vendredi 21 octobre 2011

Beauté de Berlin : Les scintillements de Köpenick

Comme les saisons se hâtent, dans ces contrées septentrionales ! Mais où vont-elles si vite ? En Martinique aussi, nous avons des saisons, mais elles sont nettement moins tranchées, et la transition entre l’une et la suivante s’étale tranquillement sur 3 à 6 mois. Point n’est besoin de se presser : les choses évoluent lentement, sans brusquerie, au rythme antillais. Il y a la saison sèche (le «Carême») et la saison humide, qu’on appelle «hivernage» aux Antilles, et qui, pour pluvieuse qu’elle soit, reste nettement plus chaude et plus sèche que le plus chaud et sec des étés allemands. Il y a la saison des juteuses mandarines, la saison des savoureux melons sucrés, la saison des quénettes à grosse graine et la saison des mangues charnues. La saison des glycérias en fleurs, autour du Carnaval, et la saison où les flamboyants flamboient de leurs couleurs ardentes, en «été» (un terme qui n’a pas vraiment de sens chez nous), plus exactement au début de l’hivernage. D’ailleurs, tant qu’on y est, il y a la saison du Carnaval et la saison du «non-Carnaval». Et toutes ces périodes commencent en douceur et s’achèvent progressivement, se chevauchent allègrement (même le Carnaval et le non-Carnaval, c’est dire), et laissent à l’îlien le temps de s’habituer à la nouvelle condition végétale et atmosphérique, sans traumatisme aucun.

Ici, à Berlin, point de tout ceci. En quelques jours à peine, on bascule de l’été à l’Altweibersommer, qui cède brutalement sa place à l’automne, froid et venteux. Il faut s’y faire, et en profiter à fond, jusqu’à la toute dernière minute de soleil, et surtout, de douceur relativement estivale. Début octobre, alors qu’il était encore possible de flâner sans risquer de contracter une pneumonie, j’ai profité des dernières belles et chaudes journées du Goldener Oktober pour enfourcher mon vaillant Holland-Rad et partir à la découverte du quartier est-berlinois de Köpenick. Il est même possible que quelques gouttes de sueur aient perlé sur mon front, mais je n’en suis plus trop certain... trois semaines après les faits, la seule pensée d’avoir chaud en-dehors d’un sauna semble déjà complètement inconcevable. Mais reprenons. Ici Köpenick, disions nous.

Vue de la Dahme et du «Fischerkietz» (le village des pêcheurs) depuis les jardins du Château de Köpenick.

En amont du centre de Berlin, en remontant la Spree plein est sur 12 km en partant de Friedrichshain (ou dix-huit kilomètres depuis le Reichstag, ah, les distances à Berlin), on atteint la ville de Köpenick, rétrogradée au rang de simple quartier de la capitale prussienne en 1920 par la loi d’extension de Berlin. Pourtant, Köpenick la slave, en tant que centre urbain, est plus ancienne et se targue d’une bien plus longue histoire que le village allemand en aval, qui allait la concurrencer, la supplanter et finalement l’absorber après un millénaire de bon voisinage. Un village fondé par la mystérieuse tribu slave des «Sprévanes» ou «Sprewanen», au confluent de ces rivières qu’on appelle aujourd’hui la Spree et la Dahme, a été attesté dans des chroniques officielles sous le nom de Copnic vers la fin des années 1100 et quelque, plusieurs décennies avant la fondation de Berlin, et s’appelait encore officiellement «Cöpenick» avec un C jusqu’en 1931, année où l’on opta pour une nouvelle orthographe. Non mais c’est vrai quoi, avec un K, Köpenick, c’est incomparablement plus chic, plus typique, plus germanique.

Les reflets du Château de Köpenick, construit sur une petite île en 1558, modifié en 1677 dans un style baroque (curieusement je lui trouve un aspect bien plus «moderne»), et rénové en 2004, scintillent sur la Dahme.
Il y a bien longtemps (j’imagine, car après tout j’y étais pas) que Köpenick a perdu son caractère slave, et est devenue teutonne bon teint. Néanmoins, loin de s’être dissoute dans l’anonymat de la capitale prussienne, elle conserve son identité à part, et il faut un certain effort pour se rappeler qu’on est encore à Berlin plutôt que dans quelque paisible village pittoresque en bordure de rivière, où vivotaient encore des pêcheurs il y a un siècle. Tant de végétation, tant d’eau, c’est un régal pour l’insulaire que je suis. Un dimanche ensoleillé à Köpenick, c’est déjà un début de vacances loin de la ville.

