mercredi 28 septembre 2011

Altweibersommer dans un havre de tranquillité menacé

Naaaa-na-na, la-la-la-la, na-naaa-na-na... Une chanson me trotte dans la tête, un de ces airs idiots et obsédants dont il est difficile de se débarrasser pendant des heures à partir de ce moment funeste où ils ont pris leurs quartiers dans votre cerveau. Attention ! Ne cliquez pas sur ce lien ! Vous risqueriez de le regretter ! Je vous aurai prévenus... Oh et puis tant pis pour vous. 

Les "Grauen" vous souhaitent
une courte jeunesse, un prompt
vieillissement et une lente agonie.
Il plane sur Berlin un parfum d’«Altweibersommer». Ce curieux vocable, qui semble conclure chaque bulletin météo teuton en cette fin septembre aussi sûrement que des perles inestimables (ou plutôt, notées AAAAA comme l’andouillette de Troyes) concluent invariablement chaque nouvelle une déroute électorale de l’UMP en cet an IV de l’ère Sarkozy, signifie, à ce que m’ont répondu 100% d’Allemands que j’ai interrogés, l’«été des vieilles dames». 

Je ne trouve rien à redire au fait que le pays le plus vieux d’Europe rende un si vibrant hommage à ses vénérables séniors, vu que ces derniers ont déjà leur propre parti politique, le parti des «Panthères Grises», qui a fait campagne lors de la toute dernière élection à Berlin avec des slogans particulièrement réjouissants, comme «Vos enfants aussi seront retraités un jour»... Certes, on comprend où ces joyeux lurons veulent en venir, même si l’argument frôle le sophisme (soigner les retraités de 2011 ne veut certainement pas dire prendre en compte le bonheur des futurs retraités de 2071 de manière automatique), et puis tout de même... Qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! Qui a dit que l’optimisme et la joie de vivre étaient le propre de la jeunesse ? Dommage que les Grauen se soient arrêtés en si bon chemin. Ils auraient pu pousser le raisonnement plus en avant, et oser quelque formule plus hardie, plus «choc», comme par exemple «Vos enfants aussi auront Alzheimer» ou, «On vous avait bien dit qu’un jour vous seriez incontinents et feriez caca dans une poche plastique, bien fait, na», ou plus lapidaire mais ô combien in your face : «Born To Die», histoire de faire le buzz et de damer le pion aux provocateurs habituels. Mais je m’égare. Respect pour les vieilles dames en Germanie, donc, disais-je. Cependant, quand j’ai insisté et exigé de savoir quel était le rapport logique entre un ciel bleu pur et des températures clémentes en septembre d’une part, et d’autre part, des vieillardes décrépites, au soir, à la chandelle, assises auprès du feu, dévidant et filant, personne n’a su me fournir un début de réponse satisfaisante.
 
Un coin de Berlin à la fin septembre
Comme toujours, j’ai donc mandé mon pote Wicky Pedia qui sait tout, et la réponse n’a pas tardé à venir : en fait, les Altweiber en question ne sont pas de vieilles dames, mais désignent des toiles d’araignée («Spinnweben») en vieux patois, puisque les belles journées de début d’automne voient foisonner, dans les jardins, les buissons et dans tous les recoins de mon appart, ces pièges de soie habités d’une gardienne solitaire à huit pattes. Capisce ? Ce ne sont pas les Berlinois(es) parmi vous qui me contrediront. Pour mieux enfoncer le clou, un arrêt du tribunal de Darmstadt, en 1989, a confirmé que l’expression Altweibersommer n’a rien de péjoratif envers les femmes âgées, des fois que de vieilles biques acariâtres auraient l’idée d’en prendre la mouche. Les magistrats, pas tombés de la dernière pluie, savent se prémunir contre le pouvoir de nuisance des retraitées allemandes, qu’il serait fort imprudent de sous-estimer au pays des Grauen Panther. Tatie Danielle aurait très bien pu être d’ici.

Pfiou ! Mes aïeux, quel bavardage ! Quatre paragraphes de bla-bla et de digressions pour introduire la notion d’Altweibersommer. Donc voilà : après un été tout pourri de bout en bout et alors que les feuillages jaunissent déjà et que nous nous apprêtions à entrer en hibernation sous peu, l’arrière-saison nous accorde un sursis inespéré.

