dimanche 7 novembre 2010

Liban : Jours 3 et 4 - Les Fiefs chiites

Petit à petit, on commence à se plaire au Liban. On commence à connaître les prix des courses en taxi ou en bus et on se fait de moins en moins souvent arnaquer. On se prend au jeu des négociations incessantes, de l'incertitude permanente liée à l'absence de règles claires, des caprices des chauffeurs de taxi qui souvent nous plantent là si la destination annoncée n'a pas l'heur de leur plaire, du frisson d'adrénaline avant de traverser chaque rue, on apprend l'art de rire au nez des commerçants malhonnêtes (en imitant le rire narquois des chauffeurs de taxi) et celui de ne pas trop faire attention à ces gens qui veulent absolument nous vendre quelque chose. Et puis on se dit qu'on a de la chance de se promener tranquillement sur une chouette avenue ensoleillée en bord de mer, par un bel après-midi d'automne, qui pourrait être un beau jour d'été si la nuit ne tombait pas si soudainement à 17h. Et bien sûr on continue à explorer ce pays à l'histoire si riche et si tourmentée.

Ce jeudi, je suis allé visiter Baalbek, le site de l'antique Héliopolis, l'un des sites archéologiques les plus impressionnants de la région. M'y rendre n'a pas été facile. Après avoir provoqué l'hilarité de moult chauffeurs de taxi, j'ai fini par atteindre, n'ayons pas peur des mots, la "gare routière" de Sayed (pas celle de Cola, hein mon fièle Lonely Planet, cette fois tu n'as pas assuré), emmené par un gentil chauffeur, qui non seulement ne m'a pas ri au nez, mais en plus m'a gratifié de ses commentaires en arabe et dans un anglais basique sur la beauté des femmes qui traversaient devant nous: "Good!" avec un air enjoué, "Not good!", avec une mine de dégoût profond. "And in Fransa, women are good too?". Le coquin avait une nette préférence pour les citadines fashion en tenue légère et pas voilées. Soulagé d'arriver à Sayed, j'ai commis une grave erreur : j'ai baissé la garde et du coup je me suis carrément fait avoir pour le prix du minibus pour Baalbek, mais au moins j'y suis arrivé sain et sauf. Baalbek, c'est un bastion chiite au nord de la vallée de la Bekaa, une zone à problèmes en statut "orange" selon le Ministère français des Affaires Étrangères, où la prudence est recommandée. Mais arrivé sur place, rien de tout ceci ne transparaît. Certes, on sent que nous sommes dans une zone plus conservatrice sur le plan des mœurs, les femmes sont bien plus couvertes qu'à Beyrouth, on voit des affiches à connotation politique vraiment partout dans la région, notamment un grand nombre d'effigies du président Ahmadinejad qui était en visite il y a 3 semaines. Et comme l'avait annoncé le site Wikitravel, on y trouve beaucoup de souvenirs estampillés Hezbollah. Mais rien de bien méchant somme toute. Et on y cultive la vigne et le haschich. La vigne est omniprésente. Le haschich l'est en théorie, mais on ne le voit pas depuis la route. Le site historique d'Héliopolis est absolument époustouflant. Les ruines du temple de Jupiter et du temple de Bacchus sont impressionnantes (vivement les photos), le temple de Vénus un peu moins mais pas mal non plus. La construction de ce sanctuaire massif, selon mon Lonely Planet qui se trompe parfois, a coûté la vie à plus de 100.000 esclaves pendant trois siècles. Ces sacrés Romains tout de même. Il n'y a pas beaucoup plus à dire, dès que je pourrai mettre les photos tout ceci vous parlera beaucoup plus. J'ai sympathisé avec des touristes australiens mais nous nous sommes perdus de vue à la sortie du site. Dommage car je commencerais bien à me faire des amis pendant ce voyage. Le retour à Beyrouth s'est passé sans histoire. Pour la première fois j'ai bien négocié le prix du transport et j'ai payé le tarif normal. Une belle victoire pour bien finir la journée !

