Alors ça y est, me voilà en Syrie. Et force est de constater que George W. Bush avait tout à fait raison : ici, c'est vraiment l'Axe du Mal. Ou plutôt, comme m'a fait remarquer une lectrice, pas vraiment l'Axe du Mal, mais pour utiliser la terminologie exacte employée par les néo-conservateurs de l'ère Bush, ''Beyond the Axis of Evil''. La nuance est réelle, quoique ténue...
Un pays foncièrement mauvais, donc, où les gens ont le front bas et le regard fuyant. Enfin, pas tout à fait, mais je suis presque sûr d'avoir aperçu au moins un Syrien au regard suspect depuis lundi. Enfin, je crois bien. Euh, je ne sais plus vraiment. Et puis à plusieurs reprises des militants syriens qui haïssent profondément l'Occident, la Liberté et la Démocratie ont presque tenté de me kidnapper en voiture. J'en ai réchappé de peu à chaque fois. Mais entrons un peu plus dans les détails de ces aventures en terre hostile.
Lundi soir, je suis arrivé à Lattaquié depuis Tripoli. Nous voyagions à cinq depuis le Liban, dans une petite voiture de fabrication chinoise, de la marque Chery, ou "shiri" en prononciation locale. J'étais bien sûr installé au milieu de la banquette arrière, écrasé entre deux gros Syriens. Mais c'est la moindre des choses, après tout c'est l'Axe du Mal. Mes compagnons de voyage, obèses mais au grand cœur, m'ont payé le café à chaque pause que nous faisions. Une fois que nous avons passé la frontière, j'ai eu droit à plusieurs "Welcome to Syria" de leur part. Tout ceci cachait sûrement quelque chose. Dès notre arrivée à Lattaquié, sur la côte, l'un d'entre eux s'est assuré de me trouver un taxi qui me ferait payer le bon prix pour m'emmener à mon hôtel. En l'occurence, mon hôtel n'existait plus, ou alors le chauffeur n'a pas réussi à le trouver. Lorsque j'en ai eu assez, je lui ai demandé de me déposer devant le premier hôtel que j'ai vu. Dans cet établissement très bon marché et si basique que j'ai failli refuser la chambre, j'ai été immédiatement adopté, après une autre série de "Welcome to Syria", par un groupe de trois jeunes dans la vingtaine : Fater, un pensionnaire à long terme, jeune chirurgien cardiologue de son état, Mohammed, le fils du patron, étudiant en "mécatronique" (sûrement un truc qui sert à fabriquer des bombes) et son cousin Khaled, étudiant en droit qui prépare le TOEFL. Après une petite promenade à pied dans les rues de la ville et notamment le long de la côte, ils m'ont emmené en voiture, moi qui n'avais rien demandé, pour une longue virée à la plage puis dans les restaurants bon marché et sympathiques de la ville. Ils ont absolument tout payé et refusaient que je participe de quelque manière que ce soit. C'est difficile à comprendre, mais j'étais leur "invité", leur "ami" et c'est donc ainsi. Il était hors de question que je paye quoi que ce soit. Je me suis senti quelque peu submergé par tant d'hospitalité. Plus tard, rentré à l'hôtel, les Syriens n'ont pas arrêté de me servir gratuitement des breuvages suspects : de l'eau, du café, du thé. Du café très fort, même à minuit. Et de la bière sans alcool. J'étais sur mes gardes et ai bien fait attention, mais non les boissons n'étaient pas empoisonnées.
Mais ça ne s'est pas arrêté là. Lorsqu'ils ont compris que mon intention était de visiter "al Qala'at Salaheddine", le Château de Saladin, l'une des attractions de la région dans l'arrière pays de Lattaquié, ils m'ont tout de suite promis qu'ils m'y emmèneraient le lendemain. Le lendemain à l'heure dite, ils étaient à nouveau là tous les trois. Fater avait décidé pour l'occasion que le CHU de Lattaquié pourrait bien se passer de son chirurgien cardiologue ce mardi-là, car il ne voulait surtout pas manquer mon kidnapping. Mais en fait non, il n'y a pas eu de rapt. Ils m'ont emmené au château comme prévu, ils ont encore une fois de plus refusé que je paye mon billet d'entrée, ce qui était vraiment trop car mon billet coûtait cinq fois le prix du leur (30 livres syriennes pour eux, 150 pour moi, c'est-à-dire trois dollars US)... Mais il n'y avait pas moyen de leur faire entendre raison. Nous avons donc visité le château, qui est impressionnant. Sur place, nous avons rencontré un touriste anglais solitaire. Tout de suite, les Syriens ont compris qu'ils pourraient lui faciliter les choses en l'emmenant à la gare à 15 heures pour qu'il prenne son train pour Alep. Branle-bas de combat, hop, on repart avec l'Anglais, on l'emmène à l'hôtel pour un thé, on partage avec lui nos mandarines et nos gâteaux, les Syriens nous offrent des paquets de tisane locale pour l'occasion, puis tout le monde se retrouve à la gare. Nos amis Syriens ont géré les formalités assez compliquées pour l'achat des billets de train (que nous avons cette fois payés nous mêmes, enfin). Dans la gare, des gens me voyant avec mon sac à dos disaient "Welcome to Syria". Après une quantité assez incompréhensible de démarches, où les passeports étaient même nécessaires, nous avons obtenu nos billets de train. Sans eux, nous n'y serions probablement pas parvenus. Après avoir fait tant pour nous, les Syriens nous ont accompagnés sur le quai pour nous dire au revoir. En fait, en Syrie, il y a une culture de l'hospitalité qui dépasse tout ce qu'on imagine. J'ai maintenant trois amis à Lattaquié, ce qui est plutôt cool. J'espère bien y revenir un jour.
