mercredi 16 janvier 2013

Promenade à Méa Shéarim

À Jérusalem, si l’envie vous prend de vous aventurer hors des murs de la Vieille Ville et que, laissant derrière vous les hautes pierres ocres de l’imposante Porte de Damas érigée sur ordre du sultan Soliman le Magnifique, vous traversez le paisible quartier résidentiel de la Morasha, alors vous avez de fortes chances, au bout de dix ou quinze minutes de détours sur les tranquilles avenues proprettes et de flânerie le nez en l`air, de voir votre insouciante déambulation barrée tout net par une série de panneaux bilingues anglais-hébreu vous souhaitant la bienvenue en des termes franchement inhabituels.

«Les GROUPES qui traversent notre quartier offensent profondément les riverains. RENONCEZ-Y», exhorte-t-on noir sur blanc et en caractères gras le visiteur frivole et indélicat que vous êtes sans l’ombre d’un doute, gros lourdauds. La gent féminine, bien entendu, fait l’objet d’une attention toute particulière : «MESDAMES, MESDEMOISELLES, qui traversez notre quartier, nous vous supplions de tout notre cœur : merci d’éviter les TENUES INDÉCENTES. Exemples de tenues décentes : corsages fermés à manches longues, jupes longues, pas de pantalon, pas de vêtements moulants. Merci de ne pas compromettre la sainteté de notre quartier et de notre communautés de Juifs consacrés à D-EU et à sa Torah». Bref, vous êtes prévenus qu’au-delà de ce panneau, on n’aime pas les «biatches», pour parler comme Lil Wayne, et on le dit haut et fort.

Bienvenue chez les Harédis!
D’ailleurs, de vous à moi, il semblerait qu’on n’aime pas grand monde dans le quartier. Ce chaleureux message de bienvenue vous est adressé par la communauté de Méa Shéarim, le quartier des Haredim. C’est ainsi que l’on nomme l’ensemble assez flou de mouvances ultra-orthodoxes et ultra-conservatrices de la religion juive.


Un passant à Méa Shéarim

Pour vous dire la vérité, je ne suis pas tombé sur Méa Shéarim (également écrit Me’a Shearim, Meah Shearim, etc.) complètement par hasard : en fait, poussé par une sorte de curiosité malsaine, j’ai longtemps cherché le petit quartier discret, quelques rues en fait, confiné au nord du boulevard Ha Nevi’im. Je n’y ai pas vu grand chose, à part des rues très fréquentées mais étrangement silencieuses, et beaucoup d’hostilité, aussi bien par écrit que dans les regards des passants, qui m’ont bien vite fait sentir, à force de me dévisager du même air glacial et hautain, que je n’étais pas à ma place parmi eux, et que je ferais mieux de ne pas m’éterniser sur ces lieux.


J’adorerais me poser en expert en matière de religion juive, fort du savoir encyclopédique acquis en deux semaines de présence sur le sol israélien, mais malheureusement, pour les détails il va falloir que vous fassiez votre propre recherche, amis lecteurs. Cet article restera donc au ras des pâquerettes.

Méa Shéarim est un tout petit quartier, et fait partie des premiers faubourgs construits en-dehors des murailles du sultan Soliman, à la fin du XIXème siècle : son nom signifie «cent portes» en hébreu, mais aussi «au centuple», d’après un verset de la Genèse se rapportant à un épisode de la vie d’Isaac. Le quartier a assez vite attiré des juifs religieux venus d’Europe orientale, qui se sont empressés d’y reproduire leur mode de vie traditionnel des shtetls (un mot yiddish ; on reconnaît le terme allemand Städtle), ces villages juifs orthodoxes typiques des campagnes polonaises, lituaniennes et ukrainiennes d’avant l’entreprise d’extermination menée par les nazis. Vêtements sombres, vestes et casaques, chapeaux de feutre ou toques de fourrure, corsages brodés à cols montants... On se croirait à Minsk en 1848, un jour d’enterrement de surcroît.

