Le lieu : les ruines de l'antique Palmyre, dans le désert, à trois heures de route au nord-est de Damas.
Vendredi, c'était la grosse journée. Après une bonne et longue soirée à Hama avec Moayad, mon nouveau meilleur pote syrien pour la vie, et une courte nuit à l'hôtel Cairo, j'ai dû décoller le matin à 6 heures en sautant le petit-déjeuner pour attraper le premier bus pour Palmyre, connue des Arabes sous le nom de Tadmor, l'un des hauts lieux du patrimoine culturel syrien. C'est que des bus pour Palmyre, il n'y en a pas beaucoup depuis Hama, et de plus au vu de la quantité fabuleuse de choses à voir, je devais y arriver le plus tôt possible et y retrouver une certaine "Sophie la Cool", une Française installée depuis peu en Syrie et qu'un ami commun m'a "présentée" par e-mail. Le hasard fait qu'elle avait également prévu de visiter Palmyre précisément ce vendredi-là, et on avait donc prévu de s'y retrouver de bonne heure. Dans le bus, je m'offre évidemment trois heures de sieste inconfortable et cahotante, mais bien appréciable malgré tout.
À l'arrivée à la Tadmor moderne (un vague village attrape-touriste sans intérêt), c'est l'agression : le soleil du désert attaque sans merci mes pupilles ensommeillées. La poussière, la chaleur, le bruit, la cohue des chauffeurs de taxi et autres bonimenteurs de tout poil qui m'assaillent alors que je sais à peine où j'ai débarqué, que je dois trouver un lieu sûr pour y laisser mon gros sac à dos, et retrouver Sophie la Cool en un lieu indéfini dans les ruines. Mais je reprends mes esprits et une heure plus tard, allégé de 15 kilos de bagages, je retrouve Sophie et son pote anglais James dans les ruines du Temple de Bel, un des nombreux sites historiques de Palmyre.
Sophie et James sont dans les ruines depuis l'aube car tous les guides touristiques conseillent vivement l'expérience d'un lever du soleil à Palmyre. Ils ont donc déjà presque tout vu, mais ça ne les dérange pas de revoir les ruines avec moi, preuve s'il en est que Sophie la Cool mérite bien son surnom. Effectivement, les ruines de Palmyre, capitale de la mythique reine Zénobie, sont à couper le souffle. Vivement les photos. On marche, on voit des temples, des colonnes, on escalade des tours, on marche encore, on en prend plein la vue... le soleil du désert chauffe de plus en plus, et nous partageons et rationnons nos maigres provisions de backpackers (Sophie et James eux aussi ont sauté le petit-déjeuner pour arriver très tôt sur les ruines) : quelques mandarines, un peu d'eau. Par conséquent, lorsqu'un bédouin surgit devant nous et nous invite à venir prendre le thé chez lui, nous sommes ravis et acceptons avec plaisir.
En chemin, nous lui demandons "Addayish?" et "Bikam?" pour savoir combien cela nous coûtera. Mais il répond à chaque fois d'un geste qui semble dire que c'est gratuit. Rien de vraiment étonnant : nous avons déjà tous reçu ce genre d'invitation à plusieurs reprises et l'hospitalité syrienne semble ne pas connaître de limites. Notre hôte nous reçoit chez lui, une pièce carrée de 4 mètres sur 4, tout en béton, avec des tapis sur le sol et des matelas disposés le long des murs pour s'asseoir. Il y a un autre homme dans la pièce. La télé est allumée et des enfants la regardent. Une belle femme bédouine maquillée au henné nous apporte le thé et nous le sert en silence, tête baissée, puis s'en va dans un froissement de tissus. Le thé est bon, sucré, chaud et rafraîchissant à la fois. Des nuées de mouches s'abattent sur nous et sur nos verres de thé. Nous partageons avec nos hôtes, et avec les mouches, le peu que nous avons. Les hommes refusent tout, mais les enfants et les mouches acceptent avec plaisir nos mandarines et les bonbons de Sophie et en redemandent. Nous échangeons quelques politesses dans un arabe très limité ("Votre petite fille est très jolie") et parvenons à comprendre combien d'enfants a chaque heureux papa. Mais nous restons surtout silencieux, à nous regarder et à nous sourire poliment. Monsieur Bédouin nous ressert du thé dans nos verres, où les mouches avaient fait la fiesta. Tant pis, il faut bien faire travailler son système immunitaire de temps en temps. La femme bédouine revient, toujours aussi silencieuse, cette fois avec des choses à vendre. Surtout des keffiehs pour hommes. Mais j'en ai déjà un autour du cou et n'ai pas l'intention d'acheter. Sophie et James non plus. Nous restons en silence quelques minutes et nous levons pour partir lorsque cela nous semble possible de le faire poliment.
