Berlin, capitale mondiale du vélo et du vol de bicyclettes, de l’électro et des principes reniés, de l’art contemporain et des titres de “capitale mondiale de” plus ou moins usurpés, est aussi un lieu où l’on s’habitue à prendre ses aises avec la sécurité, à force de vivre dans cet univers merveilleux peuplé de gens si foncièrement honnêtes. Petit à petit, l’on perd ses réflexes de pleutre Parisien, de Français froussard, de Londonien lâche, d’Italien inquiet, de Croate craintif ou de Vénézuelien veule, et l’on comprend qu’il ne nous arrivera rien même si on traverse, à vélo ou à pied, le Görlitzer Park seul et par une nuit sans lune. On baigne dans cette ambiance de sécurité qui procure un grand confort mental au quotidien, et pour en avoir fait l’expérience à deux reprises, un portefeuille ou une carte de paiement égarés sont restitués à leur propriétaire étourdi sans dommage aucun dans 100% des cas (étude menée sur échantillon représentatif de deux situations vécues). Bref: respirez et détendez-vous, la confiance règne.
Ainsi, imaginez la scène : Vous êtes au concert, par exemple, vous attendez l’entrée en scène du contrebassiste Avishai Cohen après le slam de Shelley Hirsch dans le cadre d’un festival de jazz, et vous souhaitez aller fumer pendant les 15 minutes de pause. Hélas, les sièges ne sont pas numérotés, et après avoir inhalé votre nicotine, votre arsenic et votre goudron à plein poumons, vous trouvez un petit freluquet à la mèche trendy occupant votre siège, qui vous adresse, sur un ton moralisateur et faussement penaud, et avec l’intonation affectée de Prenzlauer Berg la plus horripilante qui soit: «Weggegangen, Platz vergangen, sorry!» (qui va à la chasse perd sa place) de sa voix fluette. Forcément, votre sang ne fait qu’un tour. Vous vous ruez sur la scène, et avant que quiconque n’ait le temps de réagir, empoignez l’archet, revenez à votre siège perdu, plantez la baguette effilée dans l’œil du malotru. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, vous avez occis ce gredin, et un rictus de satisfaction courbe vos lèvres. Hélas, vous êtes alors maîtrisé et brutalisé par les services de sécurité, arrêté, inculpé, jugé, condamné et embastillé pour le restant de vos jours, et, pis que tout, vous avez loupé le concert... Un scénario catastrophe à éviter absolument. Que faire pour éviter d’en arriver à de tels extrêmes, qui se produisent bien plus souvent qu’on ne le pense ? La solution est fort simple: vous pouvez réserver votre siège en laissant derrière vous un objet bien en évidence, histoire de marquer votre territoire. Par exemple, un téléphone mobile, un objet tout à fait indiqué pour être laissé 15 minutes sans surveillance dans une grande salle remplie d’inconnus en mouvement.
Et vous ne courez aucun risque de vous le faire chourave, car le Berlinois est honnête, et par conséquent, ne sera pas tenté de faire main basse sur votre portable. C’est beau cette culture de la confiance en l’honnêteté de chacun ! Dans ce cas particulier, malheureusement, la stratégie employée présente un inconvénient majeur que vous avez tout de suite envisagé : et si d’aventure, pendant ma pause clope-nicotine-tabac-arsenic, je souhaite passer un coup de fil, je suis bien marri ! Que puis-je donc laisser sur mon siège pour éviter d’être délogé par un indésirable ? Passons en revue les possibilités :
Un iPhone 4 ou un iPad
Oui parce que tout le monde n’a pas un vieux modèle de Nokia tout pourri vintage 2001 pour faire son intéressant au musée, s’afficher en public avec des airs de supériorité et un regard plein de suffisance qui semble dire : «Voyez, j’ai un téléphone qui n’a même pas d’écran couleur. Par conséquent, je suis bien plus intello que vous autres, misérables ploucs drogués aux bibelots high-tech, obligés de consommer pour avoir le sentiment d’exister». Non, vous êtes un type lambda et n’avez qu’un iPhone 4 (ou un iPad) pour communiquer avec le reste du monde.
Le plus : Je n’en vois pas vraiment, à moins qu’il n’y ait une application “Radar” qui surveille votre place à distance ou une app “Electric Chair” qui administre sans sommation une décharge de 220 volts à tout individu faisant mine de s’approcher de votre fauteuil. Pour plus de renseignements, consultez votre app store habituel.
Le moins : Ce ne sont pas les inconvénients qui manquent. Par où commencer? D’abord, vous n’aurez pas votre beau beau joujou pendant la pause, ni pour téléphoner, ni pour poster sur Twitter: «Trop ouf, concert Avishai Cohen dans 5 minutes! #Jewish Museum Berlin #J’me kiffe», ni pour en informer vos 863 Facebook friends, dont 848 s’en tapent complètement. De plus, vu que par les temps qui courent, tout le monde possède un iPhone 4 comme substitut de personnalité, vous risquez, de retour de votre pause, de tomber sur toute une rangée de sièges sur chacun desquels trône un iPhone 4. Vous seriez bien avancé... Attendez peut-être la sortie de l’iPhone 5 à l’automne pour tirer votre épingle du jeu: si vous êtes first mover, vous disposerez d’un délai de 6 mois pour vous démarquer avant que 90% de la population de consommateurs panurgiens ne soit équipée.
