mardi 22 février 2011

Rideau sur la Berlinule

L'on me presse de produire, hic et nunc, un billet sur la Berlinale. Je veux bien, mais je suis nul en ciné, alors comment faire pour me démarquer face aux nuées de papiers d'experts qui ont traité ce sujet en long et en large ? L'époque où j'aiguisais ma culture cinématographique à l'UGC Ciné-Cité des Halles ou au MK2 Beaubourg plusieurs fois par semaine, grâce à ma carte UGC-MK2 Illimitée, est entièrement révolue. Précurseur, j'étais même allé assister à la première de Bienvenue chez les Ch'tis, bien avant que cette comédie gentillette n'hypnotise la France entière pour des raisons difficiles à comprendre. À Berlin, au contraire, il y a toujours une douzaine d'activités plus alléchantes et plus pressantes que d'aller voir les derniers films. Les deux derniers Woody Allen ? Je ne m'en rappelle même pas le titre. Il paraît qu'ils n'en valaient pas la peine. The Kids Are All Right ? Toujours en souffrance. Des films comme Les Citronniers ou Valse avec Bachir, de diffusion presque confidentielle à Berlin comparée au succès qu'ils ont connus en France, je les aurais certainement loupés si j'avais quitté Paris quelques mois plus tôt, d'autant qu'à mon arrivée ici, de l'hébreu sous-titré en allemand, c'était pour le moins... inenvisageable.

Le logo de l'édition 2011
Pour beaucoup de Berlinois, en tout cas pour les plus conformistes du lot, le Festival International du Film de Berlin, c'est l'exception, la parenthèse durant laquelle le cinéma occupe un peu de temps dans les conversations à la machine à café, où aller voir un obscur film moldave tourné en caméra à l'épaule, est une activité valorisée et dont tous vos amis sont avides des plus petits détails, pour laquelle on est prêt à sacrifier le déjeuner pour faire la queue et acheter des billets à l'un des trois points de vente de la ville, comme par exemple celui de Potsdamer Platz. Car la Berlinale, c'est résolument in depuis 1951. Pour nous aut' les étrangers, il y a un autre facteur primordial qui rend ce festival très attractif : le fait de pouvoir voir des dizaines de films en version originale avec des sous-titres en anglais. Il fallait y penser ! Déjà qu'ici la VO se fait rare, et quand elle est disponible, les sous-titres sont bien entendu en allemand. Pendant la Berlinale, même les films allemands sont sous-titrés, pour le bonheur des visiteurs comme des résidents qui auraient encore du mal à lire du Kant dans le texte.

Plus concrètement, j'ai eu l'occasion de voir seulement deux films pendant le festival : un thriller policier hong-kongais dont le titre anglais est The Stool Pigeon, du réalisateur Dante Lam et une fiction russo-ukraino-allemande intitulée "V Subbotu", ce qui a été traduit en anglais par "Innocent Saturday", se déroulant un certain samedi d'avril 1986 dans une certaine bourgade ukrainienne, dans les heures qui ont suivi un certain incident survenu dans un certain réacteur nucléaire tout proche, mais alors vraiment proche, et qui allait par la suite causer certains désagréments, mais en ce beau samedi printanier, bien peu se doutent du drame qui allait changer leur vie à jamais.

C'est aussi ça la Berlinale : lorsque 400 films sont projetés, quasiment à toute heure du jour et de la nuit, pendant une petite dizaine de jours à un avide public qui approche le demi-million de cinéphiles acharnés ou de dilettantes des salles obscures, il faut savoir faire des concessions et se contenter des films pour lesquels l'on parvient à obtenir une place sans trop y laisser de plumes, faute d'être un de ces jusqu'au-boutistes prêts à vendre père et mère pour une accréditation presse ou à arracher les billets de la main de leurs voisins au prix de morsures, de griffures, de coups de coude dans le plexus solaire et de doigts hargneusement plantés dans les yeux de quiconque ose s'interposer entre ces spectateurs fanatisés et cet incomparable chef-d'œuvre albanais projeté le lendemain à 23h et dont ils ont décidé que leur bonheur et leur épanouissement intellectuel dépendent. Ainsi, n'ayant pas pu voir le fameux documentaire sur Khodorkovsky (celui dont "on" a volé une copie juste avant le début du festival), qui, projeté en semaine les après-midi, disqualifiait d'office tous ceux qui ne se sont pas mis en arrêt maladie, ni obtenu de billet pour le film d'animation de Michel Ocelot, ni trouvé le temps nécessaire pour visionner cette énorme comédie tchèque de la célébrissime Erika Hníková ni También la Lluvia, le dernier opus de l'Espagnole Icíar Bollaín avec entre autres Gael García Bernal, j'ai pris ce qui venait avec Stool Pigeon et V Subbotu.

Au lieu de décamper loin d'ici et de sauver sa peau, cette cruche de Vera
préfère chanter du rock 'n roll ringard avec ses potes moustachus...