Le crépuscule du dimanche 2 octobre près du centre de Köpenick, à la confluence de la Dahme et de la Spree

La Spree rougeoie sous le ciel d’octobre

En plus de la Spree et de la Dahme, une autre vaste étendue d’eau baigne la région et lui donne encore plus d’attrait : le Müggelsee, grosse bassine ovale de 4 kilomètres sur 3, est le plus grand des lacs de Berlin. Il est principalement entouré de pinèdes, de modestes collines et de quelques petites plages ombragées. La Spree s’y déverse à l’est et en ressort à l’ouest, un peu comme le Rhône avec le lac Léman mais à une échelle bien plus réduite. Ses eaux bleues, tièdes et peu profondes (8 mètres de profondeur maximale !), scintillent généreusement pendant les journées d’été et se prêtent à la baignade et aux activités nautiques durant une bonne partie de l’année.

Le Müggelsee scintille à Friedrichshagen, un hameau proche de Köpenick, sous le soleil d’octobre.
Le fan de Harry Potter que je suis a été fort marri d’apprendre que le Müggelsee n’a absolument rien à voir avec les Muggles (en allemand, die Muggel), même si je n’aurais pas forcément osé parier une fortune là-dessus. Le «Lac des Moldus», voilà un nom qui enverrait du lourd. Mais non. Le mot «Müggel», avec un Ü, qui donne leur nom au lac, aux collines, au village de Müggelheim juste à côté, etc, a une obscure étymologie slave avec laquelle je n’ai aucune envie de vous barber là tout de suite... une prochaine fois peut-être ?

Un généreux soleil illumine le lac en des reflets éblouissants. C’était il y a 19 jours seulement...

L’inconvénient de la baignade au Müggelsee, du fait de sa faible profondeur, c’est qu’il faut patauger sur une longue distance pour enfin parvenir au grand bain où l’on peut nager librement au-dessus de la vase. Inversement, après le bain, une longue marche s’impose avec l’eau à mi-mollet pour regagner la berge sableuse. Du coup, pendant que vous vous évertuez à photographier les reflets du soleil sur le lac, un baigneur naturiste peut surgir dans votre champ sans crier gare et promener nonchalamment sa nudité devant votre objectif pendant de longues minutes, sans complexe ni pudeur. Ici, à l’Est, le nudiste est roi, et c’est pas forcément joli-joli. Âmes sensibles s’abstenir donc. Mais pour voir le lac à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, disons qu’il n’y a absolument aucun risque qu’un monstre façon Loch Ness, ou quelque autre abominable créature chthonienne, ne se tapisse dans 8 mètres de profondeur et vienne terroriser les baigneurs tous nus, voire mordre à l’hameçon... C’était le défi du mois, placer le mot «chthonien» dans un billet. Je m’en sors plutôt bien non ? C’est d’ailleurs un bien joli mot à remettre au plus vite au goût du jour. Je m’y attellerai ASAP.

Pinède dans les Landes ou banlieue boisée de Berlin ?
Un petit lotissement entre Schöneweide et Köpenick

Se baigner, avec ou sans vêtements, se balader à vélo, admirer le château, s’émerveiller des scintillements de la Spree et du Müggelsee... Que faire de plus à Köpenick ? Ce ne sont pas les possibilités qui manquent. Les mélomanes (ou pas) peuvent assister aux méga-concerts en plein air de la Kindl-Bühne Wuhlheide en été ; les footeux préféreront tenter l’expérience d’un match de la 1. FC Union, LE club de foot de Berlin-Est, qui évolue habituellement en deuxième Bundesliga et affronte parfois le Hertha BSC de l’ouest lors de derbys épiques. À ce qu’il paraît, voir l’Union jouer à domicile est une expérience à vivre absolument. Mais de telles activités se prévoient longtemps à l’avance. Lorsque l’on improvise un dimanche à Köpenick, il faut voir plus petit. On peut, par exemple, s’amuser à repérer les innombrables statues d’artistes est-allemands qui décorent les pelouses un peu partout et s’amusent à surprendre le promeneur au détour d’un sentier. 
    

Une statue dont j’ai oublié de noter le nom
  
Ingeborg Hunziger, Vater mit Kind, 1958

Theo Balden, Geschwister («Frère et sœur»), 1974

Très joli et très rigolo tout ceci. Une fois que l’on s’est bien fatigué à vélo, que l’on a bien sué à la plage, assez barboté au milieu des nudistes, et que l’on s’est suffisamment extasié devant la fine fleur de la sculpture est-allemande, l’on peut se remettre de ses émotions en s’offrant un verre de Federweißer bien mérité, la version allemande du «vin bourru», blanc, sucré et trouble, à consommer bien frais pendant les vendanges.

