vendredi 8 avril 2011

Le grand congrès massochiste du printemps

Votre dévoué chroniqueur a fait une découverte intéressante ce dimanche : le concept de massochisme. C'est une notion fort simple : le massochisme, c'est le masochisme des masses, le plaisir pervers de communier dans la souffrance sur 21 kilomètres de bitume avec 28.000 parfaits inconnus, dont une bonne majorité d'Allemands, mais aussi de forts contingents de Danois et de massochistes d'obédiences diverses ayant parcouru des centaines de kilomètres, voire des milliers, pour converger vers leur lieu du supplice sur les rives de la Spree, et répéter tout au long du parcours, extatiques entre deux foulées endolories, "je souffre donc je suis".

Km 3 : les massochistes passent la Porte de Brandebourg
Le jeune homme plein d'avenir et d'énergie que je fus autrefois s'était imposé ce rituel annuel de douleur superflue avec un petit groupe d'amis à Paris il y a quelques années, et nous avons perpétué cette absurde tradition jusqu'à ce jour. Par conséquent, lorsque, dimanche matin, je suis monté dans le métro pour me rendre à la ligne de départ sur la Karl-Marx-Allee devant le Kino International, j'étais loin de me douter que l'équivalent berlinois, auquel je participais pour la première fois, allait me surprendre de quelque manière que ce soit, moi le massochiste chevronné, qui connaît désormais le Bois de Vincennes comme sa poche et sait y dénicher les meilleurs buissons pour faire pipi tranquillou.

Départ de course ou manif anti-nucléaire ?
Las ! C'était faire preuve d'une naïveté confondante,  digne du Berlinois de la dernière averse, celui qui croit encore candidement qu'il y a des choses basiques que les habitants de cette ville sont capables de faire comme le reste du monde, et qu'ils allaient se contenter de chausser bêtement leurs Adidas, de se masser au départ, de souffrir dignement pendant une paire d'heures et rentrer chez eux, perclus, haletants, suants, mais le sourire aux lèvres et la poitrine bardée de médailles en étain fabriquées à Shenzhen. Le massochiste local, lui, court utile, et a un message profond à porter à la face du monde. Cette année, le thème à la mode s'est imposé de lui-même : alors que la nation rejette à l'unisson l'énergie atomique, le fait que l'événement sportif du printemps soit sponsorisé par le conglomérat énergétique suédois Vattenfall, connu pour ses centrales nucléaires, ne pouvait que rester en-travers de la gorge de nombre de participants.

Pfff ! Bientôt la fin du supplice !
Dites-moi, Herr Superman, la Kryptonite,
c'est pas un peu radioactif ?


























Dès lors, tout est bon pour crier sa colère. Les petits soleils souriants, entourés du slogan "Atomkraft? Nein Danke!" avaient donc la cote, surtout dans les premiers kilomètres de course. Étrangement, j'ai vu bien peu de coureurs pousser le fanatisme jusqu'à se trimballer leur petit fanion jusqu'à la ligne d'arrivée. C'est que ces quelques grammes finissent par peser lourd, à la longue. Massochistes, certes, mais ils n'en perdent pas pour autant leur caractère pragmatique, nos Berlinois. Nombreux étaient les petits malins qui portaient aussi de faux dossards trop drôles parodiant Vattenfall à toutes les sauces, la version Zwischenfall ("l'incident") étant de loin la plus répandue. Ça c'est la version "massochiste qui a de l'humour". Vattenfall en a vraiment pris pour son grade, à un point inconcevable quand on imagine les sommes conséquentes que l'entreprise a dû débourser pour être associée à l'événement. Ce semi-marathon deviendra peut-être un cas d'école du plus gros fiasco de toute l'histoire du sponsoring,  analysé et étudié sous tous ses aspects dans les Business schools à travers le monde.

Bref, les Berlinois peuvent être fiers, leur semi-marathon est anti-nucléaire, donc é-co-lo, qu'on se le dise ! Écolo comme ça par exemple :















Bon, quelques tonnes de déchets en plastiques et quelques mètres cubes d'eau gaspillés, c'est peu de chose pour soutenir une noble cause et faire un grand barrage de gentils verts contre le nucléaire...

À la fin de la course, les valeureux participants, vrais sportifs ou simples manifestants en goguette, ont pu reprendre des forces en s'offrant une saucisse grillée ou une grande rasade de bière sans alcool. Ach, ce sont ces petites choses qui font le charme de l'Allemagne ! Allez, à la vôtre les massochistes ! On finira bien par avoir leur peau, à ces salauds de Vattenfall !



Les Chroniques Berliniquaises remercient d'avance les sociétés Areva, Westinghourse et TepCo pour leur généreux soutien financier.

6 commentaires:

  1. J'ai envie de dire "respect". Quand tu penses que mon plus grand exploit sportif à moi c'est "la Parisienne" (6km)...

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  2. Héhé, merci ! La Parisienne c'est déjà un bon début, quand tu peux faire 6 km tu peux te lancer le défi des 21... ou pas !
    :-)

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  3. Oué non je vais déjà tenter de refaire la Parisienne cette année, ptêt en essayant d'améliorer mon temps... :)

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  4. Dire qu'au moment même où on parle, 30.000 Golden Massochistes courent les 42 km du Marathon de Paris... tu aurais presque pu te joindre à eux :-)
    Allez, la Parisienne c'est déjà très bien. Comme je disais dans le billet, c'est suffisamment de souffrance comme ça pour se l'imposer sans le vouloir. J'ai jamais compris pourquoi je m'inflige ça... sans doute un résidu d'instinct masculin primaire qui me pousse à me poser des défis débiles et à me mesurer aux autres. :-)

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  5. C'était drôle hier dans le métro j'ai vu une marathonienne soutenue par ses parents: impossible de plier les genoux!
    (et très bon titre du Spiegel online sur l'enfer du Nord: "Die Tortur de France")

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  6. Je garde l'espoir d'accomplir le même exploit, un jour...

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Un petit bonjour ?

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