Un billet de 500€
Vous vivez en Allemagne et êtes parfaitement intégré, donc vous avez forcément une liasse de grosses coupures en permanence sur vous. Vous pouvez donc laisser un billet de 200 ou 500€ sur votre siège pour signaler aux intrus d’aller poser leurs fesses ailleurs.
Le plus : Vous courez peu de risque d’avoir besoin de dépenser 500€ pendant les dix minutes de pause.
Le moins : Au moindre courant d’air, vous l’avez dans le baba. Pour mémoire, vous êtes Berlinois, donc n’avez pas vraiment les moyens de semer des billets de 500€ aux quatre vents ou d’y mettre le feu comme Gainsbourg...
Le téléphone portable: pratique pour réserver son siège pendant un quart d'heure au milieu de centaines d'inconnus. |
Et vous ne courez aucun risque de vous le faire chourave, car le Berlinois est honnête, et par conséquent, ne sera pas tenté de faire main basse sur votre portable. C’est beau cette culture de la confiance en l’honnêteté de chacun ! Dans ce cas particulier, malheureusement, la stratégie employée présente un inconvénient majeur que vous avez tout de suite envisagé : et si d’aventure, pendant ma pause clope-nicotine-tabac-arsenic, je souhaite passer un coup de fil, je suis bien marri ! Que puis-je donc laisser sur mon siège pour éviter d’être délogé par un indésirable ? Passons en revue les possibilités :
Un iPhone 4 ou un iPad
Oui parce que tout le monde n’a pas un vieux modèle de Nokia tout pourri vintage 2001 pour faire son intéressant au musée, s’afficher en public avec des airs de supériorité et un regard plein de suffisance qui semble dire : «Voyez, j’ai un téléphone qui n’a même pas d’écran couleur. Par conséquent, je suis bien plus intello que vous autres, misérables ploucs drogués aux bibelots high-tech, obligés de consommer pour avoir le sentiment d’exister». Non, vous êtes un type lambda et n’avez qu’un iPhone 4 (ou un iPad) pour communiquer avec le reste du monde.
Le plus : Je n’en vois pas vraiment, à moins qu’il n’y ait une application “Radar” qui surveille votre place à distance ou une app “Electric Chair” qui administre sans sommation une décharge de 220 volts à tout individu faisant mine de s’approcher de votre fauteuil. Pour plus de renseignements, consultez votre app store habituel.
Le moins : Ce ne sont pas les inconvénients qui manquent. Par où commencer? D’abord, vous n’aurez pas votre beau beau joujou pendant la pause, ni pour téléphoner, ni pour poster sur Twitter: «Trop ouf, concert Avishai Cohen dans 5 minutes! #Jewish Museum Berlin #J’me kiffe», ni pour en informer vos 863 Facebook friends, dont 848 s’en tapent complètement. De plus, vu que par les temps qui courent, tout le monde possède un iPhone 4 comme substitut de personnalité, vous risquez, de retour de votre pause, de tomber sur toute une rangée de sièges sur chacun desquels trône un iPhone 4. Vous seriez bien avancé... Attendez peut-être la sortie de l’iPhone 5 à l’automne pour tirer votre épingle du jeu: si vous êtes first mover, vous disposerez d’un délai de 6 mois pour vous démarquer avant que 90% de la population de consommateurs panurgiens ne soit équipée.
Un billet de 500€
Vous vivez en Allemagne et êtes parfaitement intégré, donc vous avez forcément une liasse de grosses coupures en permanence sur vous. Vous pouvez donc laisser un billet de 200 ou 500€ sur votre siège pour signaler aux intrus d’aller poser leurs fesses ailleurs.
Le plus : Vous courez peu de risque d’avoir besoin de dépenser 500€ pendant les dix minutes de pause.
Le moins : Au moindre courant d’air, vous l’avez dans le baba. Pour mémoire, vous êtes Berlinois, donc n’avez pas vraiment les moyens de semer des billets de 500€ aux quatre vents ou d’y mettre le feu comme Gainsbourg...
Un concert d'Avishai et une heureuse trouvaille ! La soirée fut bonne, my Precioussssss. |
Très pratiques, ces petits anneaux d’or pur pour faire office de marqueur de territoire. D’ailleurs, c’est effectivement leur rôle premier, mais avec des humains plutôt que des fauteuils en règle générale... Bref. Si la salle est éclairée, le métal resplendira de mille feux et l’intrus ne pourra s’y tromper: quelqu’un a réservé ce siège et de surcroît, le cœur de ce quelqu’un n’est plus à prendre. Dépité, le fâcheux fera demi-tour et ira se faire pendre ailleurs.
