valmy :


Les feuillages fleuris des marronniers, quelques moments de repos au bord de l'eau. C'est autre chose qu'une baignade au Schlachtensee, mais ça détend tout autant, surtout lorsque les bonnes personnes sont à côté.








Mais après avoir salivé d'envie pour la trente-douzième fois devant les annonces pour des clapiers à lapins et placards à balais à des prix que je ne pourrai jamais me permettre trônant dans les vitrines d'agences immobilières, après une suée dominicale dans la ligne 13 du métro, en pleine vacances de Pâques, je me dis que mon petit chez-moi, mon balcon fleuri et mon vélo sont encore une beau lot de consolation. Les amis sont à Paris, je sais encore où les trouver, en cas de forte poussée de nostalgie. Merci pour le chouette weekend avec vous les amis !



mardi 12 avril 2011

Courrier des Lecteurs : De la suite dans les billets

Aux Chroniques Berliniquaises, il arrive souvent qu'un sujet d'actualité soit évoqué, brièvement ou alors de manière plus approfondie. Hélas, en général, faute de temps, au billet suivant je passe à autre chose, sans revenir sur le sujet en question même lorsque des rebondissements intéressants se produisent par la suite, obligeant alors mes lecteurs et lectrices frustrés et désemparés à se connecter sur des sites comme Spiegel.de, Lemonde.fr ou, comble de l'horreur, Lefigaro.fr, pour ces compléments d'informations dont ils ont besoin pour assouvir leur soif de connaissance et leur désir de comprendre le monde complexe qui nous entoure.

Alors, allons-y sans plus tarder : reprenons quelques vieilles histoires restées en suspens et tâchons derechef de répondre précisément aux questions angoissées de nos lecteurs, qui, je vous le rappelle, sont surtout des lectrices.

Cher Chroniqueur, je suis sur le point de réserver une semaine de vacances en Guadeloupe et j'ai trouvé un gîte canon au Gosier. Mes petits boutchous risquent-ils de se faire dévorer par un barracuda mutant à la Pointe de la Verdure ou pourrons-nous barboter tranquilles ?
Ghislaine, 44 ans, Mouilleron-en-Pareds (Vendée)

Chère Ghislaine, félicitations pour cet excellent choix ! Je ne vous cache pas que cela m'eût comblé d'allégresse que vous m'annonçassiez que vous êtes en partance pour mon pays adoré plutôt que vers l'île sœur, mais enfin, c'est déjà bien et puis aux Chroniques Berliniquaises on n'approuve pas l'esprit de clocher qui prévaut parfois dans nos îles. De surcroît, j'ai une bonne nouvelle pour vous ! Le jour de Noël, deux grosses saloperies d'un mètre de long ont été pêchées et trucidées sans merci à proximité de la plage de la Datcha, là même où le serial-croqueur non identifié avait sévi en octobre. Si ce n'est pas un joli symbole ça... Et il en était grand temps, car les pêcheurs locaux commençaient à s'impatienter et recouraient de plus en plus aux grands moyens. Il était déjà question de dynamiter le récif afin d'en déloger l'encombrant prédateur. Heureusement, l'arme suprême n'a pas été employée, et, même si rien ne permet d'affirmer que les bécunes pêchées soient les coupables, tout le monde est satisfait, et le moins que l'on puisse dire c'est qu'un bisou de ces deux gros barracudas aurait sûrement fait très mal. Les orteils de vos petiots sont donc en sécurité dans les eaux turquoises du Gosier... ou pas.

Mais n'oubliez pas de prendre de la crème solaire car, barracuda dans l'eau ou pas, le plus grand danger que courent vos bambins est d'attraper un coup de soleil carabiné. Et un autre conseil : allez-y deux semaines plutôt qu'une, en Guadeloupe !

Monsieur, vous voyez bien que j'avais bien raison : malgré vos gémissements insensés, la Galerie C/O à Oranienburger Straße n'a pas fermé ses portes à la fin mars. Vous feriez mieux d'arrêter ce blog, cela vous évitera de proférer davantage d'âneries. Je ne vous salue pas.
Thomas M., 56 ans, Nassau (Bahamas)

Ah, cher Thomas, quel plaisir de vous revoir ici ! Je me souviens que vous m'aviez vertement enguirlandé au sujet de propos que je tenais dans mon article sur l'expo Mapplethorpe. Eh bien je m'incline et reconnais humblement que vous aviez vu juste : C/O Berlin reste ouvert pour au moins quelques mois, peut-être jusqu'à l'année prochaine. Si vous en savez plus, nous sommes preneurs.

