Le lieu : Hama, à deux heures de bus au sud d'Alep.
Hier, après une journée et deux soirées de pur bonheur à Alep (ou presque, car tout de même après une journée d'intense exploration, la ville d'Alep a très peu de bars à offrir à ses visiteurs pour les rafraîchir convenablement et les récompenser de leurs efforts, heureusement elle compense très largement par la qualité des restaurants), j'ai quitté la ville à contrecœur histoire de m'obliger à voir le reste de la Syrie, que diable. Rechignant à m'infliger les six heures de bus pour aller directement à Palmyre, j'ai fait une halte à Hama, une ville agréable et bien située, sur les rives de l'antique fleuve Oronte, et tout naturellement, vieille de plus de trois millénaires conformément à l'article 1 du cahier des charges de l'urbanisme syrien. Hama, c'est petit, vert, tranquille, frais, ombragé et bien plaisant. Mais une fois qu'on a vu les sept célèbres norias antiques sur le "fleuve" (qui doit être moitié moins large que le Landwehrkanal ou que le Canal Saint-Martin, et encore) et les tronçons d'aqueducs romains qui en partent, la mosquée An-Nouri et la maison ottomane Azm, on a à peu près tout vu, en deux heures à peine !
La nuit était tombée, et j'aurais volontiers continué tout de suite vers Palmyre si je n'avais pas déjà pris une chambre d'hôtel à Hama, et surtout, si je n'avais pas la perspective d'une soirée avec mon nouveau meilleur pote syrien à la vie à la mort rencontré sept heures plus tôt dans le bus. Après l'expérience de Lattaquié, je n'avais pas envie de décommander ! Alors que, désœuvré et quelque peu mélancolique, je me dirigeais vers un cybercafé pour faire avancer Les Chroniques Berliniquaises, un groupe de jeunes Syriens m'interpelle et l'un d'eux m'attrape par le bras (tout à fait normal, on est très tactile dans ces contrées) en me disant : "Marhaba Monsieur, une coupe de cheveux ?" en me montrant le salon Five Stars juste devant. Je réponds non par habitude et aussi par orgueil. Non mais de quel droit ? J'ai les cheveux si dégueu ? Merci pour le compliment ! Et je plante là cette bande de sales gosses. Mais après deux minutes je me dis que j'ai justement trois heures de désœuvrement devant moi et que ce sera probablement la même qualité de travail que chez mes coiffeurs turcs pas sympas de Neukölln, et sûrement pour bien moins cher... Alors je ravale ma fierté et je reviens devant Sale Gosse. "C'est combien ?" "Cent cinquante livres". Environ trois dollars US. Marché conclu.
J'entre dans le salon, accueilli par une nuée d'employés, selon la règle classique suivante : là où en Europe il y a une seule personne pour effectuer une tâche donnée, en Syrie elles sont trois ou quatre. Bien en évidence sur un mur, trône un portrait du président El-Assad, et dessous, un écriteau en forme de panneau rond et de cigarette barrée de rouge. On pourrait penser qu'il s'agit d'une interdiction de fumer, mais étant donné que le patron et un garçon coiffeur fumaient tranquillement, on pouvait peut-être en conclure que l'interdiction ne concerne que les clients assez retors pour fumer tout en se faisant coiffer... Ou il s'agissait tout simplement d'une belle illustration de deux autres règles syriennes de base, d'un coup d'un seul. Primo : dès qu'un Syrien a une main de libre, il l'occupe avec une cigarette. Secundo : le règlement, quel règlement ?