Un verre de Federweißer à la terrasse du Schlosscafé (Café du Château)
Et voilà ! Vous avez passé un merveilleux dimanche de début d’automne à Köpenick ! Signe du destin, deux jours plus tôt, je rentrais à Berlin après quelques jours d’absence, et j’ai eu la chance d’admirer et d’immortaliser un coucher de soleil sur le Müggelsee depuis mon hublot. Sur la photo, on voit très bien la Dahme, qui serpente à travers la largeur de l’image, et s’élargit vers la gauche (en fait, le sud) pour donner le Langer See de Grünau, connu entre autres pour ses régates d’aviron. À droite (vers le nord), vous reconnaissez la grande bassine du Großer Müggelsee, et pouvez même voir la Spree qui s’en écoule vers l’arrière-plan (l’ouest) et part à la rencontre de la Dahme.

Spree et Dahme, Langer See et Müggelsee, le 30 septembre 2011

Et, trois jours plus tard, finie la récré ! Comme ça, brutalement, sans transition. Ce qui est bien à Berlin, c’est qu’on sait qu’une fois que l’été est terminé, il est vraiment fini pour de bon. Il n’y aura pas de supplément. Il est donc déjà temps de ranger les tenues estivales, de ressortir les manteaux et les pulls épais, de remettre de l’imperméabilisant sur ses chaussures, et, si on est un con-sommateur un peu débile, de commencer à faire provision de Lebkuchen et de calendriers de l’Avent.

La dernière journée de soleil et de douceur de l’année, c’était le 4 octobre.
Il va falloir patienter jusqu’en 2012 pour la prochaine !


7 commentaires:

  1. Ah, le Müggelsee, c'est là qu'on a passé notre été en famille, c'est parfait avec des enfants, et puis j'aime bien me retrouver de temps en temps dans un décors de Good Bye Lénine!
    Quant au froid, ça ne me dérange pas encore trop (faut dire qu'avec mes 17kg supplémentaires j'ai des bonnes réserves), par contre l'obscurité qui gagne du terrain, là j'ai du mal! Ce soir j'ai remarqué qu'à 18h40 il faisait déjà nuit noire, ça me déprime!!!
    Ta description des saisons martiniquaises est magnifique, ça donne envie de les vivre une fois pour de vrai.

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  2. La nuit noire à 18h40, ça te déprime ?? Alors tu adoreras la nuit noire à 17h35 demain avec le passage à l'heure d'hiver :-(
    Le froid, ça va aussi, quand on est correctement habillé. Maintenant je n'ai déjà plus aucun scrupule à mettre gants, écharpe et à superposer les couches de vêtements, alors bon, je me ris des basses températures ! Tant que le soleil brille, ça me va :-) Allez, hop, je vais dehors profiter des dernières heures de jour !
    Eh oui, en Martinique aussi on a de chouettes saisons, et elles ont toutes quelque chose à offrir.

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  3. Oups finalement c'est pas ce soir le passage à l'heure d'hiver, enfin je crois :-)

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  4. Donc vu que c'est la semaine prochaine, ça sera encore pire! Je viens de regarder, le soleil se couchera à 16h41 dimanche prochain. Na toll...

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  5. Bah ouais, parfois c'est mieux de ne pas savoir ce que l'avenir nous réserve :-)

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  6. Superbe tes photos du chateau de Köpernick! Ca donne envie d'y aller, on avait envie justement d'aller faire une grande balade au Müggelsee!
    Ah oui ce matin à 7 heures c'était dur! C'était comme en pleine nuit!! je suis du coup encore moins copine avec le matin maitnenant!
    Merci pour ton lien sur mon blog ! :-)

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  7. Hé, mais je t'en prie Little Cat, plutôt que de paraphraser tes textes, mieux vaut rediriger les lecteurs vers tes chouettes balades photographiques ! Ouais, Köpenick c'est bien sympa, et je dois dire que le Müggelsee ça me tenterait moins sans possibilité de baignade... mais peut-être que l'eau à 10°C ça ne t'effraie pas! :-)

    Et je comprends tout à fait ton problème avec les matinées sombres. Pour moi c'est pareil : aucune envie de m'extraire du lit dans les ténèbres.

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Un petit bonjour ?

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