Hier et aujourd'hui, au théâtre "HAU1", se déroule un festival atypique qui attire des cinéphiles d'un genre nouveau. Le premier du célèbre triptyque Hebbel am Ufer, issu de la fusion de trois illustres théâtres égarés au milieu de la friche urbaine désolée et sans âme du Hallesches Tor, ce secteur où le quartier ouest-berlinois de Kreuzberg butait autrefois contre Checkpoint Charlie et le no man's land miné qui divisait la ville, réussit la jolie prouesse d'attirer le chaland avec un festival du film dans lequel absolument aucune projection n'a lieu !
Il faut dire que janvier et février sont des mois très propices aux festivals de cinéma : des films américains indépendants du festival Unknown Pleasures (localement surnommé "le Sundance de Berlin", en toute modestie) aux britanniques de Britspotting, jusqu'à l'incontournable Berlinale, et sans parler des innombrables rétrospectives en tout genre, l'hiver est la saison par excellence où le cinéphile berlinois peut rattraper tout le retard qu'il accumule dans cette capitale où l'offre cinématographique fait pâle figure neuf mois sur douze. Par conséquent, pour tirer son épingle du jeu, le HAU1 n'a donc pas eu le choix : il a fallu innover et se différencier de la concurrence. On imagine le défi que cela a représenté pour les organisateurs, les nuits blanches et les séances de brainstorming d'anthologie pour trouver le concept :
"Hey, et si on faisait un festival porno, mais du genre intello, ludique et clean, pas crado ?
– C'est déjà fait à Berlin mon gars, tu débarques de quelle planète ?
– What about un festival du film muet ?
– Tu veux qu'on aille chasser sur les terres du Babylon Mitte ? Ça va finir dans un bain de sang.
– Des courts métrages, c'est bien les courts métrages non ?
Il faut dire que janvier et février sont des mois très propices aux festivals de cinéma : des films américains indépendants du festival Unknown Pleasures (localement surnommé "le Sundance de Berlin", en toute modestie) aux britanniques de Britspotting, jusqu'à l'incontournable Berlinale, et sans parler des innombrables rétrospectives en tout genre, l'hiver est la saison par excellence où le cinéphile berlinois peut rattraper tout le retard qu'il accumule dans cette capitale où l'offre cinématographique fait pâle figure neuf mois sur douze. Par conséquent, pour tirer son épingle du jeu, le HAU1 n'a donc pas eu le choix : il a fallu innover et se différencier de la concurrence. On imagine le défi que cela a représenté pour les organisateurs, les nuits blanches et les séances de brainstorming d'anthologie pour trouver le concept :
"Hey, et si on faisait un festival porno, mais du genre intello, ludique et clean, pas crado ?
– C'est déjà fait à Berlin mon gars, tu débarques de quelle planète ?
– What about un festival du film muet ?
– Tu veux qu'on aille chasser sur les terres du Babylon Mitte ? Ça va finir dans un bain de sang.
– Des courts métrages, c'est bien les courts métrages non ?
– Super originale cette idée, Detlev ! J'adore ! On est le Hebbel am Ufer oui ou m*rde ???
– Et pourquoi pas un truc un peu sulfureux, borderline, politiquement incorrect, qui créera un scandale et un max de buzz ?
– Tu penses à un Konzept en particulier ?
– Oui je me disais que des films des années 60 et 70, libération sexuelle et pédophilie, ce serait hammergeil !
– Ah ouaaaaais !
– Écoute, ton idée n'est pas mal du tout. On la note et on montera le projet quand on aura Frédéric Mitterrand comme ministre de la Culture, OK ? D'ici à 2012 il devrait se retrouver sans emploi donc on demandera à Angela de lui faire une place au Bundesministerium.
– Et pourquoi pas un truc un peu sulfureux, borderline, politiquement incorrect, qui créera un scandale et un max de buzz ?
– Tu penses à un Konzept en particulier ?
– Oui je me disais que des films des années 60 et 70, libération sexuelle et pédophilie, ce serait hammergeil !
– Ah ouaaaaais !
– Écoute, ton idée n'est pas mal du tout. On la note et on montera le projet quand on aura Frédéric Mitterrand comme ministre de la Culture, OK ? D'ici à 2012 il devrait se retrouver sans emploi donc on demandera à Angela de lui faire une place au Bundesministerium.
– Du coup on n'a toujours pas d'idée.
– Et un concept complètement in your face ? Qui ne s'est encore jamais vu nulle part ? Osons un truc de dingue, un festival de parodies de films d'Almodóvar avec des acteurs nains ! Mimie Mathy en Penélope Cruz, chantant "La Cucaracha" dans "Vol Vert" par exemple... Mmmmh...
– Detlev, encore une idée comme ça et c'est toi qu'on envoie bosser chez Mitterrand !
– OK, OK, les gars, du calme, je tiens the concept de la mort : un festival de films sans films."
– Et un concept complètement in your face ? Qui ne s'est encore jamais vu nulle part ? Osons un truc de dingue, un festival de parodies de films d'Almodóvar avec des acteurs nains ! Mimie Mathy en Penélope Cruz, chantant "La Cucaracha" dans "Vol Vert" par exemple... Mmmmh...
– Detlev, encore une idée comme ça et c'est toi qu'on envoie bosser chez Mitterrand !
– OK, OK, les gars, du calme, je tiens the concept de la mort : un festival de films sans films."
Pianiste sur la scène du HAU1, vu du troisième balcon |
Et c'est ainsi qu'est né, dans la douleur, Total Recall, Internationales Festival des nacherzählten Films. Oui ça a l'air assez transparent comme ça, même sans parler allemand. Cependant, toute la différence est dans le seul mot que les non germanophones d'entre vous ne comprennent pas forcément : "Total Recall, Festival International du Film Raconté". Je vous épargne le récit du brainstorming pour trouver le nom du festival.