J'ai l'honneur d'être pris en charge par le patron lui-même, qui s'attaque à ma tignasse aux ciseaux, tout en fumant nonchalamment sa cigarette et en buvant sa petite tasse de café turc. Un garçon du salon me sert un thé. Sympa le service ! Le patron et la moitié de ses employés et des clients me faisaient la conversation dans le galimatias anglo-franco-arabe auquel je me suis habitué, et je me disais que j'avais là la matière pour un nouvel article que je pourrais intituler "Le Barbier de Syrie", car ça sonne bien. Juste à ce moment-là, on m'étale de la mousse à raser sur les joues avec une brosse en blaireau. Mince alors, c'est vraiment un barbier en fait ! À ce moment précis, une brève discussion a lieu entre le patron et le garçon qui prend le relais. Je comprends que je vais devoir payer un supplément, ce qui ne m'étonne guère. Après un rasage tellement intensif que 30 heures plus tard, à l'heure où j'écris, mes poils n'ont toujours pas osé reparaître sur mes joues, on me décape la peau meurtrie et enflammée avec une espèce de gommage abrasif, puis on rince, puis, hop, une couche d'argile blanche ou je ne sais quoi sur tout le visage. La clientèle exclusivement masculine du salon a droit au même traitement de choc. Top virilité ce salon qui fait coiffeur-barbier-esthéticienne. Mais c'est une expérience, après tout. Les voyages, c'est bien à ça que ça sert. Heureusement, l'épilation des jambes à la cire n'était pas incluse dans le forfait. Ensuite, on rince à nouveau, on parfume, on me plaque les cheveux vers l'arrière avec du gel, on me demande de payer la somme faramineuse de 250 livres syriennes, soit 5 dollars, et je suis fin prêt. D'une certaine façon, ils ont réussi à me sculpter une vraie tête d'Arabe. Je suis le nouveau lover syrien, coiffé, rasé, récuré, parfumé, gélifié, un tombeur qui va être lâché dans les rues dans un instant pour briser les cœurs de la gent féminine de Hama.
Hélas, comme chaque soir, les frères, les cousins et les oncles ont bien veillé sur leurs sœurs, leurs nièces et leurs cousines, et le lover est rentré bredouille. Mais j'ai passé comme prévu une très bonne soirée avec Moayad, mon nouveau meilleur ami syrien à la vie à la mort forever, et ses amis qui ne parlent pas anglais.
Le Barbier de Syrie : on a testé et on a aimé.
Hier, après une journée et deux soirées de pur bonheur à Alep (ou presque, car tout de même après une journée d'intense exploration, la ville d'Alep a très peu de bars à offrir à ses visiteurs pour les rafraîchir convenablement et les récompenser de leurs efforts, heureusement elle compense très largement par la qualité des restaurants), j'ai quitté la ville à contrecœur histoire de m'obliger à voir le reste de la Syrie, que diable. Rechignant à m'infliger les six heures de bus pour aller directement à Palmyre, j'ai fait une halte à Hama, une ville agréable et bien située, sur les rives de l'antique fleuve Oronte, et tout naturellement, vieille de plus de trois millénaires conformément à l'article 1 du cahier des charges de l'urbanisme syrien. Hama, c'est petit, vert, tranquille, frais, ombragé et bien plaisant. Mais une fois qu'on a vu les sept célèbres norias antiques sur le "fleuve" (qui doit être moitié moins large que le Landwehrkanal ou que le Canal Saint-Martin, et encore) et les tronçons d'aqueducs romains qui en partent, la mosquée An-Nouri et la maison ottomane Azm, on a à peu près tout vu, en deux heures à peine !
Les norias et la mosquée An-Nouri |
La nuit était tombée, et j'aurais volontiers continué tout de suite vers Palmyre si je n'avais pas déjà pris une chambre d'hôtel à Hama, et surtout, si je n'avais pas la perspective d'une soirée avec mon nouveau meilleur pote syrien à la vie à la mort rencontré sept heures plus tôt dans le bus. Après l'expérience de Lattaquié, je n'avais pas envie de décommander ! Alors que, désœuvré et quelque peu mélancolique, je me dirigeais vers un cybercafé pour faire avancer Les Chroniques Berliniquaises, un groupe de jeunes Syriens m'interpelle et l'un d'eux m'attrape par le bras (tout à fait normal, on est très tactile dans ces contrées) en me disant : "Marhaba Monsieur, une coupe de cheveux ?" en me montrant le salon Five Stars juste devant. Je réponds non par habitude et aussi par orgueil. Non mais de quel droit ? J'ai les cheveux si dégueu ? Merci pour le compliment ! Et je plante là cette bande de sales gosses. Mais après deux minutes je me dis que j'ai justement trois heures de désœuvrement devant moi et que ce sera probablement la même qualité de travail que chez mes coiffeurs turcs pas sympas de Neukölln, et sûrement pour bien moins cher... Alors je ravale ma fierté et je reviens devant Sale Gosse. "C'est combien ?" "Cent cinquante livres". Environ trois dollars US. Marché conclu.