Un vestige du temple de Jupiter


L'appel du muezzin à Baalbek

Vendredi, mon objectif c'était Tyr, au sud du pays, en plein dans la "zone rouge" formellement déconseillée par le Ministère des Affaires Étrangères, car trop dangereuse. Mais la mythique cité phénicienne au passé illustre méritait bien une petite visite malgré tout. Pour aller à Tyr, devenue Sour la rebelle aujourd'hui, bien sûr là encore c'est l'expédition : se rendre à la fameuse gare routière de Cola, cette fois c'était bien elle, puis de là prendre un bus pour Saïda (la Sidon de l'Antiquité), et de Saïda, un autre bus pour Sour/Tyr. Coût total de tout ce voyage : 4.000 livres libanaises, soit 2€. J'avais décidé de négliger Saïda mais alors que je quittais la ville en minibus, je me suis rendu compte qu'elle était très agréable et qu'il y avait pas mal de choses à voir, et un pressentiment m'a envahi : ai-je pris la bonne décision d'aller à Sour ?

J'ai obtenu la réponse dès mon arrivée : pas vraiment, en fait. Bien sûr, c'est intéressant. Tyr la Phénicienne était située sur une petite île, et est devenue une presqu'île depuis qu'Alexandre le Grand a comblé le bras de mer pour envahir la ville, au cours d'une épique bataille qui a duré des mois dans les années 330 av. J-C. C'est ça la grande classe, être un conquérant mythique et même modifier la géographie d'une région. La presqu'île est très agréable, entourée par une mer bleu turquoise, bercée par une brise vivifiante... Le jour où la situation politique se stabilisera, on peut imaginer que Sour deviendra un haut lieu du kite-surf et de la planche à voile. Dès lors que les montagnes d'immondices auront été nettoyées et que les plages seront à nouveau visibles sous les déchets, bien entendu. Pour ce qui est des ruines, bon évidemment elles sont intéressantes mais ce n'était peut-être pas une très bonne idée d'y aller le lendemain de ma visite à Baalbek, car la Tyr fait pâle figure en comparaison. Il faut dire que le patrimoine historique a énormément souffert pendant les guerres récentes, en particulier lors des bombardements israéliens en 2006. Mais bon, les ruines de Tyr, ça c'est fait. Alors que j'étais en train de me promener le long du bord de mer en direction d'un autre site archéologique, en contournant le camp de réfugiés palestiniens d'Al-Bass et en m'éloignant prudemment d'une manifestation politico-religieuse où l'ambiance devenait de plus en plus électrique, tout en prenant des photos du littoral, un quidam dans la trentaine m'aborde et me demande sur un ton franchement hostile de quel droit je prends des photos, d'où je viens, où je vais, etc. Quand je réponds "Fransa", un mot magique au Liban, il se radoucit un peu et m'adresse un "Ah, OK welcome" pas franchement convaincant. Derrière nous, d'autres énervés chiites grossissent les ranges de la manif' qui gagne encore en fébrilité, en décibels et en appels au meurtre (sans doute). Un minibus passe et, conformément à l'usage, klaxonne et ralentit. Ma planche de salut. Je crie : "Saïda ?", et sans demander mon reste, j'embarque et me laisse emmener loin de Sour, de sa saleté et de ses excités religieux. Dommage pour l'hippodrome romain mais l'ambiance était vraiment trop mauvaise dans cette dangereuse zone de Tyr. Je n'ai pas l'âme d'un martyr. Alors j'me tire.

Désolé :-)

Après une heure d'un voyage cahotant à travers de magnifiques bananeraies le long de la côte (un paysage qui serait idyllique sans cette quantité invraisemblable de déchets partout), ponctuée de passages aux nombreux check-points de l'armée libanaise aux soldats patibulaires, et même à quelques check-points de l'ONU, nous sommes arrivés à Sidon/Saïda la belle, que je me suis promis de visiter un jour pour de bon. Le soleil venait juste de se coucher et les monuments étaient déjà fermés. Je me suis contenté d'une promenade en bord de mer dans la lumière du crépuscule, près du "Château de la Mer" construit par les Croisés, et d'un bon thé en terrasse. Et de parler à des gens souriants et amicaux.


Le Château de la Mer, à Saïda

1 commentaire:

  1. Dommage pour Saïda et ...merci pour la chronique sueurs froides!
    tu étais en manque d'adrénaline? ...c'est très angoissant de lire des choses pareilles, même si tout se finit bien...et je dis merci Seigneur!

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