Mais là, tout bascule. Le nombre d'enfants double sous nos yeux et ils réclament tous bruyamment quelque chose. Les adultes, qui jusque là avaient rabroué les enfants lorsqu'ils devenaient trop insistants, se joignent à eux. Monsieur Bédouin m'empoigne le bras et attrape ma montre, faisant signe que je devais la donner. Un enfant bédouin étonnamment polyglotte observe la scène et dit "regalo" ou encore "cadeau" en espagnol. J'essaye d'éviter de protester trop énergiquement car j'ai encore un peu de respect pour notre hôte, mais une montre Adidas, vieille certes, c'est cher payé pour deux verres de thé dans lesquels les mouches ont dansé la samba ! Monsieur Bédouin insiste, et demande cette fois : "Bakchiche". Je lui donne 50 livres syriennes (1 dollar). James en fait de même, et nous partons tous les trois. Monsieur Bédouin nous suit sur quelques mètres et demande un stylo, comme les enfants berbères dans l'Atlas marocain. Mais il finit par laisser tomber. Malheureusement, les enfants persévèrent. Le petit doué en langues continue avec ses "Regalo, give fifty, one dollar" et nous harcèle pendant deux heures ! Je n'exagère pas. Quand on cherche à l'amadouer avec une orange, ce petit malfrat réclame toutes nos oranges, au lieu d'une seule. Il n'y a rien à faire. C'est la guerre d'usure. Mais heureusement, au bout de deux très longues heures, cette petite crapule trouve d'autres touristes à aller persécuter. Nous achetons la tranquillité pour le prix d'une orange. Si jeune et déjà si doué en techniques d'extorsion et de racket, il ira loin ce petit ! Ils auraient mieux fait de nous le vendre, leur thé, nous aurions payé de bonne grâce et tout se serait bien passé.
Nous continuons la visite de Palmyre, abrutis de fatigue, de chaleur, de faim, d'énervement. Le site est superbe mais je n'en garderai pas forcément un bon souvenir. Heureusement, il reste toujours les bons moments partagés avec Sophie la Cool et James. À la nuit tombée, la visite est finie. Revenus au village de Tadmor, nous avons enfin pu manger un bon chawarma et boire des boissons fraîches à la terrasse de l'hôtel qui a gardé nos sacs. Nous sommes épuisés et à bout de nerfs. Un rien suffit à nous faire rire. Marie et James veulent continuer plus loin vers l'est dans le désert et atteindre Deir-ez-Zour sur l'Euphrate. Je voudrais bien rester avec eux, mais Damas m'appelle. C'est dans la direction opposée. Je verrai sa majesté l'Euphrate une autre fois, inch'Allah. Nous nous séparons avec des promesses de rester en contact. La dernière épreuve m'attend lorsque je dois trouver le bon bus et payer le juste prix dans la "gare routière". Il semble vraiment que tous les escrocs de Syrie se soient donné rendez-vous à Palmyre-Tadmor. Quel choc par rapport au reste du pays ! Mais je m'en sors, me retrouve dans le bon bus pour Damas, avec un billet payé au tarif normal. Je laisse derrière moi Palmyre et ses margoulins sans regrets, mais je quitte mes nouveaux amis avec tristesse.
À moi Damas !
Palmyre : On a testé et on a aimé malgré tout.
Le thé chez les Bédouins : On a testé... et on a détesté !
Vendredi, c'était la grosse journée. Après une bonne et longue soirée à Hama avec Moayad, mon nouveau meilleur pote syrien pour la vie, et une courte nuit à l'hôtel Cairo, j'ai dû décoller le matin à 6 heures en sautant le petit-déjeuner pour attraper le premier bus pour Palmyre, connue des Arabes sous le nom de Tadmor, l'un des hauts lieux du patrimoine culturel syrien. C'est que des bus pour Palmyre, il n'y en a pas beaucoup depuis Hama, et de plus au vu de la quantité fabuleuse de choses à voir, je devais y arriver le plus tôt possible et y retrouver une certaine "Sophie la Cool", une Française installée depuis peu en Syrie et qu'un ami commun m'a "présentée" par e-mail. Le hasard fait qu'elle avait également prévu de visiter Palmyre précisément ce vendredi-là, et on avait donc prévu de s'y retrouver de bonne heure. Dans le bus, je m'offre évidemment trois heures de sieste inconfortable et cahotante, mais bien appréciable malgré tout.
À l'arrivée à la Tadmor moderne (un vague village attrape-touriste sans intérêt), c'est l'agression : le soleil du désert attaque sans merci mes pupilles ensommeillées. La poussière, la chaleur, le bruit, la cohue des chauffeurs de taxi et autres bonimenteurs de tout poil qui m'assaillent alors que je sais à peine où j'ai débarqué, que je dois trouver un lieu sûr pour y laisser mon gros sac à dos, et retrouver Sophie la Cool en un lieu indéfini dans les ruines. Mais je reprends mes esprits et une heure plus tard, allégé de 15 kilos de bagages, je retrouve Sophie et son pote anglais James dans les ruines du Temple de Bel, un des nombreux sites historiques de Palmyre.