J'entre dans le salon, accueilli par une nuée d'employés, selon la règle classique suivante : là où en Europe il y a une seule personne pour effectuer une tâche donnée, en Syrie elles sont trois ou quatre. Bien en évidence sur un mur, trône un portrait du président El-Assad, et dessous, un écriteau en forme de panneau rond et de cigarette barrée de rouge. On pourrait penser qu'il s'agit d'une interdiction de fumer, mais étant donné que le patron et un garçon coiffeur fumaient tranquillement, on pouvait peut-être en conclure que l'interdiction ne concerne que les clients assez retors pour fumer tout en se faisant coiffer... Ou il s'agissait tout simplement d'une belle illustration de deux autres règles syriennes de base, d'un coup d'un seul. Primo : dès qu'un Syrien a une main de libre, il l'occupe avec une cigarette. Secundo : le règlement, quel règlement ?
J'ai l'honneur d'être pris en charge par le patron lui-même, qui s'attaque à ma tignasse aux ciseaux, tout en fumant nonchalamment sa cigarette et en buvant sa petite tasse de café turc. Un garçon du salon me sert un thé. Sympa le service ! Le patron et la moitié de ses employés et des clients me faisaient la conversation dans le galimatias anglo-franco-arabe auquel je me suis habitué, et je me disais que j'avais là la matière pour un nouvel article que je pourrais intituler "Le Barbier de Syrie", car ça sonne bien. Juste à ce moment-là, on m'étale de la mousse à raser sur les joues avec une brosse en blaireau. Mince alors, c'est vraiment un barbier en fait ! À ce moment précis, une brève discussion a lieu entre le patron et le garçon qui prend le relais. Je comprends que je vais devoir payer un supplément, ce qui ne m'étonne guère. Après un rasage tellement intensif que 30 heures plus tard, à l'heure où j'écris, mes poils n'ont toujours pas osé reparaître sur mes joues, on me décape la peau meurtrie et enflammée avec une espèce de gommage abrasif, puis on rince, puis, hop, une couche d'argile blanche ou je ne sais quoi sur tout le visage. La clientèle exclusivement masculine du salon a droit au même traitement de choc. Top virilité ce salon qui fait coiffeur-barbier-esthéticienne. Mais c'est une expérience, après tout. Les voyages, c'est bien à ça que ça sert. Heureusement, l'épilation des jambes à la cire n'était pas incluse dans le forfait. Ensuite, on rince à nouveau, on parfume, on me plaque les cheveux vers l'arrière avec du gel, on me demande de payer la somme faramineuse de 250 livres syriennes, soit 5 dollars, et je suis fin prêt. D'une certaine façon, ils ont réussi à me sculpter une vraie tête d'Arabe. Je suis le nouveau lover syrien, coiffé, rasé, récuré, parfumé, gélifié, un tombeur qui va être lâché dans les rues dans un instant pour briser les cœurs de la gent féminine de Hama.
Hélas, comme chaque soir, les frères, les cousins et les oncles ont bien veillé sur leurs sœurs, leurs nièces et leurs cousines, et le lover est rentré bredouille. Mais j'ai passé comme prévu une très bonne soirée avec Moayad, mon nouveau meilleur ami syrien à la vie à la mort forever, et ses amis qui ne parlent pas anglais.
Le Barbier de Syrie : on a testé et on a aimé.
Nouveaux potes à Hama |
C'est toujours super enrichissant ces expériences et ces rencontres ! Merci de les partager avec nous ! :)
RépondreSupprimerOuais, la Syrie, que de bons souvenirs vraiment. Quel pays magnifique! Quelle tragédie... :-(
SupprimerMerci à toi de parcourir mes archives :-)