Juliette Gréco et Philippe Lemaire
En tout cas, l'exposition Mapplethorpe est prolongée jusqu'au 1er mai, de même que l'expo (gratuite) Shoot - Fotografie Existentiell, où vous pouvez admirer des "photoshoots" au sens littéral : d'étonnants clichés de l'entre-deux-guerres, résultats d'une mode qui faisait fureur à l'époque. Le concept de cette bizarrerie était fort simple : à la fête foraine, le chaland tirait à la carabine vers une cible, et s'il tapait dans le mille, il remportait un cliché de lui-même dans le feu de l'action. Si vous vouliez voir Sartre et Fellini en fous de la gâchette, c'est l'occasion rêvée.

Cependant, mon cher Thomas au vocabulaire ordurier, une victoire contre les forces rampantes de la gentrification n'est jamais qu'un répit de courte durée à Berlin, puisque juste après le prolongement du bail de C/O, on apprenait que tout le rez-de-chaussée de Tacheles mettait la clé sous la porte, évacué par ses artistes et ses cafés. On peut dire adieu au Café Zapata. Comme quoi, il ne faut jamais crier victoire face aux forces de l'argent-roi.

Cher Chroniqueur, après le succès historique du livre de Thilo Sarrazin et la fondation du premier parti xénophobe "soft" du pays, l'Allemagne s'est-elle enfin mise au diapason de ses voisins européens en matière de surenchère démagogique et populiste ? René Stadtkewitz sera-t-il le Lothar Matthäus qui conduira l'Allemagne vers le titre de champion du monde du repli identitaire ?
Carole, 33 ans, Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine)
Claude Guéant, ministre de l'intérieur, avec son homologue italien, Roberto Maroni, le 8 avril à Milan.
Duo de charme : Claude Guéant et Roberto Maroni.
Beurk et re-beurk.

Chère Carole, permettez-moi de vous rassurer : le nouveau parti populiste Die Freiheit (La Liberté) s'est fait très discret sur la scène médiatique ces derniers mois. Pire encore (du moins, selon le point de vue adopté), la presse fait plutôt état de graves dissensions au sein de la mouvance populiste de droite berlinoise, notamment du fait des soupçons d'homosexualité qui pèsent sur un responsable. En Autriche, feu Jörg Haider nous avait pourtant montré de fort belle manière qu'homosexualité et xénophobie pouvaient faire très bon ménage, et même parfois faire couche commune, mais il semblerait que beaucoup, dans les courants "presque-nazis-mais-pas-antisémites" d'Allemagne, ne l'entendent pas de cette oreille. Le populisme berlinois sera homophobe ou ne sera pas. Ce qui risque de leur coûter beaucoup de voix dans le havre de tolérance qu'est Berlin, mais c'est à eux de décider après tout. Si j'étais un xénophobe allemand avec un brin d'ambition politique, je dirais, inspiré par la sagesse d'Henri IV, "Berlin vaut bien une Gay Pride". Mais franchement, l'opinion publique allemande, malgré quelques déclarations fracassantes du nouveau ministre de l'Intérieur, qui vaut presque son pesant de Guéants, n'est guère attentive à ces gesticulations moisies. Elle est bien plus préoccupée par des thèmes comme la mort de Knut, la sortie du nucléaire ou le nombre d'arbres qui devront être sacrifiés pour construire la nouvelle gare de Stuttgart. Le verdict tombera aux élections régionales berlinoises en septembre.

Cher Monsieur, je vous ai trouvé bien cruel à l'égard de ce pauvre Knut. Que vous a-t-il donc fait de mal ? Il était tellement mignon avec sa petite truffe noire, ses yeux de biche et ses grands crocs acérés de 8 cm de long. Berlin a-t-il réussi à se remettre d'un tel choc ?
Brigitte B., 74 ans, Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime)

Cher Croniqueur, est-ce que le gentil Knut est aller au Paradie des ours ?
Pamela, 9 ans, Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin)

http://www.generation-flux.com/images/knut-anniversaire.jpg
Les naïfs parmi nous, qui avaient candidement espéré qu'on allait enfin arrêter de leur casser les pieds avec du Knut à toutes les sauces en ont été pour leurs frais : l'hystérie a redoublé d'intensité et commence à peine à se calmer, après trois semaines de délire intégral. Il a d'abord fallu trouver un coupable, et vite, pour le désigner à la vindicte populaire. Malheureusement, Al-Qaida n'a pas revendiqué l'assassinat du plantigrade assoiffé de sang et amateur de croissants, démentant l'une des hypothèses favorites d'un public inconsolable. Après des jours d'un insoutenable suspense, durant lesquels le calvaire des Japonais et celui des Libyens se sont vus relégués au second plan, éclipsés par le vrai drame planétaire de ce mois de mars, le verdict est tombé : le gentil Knut souffrait d'un désordre cérébral grave, s'est écroulé dans son enclos, victime d'une crise d'épilepsie ursine massive, a dégringolé dans le bassin et s'y est noyé. Gloups.