Le vendredi midi, quelques heures avant le début du Sabbat, le quartier grouille d'activité

Les juifs ultra-orthodoxes vivent traditionnellement en vase clos, en marge de la société israélienne, limitant au maximum leurs contacts avec les laïcs ou avec le reste de la société au sens large. Dans la plupart des cas, les membres issus de ces communautés fondamentalistes se font dispenser, pour raisons religieuses, des trois années de service militaire, un passage pourtant obligatoire pour tout citoyen israélien. Conséquence de cet isolement permanent vis-à-vis de l’extérieur : tout «intrus» y est accueilli avec suspicion, à moins qu’il n’accepte de se plier aux règles vestimentaires et comportementales en vigueur dans la communauté. La coupe afro n’y est pas interdite, mais ce n’est probablement pas la coiffure idéale à arborer pour vous fondre dans la masse dans ce quartier singulier...

À l'entrée des magasins (ici, une banale pharmacie), il n'est pas rare du tout de se voir rappeler les règles en vigueur dans la communauté
Tous les guides de voyages le confirment : les touristes sont invités à observer scrupuleusement les consignes écrites relatives au comportement à adopter, car s’ils ont l’heur de déplaire aux riverains, ces derniers, «offensés», n’hésiteront pas à caillasser les indésirables ! En plus de ces injonctions énoncées noir sur blanc, un certain nombre de règles officieuses, mais tout aussi importantes, doivent être respectées en toute circonstance, sous peine de réaction ouvertement hostile, voire violente, du voisinage :
— adopter en toute circonstance une attitude réservée,
— pour les couples, éviter les signes d’affection en public,
— pendant le Sabbat, défense absolue de prendre des photos ou même de traverser le quartier en voiture.

Faute d’observer ces règles, vous courez le risque réel de vous prendre des cailloux à la figure. Les riverains veillent jalousement au respect de leurs exigences !


Les communautés juives ultra-religieuses, en voie de radicalisation croissante, font souvent parler d’elles dans les médias israéliens et internationaux. Certaines sectes harédies sont devenues si intransigeantes qu’elles prônent une ségrégation totale entre hommes et femmes à tous les niveaux de la société, même sur les trottoirs ou dans le bus... La société israélienne n’est pas prête à céder encore et toujours face à des exigences toujours plus extrémistes. Le bras de fer entre modérés et fondamentalistes continue.

Toutefois, le quartier orthodoxe de Méa Shéarim, pour emblématique qu’il soit, n’a pas encore sombré dans l’hystérie de la ségrégation sexuelle. Il pratique une autre forme de ségrégation, plus anodine, plus light, qui consiste à interdire l’accès à certaines rues aux touristes, aux femmes pécheresses et autres «intrus». J’aurais bien aimé voir ce qui se cache derrière ce panneau, mais voyez-vous, amis lecteurs, je n’ai pas eu le courage de m’aventurer au-delà de la porte. L’ambiance était déjà suffisamment tendue comme cela, et à la longue, les regards fuyants et hostiles, c’est franchement pesant. Je me suis donc contenté de prendre des photos à la sauvette.



Bref, une petite promenade à Méa Shéarim par un vendredi ensoleillé, c’est sympa pour jouer à se faire peur, mais c’est aussi un excellent moyen pour se frotter à l’infinie complexité d’une société étonnamment diverse.

À très bientôt pour la suite !

13 commentaires:

  1. Merci Jean-Mi pour ces nouvelles. Continue !
    Et pour Mea Sharim, je te conseille de regarder si ce n'est déjà fait, le film Kadosh d'Amos Gitai. Le réalisateur israélien y met en scène deux soeurs, dont la vie est malmenée par les règles de la communauté ultra-orthodoxe où elles vivent. L'aînée n'a pas d'enfant et malgré l'amour réciproque qui existe entre elle et son mari, ce dernier la répudie. La cadette est mariée de force et cherche à s'enfuir...
    Grosses bises du midwest
    Vero

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    1. C'est vrai que ça fait longtemps que je veux voir ce film. Merci de m'y faire penser!