Vous êtes bien au cœur de la capitale de la
République Fédérale d'Allemagne... Pincez-vous.
Tout récemment, au hasard d’une partie de beach volley-ball, mes amis m’ont fait découvrir un endroit complètement inattendu au cœur de la capitale : un camping ! Vous imaginez un camping (un vrai avec des campeurs, pas une opération humanitaire à la «Don Quichotte») dans un rayon de 500 mètres des quais de la gare du Nord et de ses Eurostars ? Bien sûr que non. Eh pourtant, Berlin l’a fait : dans un recoin de ce quartier décidément plein de surprises qu’est Moabit, à un demi-kilomètre de la façade rutilante de Hauptbahnhof, du vacarme dément de l’Invalidenstraße et de la prison la plus célèbre de la capitale, une énième friche urbaine s’étend discrètement, composée de vastes pelouses, de deux grandes piscines désaffectées, et d’arbres poussant anarchiquement au milieu de tout ça. Le calme règne. Sur les pelouses, quelques dizaines de tentes, petites et grandes, et quelques camping-cars. Pas de doute, c’est bien un camping. Les deux piscines de l’ancien Sommerbad Moabit («bain public d’été de Moabit») sont à sec depuis bien longtemps, à en juger par la belle taille qu’ont atteint les bouleaux qui poussent sur ses berges, le tronc surgi d’entre les dalles.

Comme un air de ghetto de Ell'Ayy.
La grande piscine a été reconvertie en terrain de skateboard, le dénivelé à pente variable de cette surface de béton se prêtant parfaitement aux exercices d’adresse sur la planche, semble-t-il. Je les ai longuement observés et ils ont l’air de bien s’amuser, les ados rebelles à roulettes.

La petite pataugeoire, nettement moins profonde, a été remplie de sable et fait office de terrain de beach volley-ball ! Le sable n’est pas très propre et est très dur sous les pieds, et le filet est capricieux, mais on joue gratuitement et aussi longtemps que l’on veut, dans le calme boisé de ce coin oublié de Berlin : ça nous change du cadre hyper-branchouille de Beach-Mitte, son sable tropical, ses réservations millimétrées, ses chaises longues, ses binouzes et ses bellâtres peroxydés. 




Merci à Elena pour ces chouettes photos prises dans le feu de l’action ! Je suis content et ô combien chanceux d’avoir eu le temps de découvrir cet endroit irréel en cette fin d’été : dans une semaine, mardi prochain, zou ! Tout le monde déménage ! Toujours la même histoire bien berlinoise : le terrain est vendu depuis 2009, le propriétaire s’impatiente, et le locataire est prié de décamper et d’aller se faire pendre ailleurs. Après avoir évacué le bain public désaffecté, le camping, décidément habitué des lieux à l’abandon, rouvrira ses portes sur le site... d’un cimetière abandonné, près de l’ancien aéroport de Tempelhof. Les pierres tombales ont été enlevées (dommage, elles auraient mis l’ambiance), mais les ossements sont encore là dans le sol, sous les emplacements réservés aux futurs campeurs. Berlin aura-t-il enfin son premier camping hanté ? Réponse au printemps prochain à la réouverture. 

Allez donc camper chez les morts, bande de ploucs !
Achtung : ne pas creuser de trous trop profonds...
Les piscines à sec, elles, resteront bien évidemment sur place. On ne sait pas encore ce qu’il en adviendra, ni dans quel état on les retrouvera l’an prochain. La pataugeoire sera-t-elle toujours remplie de sable dégueu ? Le filet de beach-volley sera-t-il plus facile à installer ? Rien n’est moins sûr. Quoi qu’il en soit, il n’est pas encore né, le promoteur qui construira un hôtel de luxe dans ce quartier peu glamour. Un bon signe : les nouveaux propriétaires ne sont nul autre que les exploitants du Liquidrom, le grand établissement de bains à Möckernbrücke, près de Potsdamer Platz. Peut-être auront-ils la bonne idée de rendre le Sommerbad Moabit à sa vocation initiale, même si pour cela il faudra abattre quelques bouleaux sacrément coriaces...


Sous la tête de Bart Simpson, un graffiti en français. Yay ! La jeunesse berlinoise désœuvrée est polyglotte.
Au Sommerbad Moabit, c'est toujours la récré en fait

Ça pousse vite un bouleau ?

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