Le Festival du film raconté, donc. Dans le mille. Cela se passe exactement comme c'est annoncé : des quidams viennent sur scène, et disposent d'un temps de dix minutes pour raconter, comme ils le désirent, le film de leur choix. Le film en question doit "exister" (sic) et doit être un film diffusé publiquement, pas le film du mariage de votre meilleur pote (re-sic), nous a expliqué le plus sérieusement du monde le présentateur sur scène. Les narrateurs n'ont pas le droit de s'aider d'objets ou d'accessoires, et le pupitre planté sur la scène avec ses deux micros inamovibles donne le ton : pas de jeu de scène, il s'agit de raconter un film, et surtout, surtout pas de le rejouer, nous prévient le jury. Gare aux plaisantins qui s'aventureraient hors des limites du règlement.
Qui dit festival dit compétition. Douze films en lice étaient prévus ; malheureusement, seuls sept hardis conteurs se sont portés candidats, pour nous raconter le film de leur choix. Au nombre des sept films au programme au début de la soirée, Fight Club, A Serious Man et Des Hommes et des Dieux. Les conteurs étaient tous amateurs, et je pourrais même dire que c'étaient des "conteuses" amatrices (contrices amateuses ?) vu l'écrasante majorité de femmes qui se sont emparées du micro pour faire le récit de leur film préféré. C'est pourtant un homme qui a remporté le plus grand succès avec son récit de 3 Dev Adam, un film turc de série B des années 1970. C'est précisément la seule prestation où je n'ai absolument rien compris, bien évidemment. Vous ai-je dit que ce festival "international" était exclusivement en allemand, malgré la promesse mensongère du site bilingue allemand-français ? Les deux femmes (dont une Turque, pour assurer le côté "international" sûrement) qui devaient raconter ensemble A Serious Man ont décidé de zapper et de nous faire découvrir un film français des années 1970 avec Romy Schneider, Le Trio Infernal. En voilà une bonne idée.
Après les six premiers récits, un entracte a eu lieu, juste avant lequel les organisateurs ont appelé des volontaires à se désigner dans le public pour exécuter les cinq prestations manquantes, puisque nous n'avions toujours que sept films au programme sur les douze prévus. J'ai hésité à me lancer, mais ne me suis pas jeté à l'eau. Après l'entracte, la qualité de la narration était quelque peu inférieure avec des conteurs et contrices montés sur scène au pied levé. Mais ces improvisateurs ont compensé par la fraîcheur et l'humour leur manque de préparation et leurs trous de mémoire. Une Espagnole frivole nous a livré un récit aussi drôle qu'approximatif de Cold Mountain, dans un allemand que je serais content de parler aussi bien. Une petite blonde plutôt ronde, et qui en Martinique se ferait sûrement traiter de "vagabonde", s'est perdue en digressions enamourées, en rugissements lubriques et en évocations orgasmiques de la virilité des Springboks sud-africains et des All Blacks néo-zélandais (les Allemands et le rugby, ça fait deux en général), au point d'en oublier qu'elle avait choisi de nous parler d'un film où il était question de football américain, The Blind Side. Deux jeunes femmes hilares ont décidé qu'en plus de nous parler de Die Sünderin, film allemand cultissime des années 50, elles pourraient tout aussi bien y mélanger des références aux hits teutons des années 2008-2009, Keinohrhasen et sa suite, Zweiohrküken (qui heureusement pour vous, n'ont guère franchi les frontières des pays germanophones), avec Til Schweiger, que vous avez peut-être vu dans Inglourious Basterds. Le Festival virait déjà au gros n'importe quoi à ce moment, mais le paroxysme a été atteint lors de la dernière prestation, celle d'une starlette aspirante de téléfilms de la ZDF qui nous a surtout raconté, avec force minauderies, comment elle s'est amourachée d'un caméraman pendant un tournage, pour mieux se faire larguer trois mois plus tard, et je ne sais plus quels autres tragiques événements survenus pendant sa tragique vie... Le film ? Quel film ?
Qui dit festival dit compétition. Douze films en lice étaient prévus ; malheureusement, seuls sept hardis conteurs se sont portés candidats, pour nous raconter le film de leur choix. Au nombre des sept films au programme au début de la soirée, Fight Club, A Serious Man et Des Hommes et des Dieux. Les conteurs étaient tous amateurs, et je pourrais même dire que c'étaient des "conteuses" amatrices (contrices amateuses ?) vu l'écrasante majorité de femmes qui se sont emparées du micro pour faire le récit de leur film préféré. C'est pourtant un homme qui a remporté le plus grand succès avec son récit de 3 Dev Adam, un film turc de série B des années 1970. C'est précisément la seule prestation où je n'ai absolument rien compris, bien évidemment. Vous ai-je dit que ce festival "international" était exclusivement en allemand, malgré la promesse mensongère du site bilingue allemand-français ? Les deux femmes (dont une Turque, pour assurer le côté "international" sûrement) qui devaient raconter ensemble A Serious Man ont décidé de zapper et de nous faire découvrir un film français des années 1970 avec Romy Schneider, Le Trio Infernal. En voilà une bonne idée.
Le récit de Die Sünderin |
Bref, le Festival International du Film Raconté est quelque peu parti en vrille sur la fin, mais c'était une expérience intéressante. Et d'ailleurs cette forme d'improvisation à la fin était plutôt drôle. Si j'y pense à temps, je participerai aussi l'an prochain, qui sait ? En tout cas il est encore temps d'aller à la dernière soirée. Précipitez-vous ce soir à 18h, au théâtre HAU Eins, Stresemannstraße 29, métro Hallesches Tor.
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