      Pour avoir discuté après coup avec des Israéliens non religieux, j'ai appris que cette communauté d'apparence monolithique pour l'observateur extérieur est en fait extrêmement diverse et parcourue de multiples lignes de fractures. Il y a tout plein de courants (certains Israéliens parlent même de "sectes") différents, même dans un petit quartier comme Méa Shéarim. Chaque centimètre supplémentaire de jupe chez les femmes a son importance et sa signification particulière, m'a-t-on dit!

      Bonne journée :-)

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  2. C'est intéressant de voir les us et coutumes des différents "bouts de notre planète". As tu pu échanger avec les riverains, le pharmacien par exemple?
    Même si on note la présence insistante des pancartes dissuasives pour les touristes, j'imagine que comme dans toutes communautés, il y a des dérapages, et les règles sont faites pour être contourner...Je veux dire qu'ils ne sont pas moins humains que d'autres...à moins qu'ils soient tous des anges et que le 7eme art se limite uniquement au politiquement correcte dans cette région. Mais chacun mérite le respect et si voir les jambes, ou les formes de la gente féminine est choquant, et bien ma foi, on (les femmes touristes) doit faire un effort. Je me demande si les hommes (pas touristes) sont couverts...tout le temps? Tu parles de 1848...moi je dirais l'ancien testament (pour la lapidation).

    Sinon, as tu eu ce ressenti d'austérité partout en Israël ou juste à Méa Shearim? Ce serait plaisant d'avoir un tableau coloré de la région, toujours de ton point de vue, bien sûre.
    Bien que j'apprécie le côté nostalgique des années d'avant guerre, de cette charmante bourgade, l'article me laisse quand même perplexe et je reste sur ma faim. Allons- donc, est-ce tout ce qu'il y a à dire sur Jérusalem? Je suis curieuse,même si, pour ta défense, tu as précisé le caractère "light" de ton observation, et que le titre de l'article est "Promenade à Méa Shéarim". To be continued... :)
    Life trip (Dua)

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    1. Ouh là ! Je me sens mis au défi :-)

      Bien sûr que c'est "to be continued". Non, il n'y a qu'à cet endroit que j'ai ressenti une telle hostilité sourde. Je ne suis pas allé parler aux gens dans les magasins, car tous ces panneaux anti-touristes, cela ne met pas vraiment en confiance. Ce n'était que mon deuxième jour à Jérusalem, et ma première incursion en territoire juif religieux, j'étais vraiment intimidé. J'ai échangé une fois, beaucoup plus tard, avec un couple de Juifs habillés façon ultra-orthodoxe, mais c'était dans un autre quartier, et il n'était pas question de religion ni rien.

      Pour avoir parlé à des Israéliens laïques, j'ai appris, après coup, qu'en tant qu'homme j'aurais dû moi aussi me couvrir la tête, d'un chapeau, d'une kippa, d'une casquette, d'un bonnet, n'importe. Mais ça, je ne l'avais lu nulle part. Et puis ce n'est pas sûr que cela aurait changé vraiment grand chose.

      Je suis allé dans pas mal d'endroits et j'ai pris 2000 photos... J'espère trouver le temps d'en dire beaucoup plus!

      À bientôt :-)

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    2. D'ailleurs, le samedi, en revenant d'une excursion en minibus à la Mer Morte, nous sommes passés dans notre véhicule sur la grande avenue qui borde le quartier de Méa Shéarim, et avons pu voir les ultra-orthodoxes ultra-remontés contre les voitures qui osaient emprunter cette grande avenue (Ha Nevi'im), poings rageurs, lançant des œufs, le tout sous l'œil d'un détachement de militaires armés jusqu'aux dents... Quand notre minibus est passé devant le groupe de manifestants, ils ne nous ont pas balancé des pierres, mais ils ont tapé sur le véhicule.

