lundi 31 janvier 2011

L'expo qui fait Führer

Pas mauvais du tout, les titres de mes billets ces jours-ci. Après le jeu de mots niveau 5ème ce weekend, je donne dans le calembour niveau brevet des collèges option allemand LV2.

"La jeunesse sert le Führer
Dès dix ans, tous aux Jeunesses hitlériennes !"
Mais qu'importe. Depuis la mi-octobre, la plus grande exposition consacrée à Hitler depuis la fin du régime déchu passionne les foules au musée de l'Histoire allemande de Berlin. Et selon la presse, c'est la toute première qui montre avec une telle exhaustivité l'interaction étroite entre le peuple allemand et les nazis. D'où le titre donné à cette exposition, où chaque mot a son importance : "Hitler et les Allemands. La Communauté du peuple et le crime". Le thème est toujours extrêmement délicat et l'exposition a soulevé bien des débats, même 65 ans après la fin du IIIème Reich, dans une Allemagne qui n'a jamais renoncé à son devoir de mémoire là où d'autres pays se complaisent dans une douce amnésie.

Il faut dire que les écueils étaient nombreux pour les organisateurs de l'exposition : il fallait montrer le Führer mais s'abstenir de le "glorifier" même de manière fortuite, donc éviter les portraits et effigies de dimensions trop monumentales, les uniformes personnels de Hitler ou encore les enregistrements de sa voix. La principale raison de ce choix était d'empêcher que le deutsches historisches Museum se transforme en lieu de pèlerinage des groupies du chancelier à la moustache carrée, ce qui aurait été du plus mauvais effet, même s'il est permis d'imaginer que cela aurait rendu l'exposition un peu plus saisissante, un peu plus live, si l'on peut dire. L'exaltation fasciste et "raciale" sur les murs, un public de crânes rasés et d'aryens patibulaires déambulant dans la salle, les lourdes semelles de leurs Rangers résonnant dans les allées : les visiteurs ordinaires auraient vraiment eu le grand frisson. Ce sera peut-être pour la prochaine expo ?

Faisant fi du sensationnalisme et du frisson à peu de frais (qui de toute façon aurait été à la limite de la légalité), les conservateurs ont opté, plus sobrement, pour un travail didactique favorisant la réflexion. Par le biais de centaines d'objets de la vie quotidienne, d'objets de propagande et de panneaux explicatifs détaillés, ils ont tenu à démonter le mythe confortable selon lequel les nazis étaient une mouvance à part qui s'est emparé du pouvoir aux dépens d'un peuple allemand désorienté qui ne pouvait qu'acquiescer à l'horreur sous la contrainte. Au contraire, l'accent est mis sur l'adhésion massive et le fort soutien populaire à l'idéologie nationaliste et raciste, sans lesquels tout aurait été probablement différent, même si on ne peut que le conjecturer. Certes, même si toute forme d'opposition était durement réprimée, personne n'était obligé de décorer son sapin de Noël à grand renfort de croix gammées, mais il s'est trouvé des gens pour s'en donner à cœur joie, ou pour broder des tapisseries nazies destinées à leurs églises où l'on chante à tue-tête l'amour du prochain.

Cahier numérisé d'un écolier

Le Reichspräsident Hindenburg nomme Adolf Hitler
chancelier, le 30 janvier 1933
Par une heureuse coïncidence, l'exposition "Hitler und die Deutschen" a débuté au moment où le "débat" sur l'immigration et l'intégration en Allemagne faisait rage, et à une époque où la poussée des partis populistes semble irrésistible dans une bonne partie de l'Europe et au-delà. Mais ce n'est bien qu'une coïncidence : cette exposition est le résultat de plus de deux ans de préparation, et de plus, d'autres expositions sur ce thème avaient déjà été prévues par le musée de l'Histoire allemande ces dernières années, mais les projets n'avaient jamais abouti. Hasard ou pas, cette exposition ne pouvait pas mieux tomber pour rappeler à tous les résultats de l'ignorance et de la haine. Personnellement, j'ai aussi réfléchi au caractère tout à fait unique de ce régime odieux. Galvauder les termes "nazi", "fasciste", "génocide", etc., comme on le fait trop souvent, cela réduit la portée des crimes de ce régime et cela réduit les possibilités de débat intelligent. Ceci dit, mieux vaut garder nos dirigeants à l'œil (sans parler de certains partis qui ont le vent en poupe) et ne pas attendre de voir fleurir des affiches où l'on exige de la jeunesse qu'elle se mette "au service" de qui que ce soit, au lieu du contraire, avant de réagir contre certaines "dérives" préoccupantes dans nos bonnes démocraties bien pépères !