J'ai pris le train jusqu'à Alep avec ce touriste anglais. Je ne compte plus le nombre de fois qu'on nous a dit "Welcome to Syria". Alors que je prenais des photos à l'arrière du train, j'ai été rejoint par un groupe de jeunes qui voulaient juste me voir et parler avec moi. Pas énormément car leur anglais et leur français étaient aussi limités que mon arabe. En tout cas, il savaient dire "Welcome to Syria". Ils m'ont aussi demandé mon âge. Quand je leur ai répondu tis'a wa 'achrîne, ou encore vingt-neuf, ils ont ouvert de grands yeux et se sont exclamés, avec consternation : Old! Very old! Eux, ils avaient entre 18 et 20 ans, m'ont-ils dit. Je ne me suis pas laissé faire. Grâce à L'Arabe pour les nuls, je leur ai répondu tac au tac, ou presque : Ana rajul, antum awlâd. "Moi, homme ; vous, enfants". Bien cassés, les sales gosses ! Non mais !
Voilà, au bout de deux jours dans ce pays incroyable surtout par ses habitants, je m'y sens vraiment bien. J'ai envie de sourire à chaque personne que je vois. Selon les expatriés que j'ai rencontrés, au bout de quelques mois, on finit par se lasser d'entendre "Welcome to Syria" quinze fois par jour. Mais en tout cas ça doit être plus difficile de se lasser de la gentillesse des Syriens.
Voilà comment sont les gens dans ce pays du prétendu Axe du Mal. Merci George W. Bush pour ce qualificatif très approprié, c'est largement mérité.
Un pays foncièrement mauvais, donc, où les gens ont le front bas et le regard fuyant. Enfin, pas tout à fait, mais je suis presque sûr d'avoir aperçu au moins un Syrien au regard suspect depuis lundi. Enfin, je crois bien. Euh, je ne sais plus vraiment. Et puis à plusieurs reprises des militants syriens qui haïssent profondément l'Occident, la Liberté et la Démocratie ont presque tenté de me kidnapper en voiture. J'en ai réchappé de peu à chaque fois. Mais entrons un peu plus dans les détails de ces aventures en terre hostile.
Lundi soir, je suis arrivé à Lattaquié depuis Tripoli. Nous voyagions à cinq depuis le Liban, dans une petite voiture de fabrication chinoise, de la marque Chery, ou "shiri" en prononciation locale. J'étais bien sûr installé au milieu de la banquette arrière, écrasé entre deux gros Syriens. Mais c'est la moindre des choses, après tout c'est l'Axe du Mal. Mes compagnons de voyage, obèses mais au grand cœur, m'ont payé le café à chaque pause que nous faisions. Une fois que nous avons passé la frontière, j'ai eu droit à plusieurs "Welcome to Syria" de leur part. Tout ceci cachait sûrement quelque chose. Dès notre arrivée à Lattaquié, sur la côte, l'un d'entre eux s'est assuré de me trouver un taxi qui me ferait payer le bon prix pour m'emmener à mon hôtel. En l'occurence, mon hôtel n'existait plus, ou alors le chauffeur n'a pas réussi à le trouver. Lorsque j'en ai eu assez, je lui ai demandé de me déposer devant le premier hôtel que j'ai vu. Dans cet établissement très bon marché et si basique que j'ai failli refuser la chambre, j'ai été immédiatement adopté, après une autre série de "Welcome to Syria", par un groupe de trois jeunes dans la vingtaine : Fater, un pensionnaire à long terme, jeune chirurgien cardiologue de son état, Mohammed, le fils du patron, étudiant en "mécatronique" (sûrement un truc qui sert à fabriquer des bombes) et son cousin Khaled, étudiant en droit qui prépare le TOEFL. Après une petite promenade à pied dans les rues de la ville et notamment le long de la côte, ils m'ont emmené en voiture, moi qui n'avais rien demandé, pour une longue virée à la plage puis dans les restaurants bon marché et sympathiques de la ville. Ils ont absolument tout payé et refusaient que je participe de quelque manière que ce soit. C'est difficile à comprendre, mais j'étais leur "invité", leur "ami" et c'est donc ainsi. Il était hors de question que je paye quoi que ce soit. Je me suis senti quelque peu submergé par tant d'hospitalité. Plus tard, rentré à l'hôtel, les Syriens n'ont pas arrêté de me servir gratuitement des breuvages suspects : de l'eau, du café, du thé. Du café très fort, même à minuit. Et de la bière sans alcool. J'étais sur mes gardes et ai bien fait attention, mais non les boissons n'étaient pas empoisonnées.