Le plus : Pendant que votre alliance ou bague de fiançailles repose sur votre fauteuil, vous pouvez accoster un(e) inconnu(e) dans la cour verdoyante du Musée Juif, clope au bec, un verre de Prosecco à la main, un air de jazz en fond musical, et conter fleurette en toute liberté...
Le moins : Là encore les risques sont multiples. Assurez-vous que votre siège n’est pas un strapontin, sinon, adieu bague, cochons, couvée ! De plus, même si les Berlinois sont honnêtes et ne chaparderont pas votre précieux anneau, il n’est pas exclu que Gollum, lui-même fin amateur de contrebasse et violoncelliste hors pair, ne soit pas dans l’audience et, apercevant la bague, s’exclame “My Precioussssss” et, d’un coup de poignet vif et souple, se saisisse du symbole de votre amour éternel pour s’en aller le fondre dans les laves du Mordor. Franchement, vous vous voyez arpenter la Terre du Milieu et affronter ses moult dangers pendant des mois pour récupérer votre bijou matrimonial, vous? Scénario extrême, j’en conviens, mais le risque zéro n’existe pas.
Un lingot d’or
En ces temps d’incertitude économique, où les plans de sauvetage succèdent aux bail-out qui succèdent aux programmes d’austérité, nul n’est capable d’affirmer de quoi demain sera fait ni d’assurer que votre banque ne fera pas faillite d’ici après-demain, vous entraînant dans sa chute. Comme toute personne sensée, vous avez donc acheté de l’or pour mettre vos maigres économies hors de danger.
Le plus : Différenciation assurée à 100% ! Indéniablement, vous êtes sûr de retrouver votre place illico.
Le moins : Rien ne dit que votre voisin de siège, avec ses airs de Baden-Württembergien ultra-coincé, n’est pas un responsable haut placé à l’administration des impôts. Il aura sans doute grande envie de faire plus ample connaissance avec vous. Aïe.
Une Jaguar
L’Allemand respecte l’automobile. Pour réserver votre place au théâtre, ne faites pas dans la demi-mesure et garez un véhicule imposant à l’emplacement de votre choix dans la salle.
Le plus : Les sièges pourris du Musée Juif vous esquintent le dos et vous mettent les fesses en bouillie? Au moins, dans votre véhicule, vous serez mieux installé.
Le moins : Une Jaguar, non mais franchement, vous vous croyez à Paris 16ème ? Ayez au moins le bon goût de conduire allemand. Entre Porsche et Audi, vous n’avez que l’embarras du choix. Vous pouvez oser une BMW ou une Mercedes si vous n’avez pas peur de vous encanailler en imitant les Turcs de Neukölln; effet décalé garanti. Ceci dit, manœuvrer un véhicule dans les couloirs d’un théâtre ou d’un musée peut en rebuter plus d’un, sauf si par bonheur l’événement a lieu dans un Drive-in Theater. Aussi, rappelez-vous qu’il existe des quartiers à Berlin où une grosse bagnole est une cible privilégiée pour les énervés de gauche, qui y mettront le feu juste pour pour tromper l’ennui et le désœuvrement, et accessoirement, pour combattre le capitalisme.
VERDICT: un “Hollandrad”
Un vélo hollandais, ça sert vraiment à tout. |
Vous me remercierez le jour où, grâce à ces conseils, vous n’aurez pas assassiné un Hipster prenzlauerbergien d’un coup d’archet de contrebassiste dans l’œil. Même si vous vous dites peut-être que dans le fond, ce ne serait pas si mal que ça de régler son compte à un de ces petits prétentieux androgynes, rien qu’une fois.
Je me suis rendue compte que je m'étais bien relaxée quand ma tante est venue me rendre visite, on était au marché et elle avait tout le temps peur qu'on lui ouvre son sac à main sans qu'elle s'en rende compte... alors que moi je gardais le mien ouvert, ben oui, c'est plus pratique pour sortir son porte-monnaie et payer ses achats! Et il y a aussi eu la fois où j'ai oublié 200€ à l'automate, et où on m'a couru après pour me les donner!
RépondreSupprimerPar contre c'est vrai que mon vélo j'y fais attention, je l'attache toujours à quelque chose, même si c'est pas un vélo hollandais. Le vol, mais aussi la détérioration semblent être tolérés, il n'y a qu'à voir les épaves qu'on trouve à Warschauer Straße!
Voilà qui ne m'étonne pas... c'est magnifique cette mentalité! Il n'y a qu'aux vélos qu'il faut faire attention en toute occasion. C'est clair qu'en plus des vols, il faut faire gaffe à pas se le faire vandaliser.
RépondreSupprimerMais quand même, dès que je suis à l'étranger, je me remets en mode "vigilance permanente" et ça fait bizarre...