Ici, un bestseller dans tout plein de langues. "Mi Lucha" en espagnol, ça sonne curieusement inoffensif, un peu comme un appel à la révolution des bisous. Le livre a été aussi publié en braille pour que les non-voyants aryens bénéficient d'un endoctrinement de première classe. Malheureusement, il était interdit de photographier pendant l'exposition et de nombreux gardiens veillaient au respect de l'interdiction. J'ai transgressé l'interdit de mon mieux !
D'accord, les aveugles n'étaient donc pas oubliés par le régime puisqu'ils avaient la possibilité de lire Mein Kampf en braille. Ceci dit, il convient de ne pas perdre de vue le fait que l'idéologie nazie méprise les faibles et vise à les "éliminer", physiquement ou métaphoriquement. En écrivant les lignes ci-dessous, je me suis aperçu que le mot "Erbkranker" se traduit par "personne atteinte d'une maladie héréditaire". Si un jour un nazisme Made in France devait s'épanouir à l'ombre des puys d'Auvergne (vous savez, tous ces "Auvergnats" chafouins), il se heurterait peut-être aux limitations de notre langue et devrait innover pour rendre sa propagande plus percutante...

"Un patient souffrant de maladie héréditaire coûte 5,50 marks par jour à l'État
Une famille saine peut vivre avec 5,50 marks par jour !"


Trophée d'un concours à la gloire du travailleur
et du peuple allemands
Bannière montrée lors des parades

Arrestations au ghetto de Varsovie et aller simple pour Treblinka
Curieusement, malgré l'énorme succès de l'exposition, qui fait que le musée soit toujours plein chaque jour jusqu'à l'heure de fermeture, les visiteurs se font jeter du bâtiment comme des malpropres à 18 heures pile par un personnel qui n'hésite pas à se montrer impoli afin de ne pas perdre une seule minute de Feierabend. Lors de ma première visite de l'expo, j'ai presque été poussé dehors avec mon collègue José qui ne pouvait pas marcher vite à cause de sa cheville foulée (vous avez dit "mépris du plus faible" ?). À 18h07, nous nous sommes retrouvés sur le trottoir venteux, et les lourdes portes en chêne se refermaient bruyamment derrière nous, nous laissant quelque peu perplexes et même pas complètement rhabillés. En enfilant en vitesse nos manteaux, nous avons eu tout loisir de commenter le lien troublant entre le thème de l'exposition et l'attitude du personnel du musée.

Tout comme tout Führer qui se respecte, l'exposition "Hitler und die Deutschen, Volksgemeinschaft und Verbrechen" est tout simplement plébiscitée par le public. Le musée de l'Histoire allemande a battu tous ses records de fréquentation en 2010 (avec un peu plus 900.000 visiteurs en tout). Résultat : l'expo est prolongée de trois semaines, jusqu'au 27 février. On comprend l'hostilité du personnel, qui tente de préserver un peu de sa tranquillité face à ces hordes de visiteurs bruyants et encombrants. Accourez-y vous aussi sur Unter den Linden, de préférence à l'heure de la fermeture pour un traitement cinq étoiles de la part des gentils gardiens !

Aucun problème pour exposer cette statue géante du
camarade Lénine, dans le hall d'entrée du musée

4 commentaires:

  1. "même s'il est permis d'imaginer que cela aurait rendu l'exposition un peu plus saisissante, un peu plus live, si l'on peut dire. L'exaltation fasciste et "raciale" sur les murs, un public de crânes rasés et d'aryens patibulaires déambulant dans la salle, les lourdes semelles de leurs Rangers résonnant dans les allées : les visiteurs ordinaires auraient vraiment eu le grand frisson. Ce sera peut-être pour la prochaine expo ?" => tu es un grand malade, mais ça m'a fait rigoler j'avoue! Genre Eurodiney du nazisme avec ses personnages en parade...

    A un moindre niveau, j'ai été visité la Terror Haza (maison de la terreur) à Budapest qui avait servi de lieu d'emprisonnement et de torture sous le régime nazi hongrois puis sous le régime communiste (la maison maudite quoi), c'était intéressant...

    Ah oui et je te rassure, se faire jeter d'un musée c'est vraiment international, en septembre je me suis fait dégager d'un musée à Athènes, j'étais assez mauvaise (surtout que j'avais dû me taper les sonneries de téléphone Rihanna des gardiens, note que j'aime bien Rihanna mais il y a un temps pour tout...).

    Mais non je ne digresse pas... :)

    RépondreSupprimer
  2. Ah bon tu me rassures, il n'y a donc pas que les employés du deutsches historisches Museum qui n'ont pas fini leur dénazification alors ! Les sonneries Rihanna, là ça fait fort ! Mais quel musée était-ce donc ? Parce que bon quand même...

    RépondreSupprimer
  3. Le musée byzantin et chrétien d'Athènes, qui a su charmer l'athée forcenée que je suis par ses très belles icônes mais j'étais seule dans le musée avec les gardiens et franchement c'était la fête, on entendait qu'eux et puis à un moment on m'a gentiment dit de sortir, ils étaient tous devant la porte à m'attendre...^^

    RépondreSupprimer
  4. Ah, tu ne sais pas, peut-être que les gardiens du musée étaient aussi animateurs, genre G.O. ...
    Je trouve que les icônes orthodoxes et Rihanna, ça se marie très bien :-)

    RépondreSupprimer

Un petit bonjour ?

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...