Les trois mousquetaires de Lattaquié au château de Saladin |
Mais ça ne s'est pas arrêté là. Lorsqu'ils ont compris que mon intention était de visiter "al Qala'at Salaheddine", le Château de Saladin, l'une des attractions de la région dans l'arrière pays de Lattaquié, ils m'ont tout de suite promis qu'ils m'y emmèneraient le lendemain. Le lendemain à l'heure dite, ils étaient à nouveau là tous les trois. Fater avait décidé pour l'occasion que le CHU de Lattaquié pourrait bien se passer de son chirurgien cardiologue ce mardi-là, car il ne voulait surtout pas manquer mon kidnapping. Mais en fait non, il n'y a pas eu de rapt. Ils m'ont emmené au château comme prévu, ils ont encore une fois de plus refusé que je paye mon billet d'entrée, ce qui était vraiment trop car mon billet coûtait cinq fois le prix du leur (30 livres syriennes pour eux, 150 pour moi, c'est-à-dire trois dollars US)... Mais il n'y avait pas moyen de leur faire entendre raison. Nous avons donc visité le château, qui est impressionnant. Sur place, nous avons rencontré un touriste anglais solitaire. Tout de suite, les Syriens ont compris qu'ils pourraient lui faciliter les choses en l'emmenant à la gare à 15 heures pour qu'il prenne son train pour Alep. Branle-bas de combat, hop, on repart avec l'Anglais, on l'emmène à l'hôtel pour un thé, on partage avec lui nos mandarines et nos gâteaux, les Syriens nous offrent des paquets de tisane locale pour l'occasion, puis tout le monde se retrouve à la gare. Nos amis Syriens ont géré les formalités assez compliquées pour l'achat des billets de train (que nous avons cette fois payés nous mêmes, enfin). Dans la gare, des gens me voyant avec mon sac à dos disaient "Welcome to Syria". Après une quantité assez incompréhensible de démarches, où les passeports étaient même nécessaires, nous avons obtenu nos billets de train. Sans eux, nous n'y serions probablement pas parvenus. Après avoir fait tant pour nous, les Syriens nous ont accompagnés sur le quai pour nous dire au revoir. En fait, en Syrie, il y a une culture de l'hospitalité qui dépasse tout ce qu'on imagine. J'ai maintenant trois amis à Lattaquié, ce qui est plutôt cool. J'espère bien y revenir un jour.
J'ai pris le train jusqu'à Alep avec ce touriste anglais. Je ne compte plus le nombre de fois qu'on nous a dit "Welcome to Syria". Alors que je prenais des photos à l'arrière du train, j'ai été rejoint par un groupe de jeunes qui voulaient juste me voir et parler avec moi. Pas énormément car leur anglais et leur français étaient aussi limités que mon arabe. En tout cas, il savaient dire "Welcome to Syria". Ils m'ont aussi demandé mon âge. Quand je leur ai répondu tis'a wa 'achrîne, ou encore vingt-neuf, ils ont ouvert de grands yeux et se sont exclamés, avec consternation : Old! Very old! Eux, ils avaient entre 18 et 20 ans, m'ont-ils dit. Je ne me suis pas laissé faire. Grâce à L'Arabe pour les nuls, je leur ai répondu tac au tac, ou presque : Ana rajul, antum awlâd. "Moi, homme ; vous, enfants". Bien cassés, les sales gosses ! Non mais !
Amis syriens dans le train vers Alep |
Voilà comment sont les gens dans ce pays du prétendu Axe du Mal. Merci George W. Bush pour ce qualificatif très approprié, c'est largement mérité.
J'espère qu'ils seront vite libérés du fou qui les oppresse.
RépondreSupprimerMoi aussi. On ne sait pas ce qui viendra après, mais tout ce que je leur souhaite, c'est que la paix revienne.
Supprimer