Le Temple de Bel |
En chemin, nous lui demandons "Addayish?" et "Bikam?" pour savoir combien cela nous coûtera. Mais il répond à chaque fois d'un geste qui semble dire que c'est gratuit. Rien de vraiment étonnant : nous avons déjà tous reçu ce genre d'invitation à plusieurs reprises et l'hospitalité syrienne semble ne pas connaître de limites. Notre hôte nous reçoit chez lui, une pièce carrée de 4 mètres sur 4, tout en béton, avec des tapis sur le sol et des matelas disposés le long des murs pour s'asseoir. Il y a un autre homme dans la pièce. La télé est allumée et des enfants la regardent. Une belle femme bédouine maquillée au henné nous apporte le thé et nous le sert en silence, tête baissée, puis s'en va dans un froissement de tissus. Le thé est bon, sucré, chaud et rafraîchissant à la fois. Des nuées de mouches s'abattent sur nous et sur nos verres de thé. Nous partageons avec nos hôtes, et avec les mouches, le peu que nous avons. Les hommes refusent tout, mais les enfants et les mouches acceptent avec plaisir nos mandarines et les bonbons de Sophie et en redemandent. Nous échangeons quelques politesses dans un arabe très limité ("Votre petite fille est très jolie") et parvenons à comprendre combien d'enfants a chaque heureux papa. Mais nous restons surtout silencieux, à nous regarder et à nous sourire poliment. Monsieur Bédouin nous ressert du thé dans nos verres, où les mouches avaient fait la fiesta. Tant pis, il faut bien faire travailler son système immunitaire de temps en temps. La femme bédouine revient, toujours aussi silencieuse, cette fois avec des choses à vendre. Surtout des keffiehs pour hommes. Mais j'en ai déjà un autour du cou et n'ai pas l'intention d'acheter. Sophie et James non plus. Nous restons en silence quelques minutes et nous levons pour partir lorsque cela nous semble possible de le faire poliment.
Panorama de Palmyre (juste une petite partie du site) |
Sophie, James, et au milieu, la pire calamité bédouine qui soit |
Sophie la Cool joue de la musique bédouine.
Tant qu'ils sont occupés à jouer de la musique,
Tant qu'ils sont occupés à jouer de la musique,
les enfants ne peuvent pas nous racketter...
Nous continuons la visite de Palmyre, abrutis de fatigue, de chaleur, de faim, d'énervement. Le site est superbe mais je n'en garderai pas forcément un bon souvenir. Heureusement, il reste toujours les bons moments partagés avec Sophie la Cool et James. À la nuit tombée, la visite est finie. Revenus au village de Tadmor, nous avons enfin pu manger un bon chawarma et boire des boissons fraîches à la terrasse de l'hôtel qui a gardé nos sacs. Nous sommes épuisés et à bout de nerfs. Un rien suffit à nous faire rire. Marie et James veulent continuer plus loin vers l'est dans le désert et atteindre Deir-ez-Zour sur l'Euphrate. Je voudrais bien rester avec eux, mais Damas m'appelle. C'est dans la direction opposée. Je verrai sa majesté l'Euphrate une autre fois, inch'Allah. Nous nous séparons avec des promesses de rester en contact. La dernière épreuve m'attend lorsque je dois trouver le bon bus et payer le juste prix dans la "gare routière". Il semble vraiment que tous les escrocs de Syrie se soient donné rendez-vous à Palmyre-Tadmor. Quel choc par rapport au reste du pays ! Mais je m'en sors, me retrouve dans le bon bus pour Damas, avec un billet payé au tarif normal. Je laisse derrière moi Palmyre et ses margoulins sans regrets, mais je quitte mes nouveaux amis avec tristesse.
À moi Damas !
Palmyre : On a testé et on a aimé malgré tout.
Le thé chez les Bédouins : On a testé... et on a détesté !
Moi qui veut aller en Syrie...et qui est pris comme pseudo la reine Zenobie... :)
RépondreSupprimerVais lire tous tes articles sur la Syrie! :)
Hé oui, la Zénobie à qui on doit Palmyre ! Sacré endroit en tout cas. Mais c'était sûrement mieux au temps de Zénobie :-)
RépondreSupprimerMmm, les mouches. Ça donne du goût. ;-P)
RépondreSupprimer"Je verrai sa majesté l'Euphrate une autre fois, inch'Allah", disais-je à l'époque, plein d'optimisme... Ma foi, j'ai le choix entre la Syrie et l'Irak maintenant. Gloups! Bon bah ce sera pour dans une décennie je crois.
SupprimerEt les mouches, bah, au moins ça m'a pas tué!