Ma foi, c'étaient de bien bons films et je suis bien étonné qu'ils n'aient reçu aucun prix. V Subbotu remplissait pourtant un certain nombre des critères pour faire bonne figure en compétition officielle, si l'on se fie au palmarès des 59ème et 60ème éditions de la Berlinale : une tension latente qui ne fait que croître, torturant le spectateur qui attend un grand "boum" libérateur qui cependant n'a pas lieu, des langues rarement entendues dans les cinémas des grandes capitales (le russe et l'ukrainien ici contre le quechua et le turc pour les deux derniers films ayant remporté l'Ours d'or) et bien sûr des acteurs et réalisateurs fort peu connus du grand public. Sans parler de la BO. L'histoire est simple et tient en quelques mots : un soir d'avril, Valery Kabysh, jeune ingénieur en vue et membre du Parti, comprend, en  écoutant aux portes, que le pire vient de se produire à la centrale de Tchernobyl. Il veut décamper au plus vite, en abandonnant tout derrière, sauf bien sûr sa copine, Vera. Mais fuir cet enfer de radiations aussi mortelles qu'invisibles et convaincre son aimée et ses amis d'en faire de même s'avère incroyablement difficile, au vu du péril de la situation : chacun veut profiter de ce beau samedi de printemps, s'empiffrer, se soûler, danser et chanter à l'ombre du monstre fumant de béton, de ferraille et d'isotopes létaux, rassuré par le silence bienveillant des autorités... Le décalage ahurissant entre l'urgence vitale de la situation et le joyeux badinage des braves travailleurs soviétiques insouciants est aussi difficile à supporter pour le spectateur que pour ce pauvre Valéry, qui passe la moitié du film à courir éperdument, hors d'haleine, dans l'indifférence amusée des fêtards braillards. La caméra au poing qui le suit dans ses courses donne le tournis à un spectateur malmené par cette tension qui n'en finit pas de monter sans jamais culminer.

Le prestigieux Kino International de l'ex RDA,
sur Karl-Marx-Allee
Dans la section "Forum" du festival, The Stool Pigeon ("L'Indic") est d'un tout autre genre. Film d'action hong-kongais, il a déjà raflé un certain nombre de prix des critiques cinématographiques en Asie. Le film est un bon classique du genre, mais met l'accent sur la relation tout à fait perverse entre le policier intègre en pleine descente aux enfers, et son indic, criminel malgré lui prêt à prendre tous les risques pour s'acquitter de la très lourde dette envers la pègre que son défunt père lui a léguée (sympa le papounet) et pour sauver l'honneur de sa sœurette bien aimée, dans un monde qui n'est que brutes et salauds de la pire espèce. J'espère que le Ministère du tourisme hong-kongais a protesté auprès de Dante Lam car le film ne donne pas envie de se ruer chez Cathay Pacific pour sauter sur le premier avion pour "le Port aux Parfums". Mais l'histoire est un bon divertissement qui tient le spectateur en haleine, avec fort peu d'humour mais une scène de course poursuite dantesque dans les rues congestionnées de la ville, sur un fond de musique de Noël absolument décalé, White Christmas de Bing Crosby. S'il y a une chose à retenir de ce film, c'est bien cette scène. Le film est entièrement disponible sur YouTube, en huit parties, en cantonais sous-titré en mandarin, pour les éminents orientalistes parmi vous, que je sais nombreux. La fameuse scène en voiture est dans la quatrième vidéo, et commence à 4'45. Ah, c'était plus impressionnant en salle que sur mon petit écran d'ordi.

Dans la grande salle du Kino International
Et voilà, c'était mon expérience de la 61ème Berlinale. Les films que j'ai vus n'ont rien gagné cette année. L'Ours d'Or a été décerné à un film iranien, Jodaeiye Nader az Simin, "La Séparation de Nader et Simin", l'Ours d'Argent, à un film hongrois en noir et blanc (A torinói ló) et le prix du meilleur scénario à un film albanais, The Forgiveness of Blood. Business as usual à la Berlinale, quoi. Je me suis donné du mal pour écrire le billet le plus nul sur la Berlinale 2011, d'où le titre. Mais qu'à cela ne tienne, l'an prochain je me préparerai un peu mieux et je pondrai des comptes-rendus qui feront des jaloux même aux Inrocks !



5 commentaires:

  1. Il est loin d'être nul ce billet!
    tu es bien dur avec toi-même...
    d'autant que je fait partie des pressées qui l'attendait!
    je l'ai peu suivi aussi d'ici via arte, mais tu m'as au moins donné envie de voir du cinéma hong-kongais!
    En tout cas, je remarque que ce festival paradoxalement in, populaire et élitiste, contamine de plus en plus le cannois...et ce n'est pas forcément pour déplaire à tout le monde!
    ...et bon courage à ta ciboulette!! (l'ode à la pousse est très poétiquement plaisante!)

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  2. Merci chère anonyme !
    Ah bon, Cannes se Berlinalise ? Chouette !
    Quant à la ciboulette, je vais devoir la rentrer dans la cuisine pour le reste de la semaine, car les -10°C ambiants ne semblent guère lui convenir à la longue...

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  3. Mais non, mais non, il est très bien pesé votre billet, comme tous ceux qui m'ont déjà été donnés de lire sur votre blog que j'ai découvert il y a peu étant nouvellement berlinois. Vous vous démarquez agréablement du contingent habituel de préciosités ou d'âneries intelligentes que tout événement culturel à Berlin ne manque jamais de susciter. Personnellement, je ne suis même pas arrivé au bout de la lecture du programme de la Berlinale que c'en était hélas déjà fini... J'essayerai de faire mieux l'année prochaine si les files d'attente n'achèvent pas de me décourager. D'ici là, j'attendrai que les films sortent en salles à Berlin ou à Paris, ou même en dvd, car l'amateur relatif que je suis s'en accommode très bien.

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  4. Merci pour ce commentaire, Hesiod ! Je trouve que "contingent de préciosités et d'âneries intelligentes" est une sacrée formule !
    Bons DVS alors !

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Un petit bonjour ?

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