      Une scène, comment dire, impressionnante. On ne rigole pas avec ces gens-là...

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  3. Waaa je suis extrêmement impressionnée par ta chronique, À telle point que je viens de la partager sur FB !!! Je ne connaissais pas cet aspect de la religion juive, que les ultras orth ce soit à ce point "sévère" O_o J'ai hâte de lire la suite !!

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    1. Oh oui, très sévères, de plus en plus radicaux, et guère aimés du reste de la société. C'est vraiment fascinant de parler avec les gens ici de ce type de problèmes.

      Merci pour le partage sur Facebook ! :-)

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  4. Quand je suis allée à Meah Sharim, j'ai dû porter en effet une longue jupe noire et un haut ne laissant pas apparaître un cm de peau. Je n'étais pas spécialement rassurée de traversée ce quartier, mais mon père y tenait vraiment, alors j'ai suivi.
    Ce que j'ai trouvé dingue c'est que les poubelles ne sont pas ramassées (as-tu remarqué ?), les rues sont sales contrairement au reste de Jerusalem.
    D'autre part, j'ai ressenti aussi ce malaise en traversant ce quartier, les regards qui se posent sur moi, j'avais peur de me prendre des cailloux.
    Donc, on n'a pas trainé.
    Je suis étonnée que tu aies pu prendre des photos, bravo ! Je n'ai pas eu le courage de sortir mon appareil (déjà, je suis une femme, alors je ne voulais pas aggraver mon cas ...).
    Merci pour cet article qui me ramène au printemps dernier, quand j'ai fait ce voyage.

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    1. Oui!!! Exactement! J'ai pris plein de photos de la saleté du quartier. Mais je ne savais pas qu'en faire... Par moment on se croirait presque dans un bidonville. Je me suis demandé si c'était un hasard ou un concours de circonstances. Tu me confortes donc dans mon opinion. Sont-ils tellement antipathiques, nos chers Haredim, que même les éboueurs les évitent?

      Quel endroit surréaliste dis donc.

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    2. Mon guide m'avait expliqué que les éboueurs ne passaient pas dans Meah Sharim, mais je n'ai pas compris la raison : rues trop étroites ? camions trop modernes pour être acceptés par les ultra-orthodoxes ? c'est toujours plein de paradoxes (ils ne doivent pas regarder la télé mais ont de téléphones portables dernier cri par ex).

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    3. Je ne crois pas que ce soit un problème d'étroitesse des rues, il y a bien pire que ça dans d'autres quartiers de Jérusalem...

      C'est une question bien mystérieuse... Peut-être en effet y a-t-il un problème avec les services publics, vu que les ultra-orthodoxes en général n'exercent pas d'activité professionnelle rémunérée et vivent en majorité aux crochets de l'État. Ca doit être lié à un problème d'impôts locaux ou un truc du genre... Il y a une enquête à faire. À l'occasion je rajouterai à cet article mes photos des rues sales de Méa Shéarim.

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  5. Très intéressant billet, un vrai reportage ! Chapeau (ou kippah) à toi, je n'aurais pas osé prendre des photos.

    Au delà de l'hostilité des résidents du quartier pour tout ce qui vient de l'extérieur, j'ai l'impression d'une grande pauvreté. Câbles électriques qui pendent, façades peu entretenues...

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    1. Oh bah je me suis dit que ça valait le coup de courir le risque...

      Je n'ai pas du tout compris moi non plus pourquoi ce quartier paraît si pauvre et si sale en comparaison avec d'autres quartiers à l'extérieur de la Vieille Ville. C'est un mystère. Il est vrai que les juifs religieux ne roulent pas sur l'or en principe, ils ont des familles nombreuses, les mères ne travaillent pas (et souvent les pères non plus, ils "étudient la Torah" à plein temps) mais tout de même c'était assez frappant.

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