Mais la saga gore est loin de s'arrêter en si bon chemin. Le Zoo de Berlin, qui a fermé le livre de condoléances après deux semaines d'un deuil fort médiatisé, élèvera un monument à la mémoire de sa lucrative mascotte, tandis que le corps de Knut est désormais voué à l'immortalité ! Il sera écorché et plastifié par le "Dr Tod". Et puis non en fait, ça c'était le poisson d'avril de la presse berlinoise. Ouf, on y avait vraiment cru ! Il faut dire que c'était un poisson d'avril diablement plausible. Et pour te répondre, chère Pamela, je ne sais pas si Knut est au "Paradie" des Ours, mais une chose est sûre, c'est que de nombreux Berlinois endeuillés, tabloïds en tête, n'avaient pas hésité à réclamer des "funérailles" à l'église pour le gentil ourson de 300 kilos. L'évêque, ce sale rabat-joie, a protesté (en même temps, c'est sa religion) et refusé d'accéder à cette demande de ses ouailles éplorées. Quel manque navrant de sensibilité et de sens des affaires chez ces hommes de religion : nul doute qu'une messe d'enterrement de Knut aurait vu les églises berlinoises battre tous leurs records historiques d'affluence. Et en cette terre d'impiété et de péché, ce serait déjà pas mal.

Cher Monsieur, le baron von und zu Guttenberg est vraiment un type formidable: jeune, beau, élégant, éloquent, de bonne famille. Il a rendu au débat politique allemand la classe qui lui faisait cruellement défaut depuis l'abdication du Kaiser. Cette honteuse cabale dont il est victime a-t-elle enfin été dénoncée ? Je vois qu'outre-Rhin, tout comme en France ou chez nous en Belgique, la bassesse et l'outrecuidance du camp socialo-communiste n'ont vraiment aucune limite ! Je suis scandalisée, une fois.
Sibylle S.-V. de W., 37 ans, Uccle (Bruxelles-Capitale)

Chère Sybille, vous traduisez bien là le sentiment qui prévaut dans la catholique Bavière natale de notre baronneau à l'irréprochable coiffure gominée. Cependant, il n'y a pas eu de machination : Herr Guttenberg a bel et bien triché, et ce, sciemment, selon les dernières accusations de l'université de Bayreuth, après enquête. Et plus l'affaire avance, moins il se distingue par son comportement de gentleman. Lorsqu'il s'accrochait encore à son poste ministériel, et clamait haut et fort son innocence, drapé de sa dignité de gentilhomme, défendant son honneur prétendument bafoué, il avait appelé de ses vœux une enquête diligente et approfondie et demandé que les résultats en soient rendus publics, pour prouver sa bonne foi. Depuis, il est un peu moins droit dans ses bottes, et tente, par l'intermédiaire de ses avocats, d'empêcher que l'université n'en dévoile (à ce niveau-là on pourrait dire "déballe") davantage au public goguenard. Pourtant, il n'a plus grand chose à perdre, le Baron von Cool : il s'est complètement discrédité dans tout le pays, sauf dans son fief bavarois, où même au plus fort de la "crise", des manifestations pro-Guttenberg étaient régulièrement organisées. Ils sont vraiment singuliers nos amis bavarois. Enfin, eux ils ont Guttenberg, et nous, à Berlin, on a Knut. Match nul.

Cher Chroniqueur, comment se porte la "greffe de printemps" sur les trottoirs de Friedrichshain ?
Gilles, 27 ans, Quesnoy-sur-Deûle (Nord)


À merveille. Herbe jaunie, pancarte piétinée, crottes de chien sur le modeste carré de gazon... La greffe a donc réussi et est maintenant parfaitement intégrée à son paysage urbain. Willkommen in Friedrichshain! Malheureusement, j'ai perdu la super photo que j'ai prise l'autre jour. Il ne me reste plus qu'à espérer pouvoir en remettre une ici très bientôt, dès mon retour à Berlin. C'est bon je l'ai ajoutée maintenant. Voyez plutôt.

Ah, l'effet Friedrichshain a encore frappé !



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