dimanche 12 décembre 2010

Mon Präsident, ce héros

On l'oublie souvent, mais l'Allemagne n'est pas encore tout à fait un matriarcat dirigé par des femmes à poigne, valkyries castratrices et ménopausées, même si elle est en bonne voie de le devenir. L'observateur peu avisé pourrait s'y laisser prendre, remarquant avec raison que la chancelière, Mme Merkel, préside impérieusement aux destinées de la grande nation germanique et a même été sacrée "femme la plus puissante du monde" quatre années d'affilée par le magazine Forbes, tandis que la génération d'étoiles montantes, de Renate Künast et Halina Wawzyniak à gauche, à Vera Lengsfeld et Ursula von der Leyen à droite et à Erika Steinbach encore plus à droite (et plus à l'est aussi), est principalement féminine, les dents longues certes, mais la féminité et la sensualité à fleur de peau.



Malheureusement, l'observateur distrait pourrait manquer la pièce maîtresse de l'échiquier politique allemand : au-dessus de cette basse-cour de politiciennes jacassantes et caquetantes trône discrètement, et à l'insu de beaucoup hors des frontières allemandes, UN président de la République Fédérale. Bien évidemment, ce n'est pas un Sarközy à la teutonne, braillard et agité du bocal, puisque c'est la chancelière qui porte la culotte, tandis que Christian Wulff, le nouveau Bundespräsident intronisé après la démission surprise du président Horst Köhler au printemps et le long psychodrame de l'élection de son successeur, remplit avec dignité, dans l'ombre, le rôle purement honorifique et protocolaire que lui confère la Constitution allemande. Le président fédéral est prié de ne pas trop faire parler de lui, de ne pas trop tremper dans le cambouis, de faire quelques gaffes amusantes de temps en temps pour faire rire (comme le "Mesdames, Messieurs, chers Nègres" de feu Heinrich Lübke au Liberia en janvier 1962), et de prononcer de temps à autre des discours lénifiants sur un ton placide lors des manifestations importantes. Tout ceci lui assure en général le statut enviable de personnalité politique la plus populaire et respectée de la nation.

Mais Herr Wulff, ce jeunot de 51 printemps à peine, soit seulement 7 ans de plus que l'âge médian d'une population allemande vieillissante, et avocat de profession (tiens, tiens), a trouvé une stratégie sacrément novatrice pour créer le buzz et ne pas croupir plus longtemps dans l'oubli exquis où le cantonne sa fonction : avoir l'audace qui sied à sa jeunesse, et susciter la controverse.

Der Bundespräsident - Photo : SpiegelOnline

Ainsi, le 3 octobre dernier, à l'occasion des festivités officielles célébrant la fête nationale et les vingt ans de la réunification, le Präsident, que personne n'attendait au tournant, en a étonné plus d'un en affirmant que l'islam "fait désormais partie de l'Allemagne", au même titre que le christianisme et le judaïsme. L'Allemagne était alors en proie à un débat empoisonné sur "l'immigration" et "l'intégration", comme d'ailleurs beaucoup d'autres pays d'Europe, et cette petite phrase gentillette et bien intentionnée, loin de passer inaperçue comme tout ce que dit ou fait le président d'habitude, loin de calmer les esprits et de ramener chacun à la raison, a contribué à alimenter l'hystérie. Les diatribes xénophobes ont redoublé d'intensité, les tabloïds à grand tirage en ont fait leurs choux gras et attisé les instincts les moins nobles de leur lectorat ventru en Lederhosen, et l'onde de choc de cette déclaration bienveillante s'est propagée très loin des rives tranquilles de la Spree, causant l'indignation des uns, tel ce site néo-zélandais haineux qui l'a qualifié de "traître" et de "dhimmi", rien de moins (eh oui, les Néo-Zélandais s'en mêlent ! "WTF" est la réaction qui vient instantanément à l'esprit), mais aussi l'admiration de beaucoup d'autres, bien sûr. Même le presque respectable Figaro y a apporté son grain de sel, avec cet article au titre choc : "Berlin réunifié fête ses vingt ans en saluant le rôle de l'islam". On imagine le nombre de lecteurs en chemise vichy et de lectrices en collier de perles qui ont recraché leur café du matin sur leur nappe Marquise de Laborde immaculée à la lecture de cette manchette. Outre le fait qu'il s'agissait des vingt ans de la réunification de l'Allemagne, pas de Berlin, Le Figaro a fait l'impasse sur les nombreux débats, plus raisonnables, qui entouraient cette commémoration forte en symboles : le coût de cette réunification, la difficile convergence entre l'Est et l'Ouest, le désenchantement pour beaucoup, etc. Non, l'essentiel des problématiques de ce Tag der deutschen Einheit millésime 2010 était une petite phrase inoffensive de Wulff superstar.

Quelques mois ont passé, les Allemands n'aiment toujours pas beaucoup les musulmans mais le soufflé a fini par retomber. L'hystérie s'est calmée, on peut passer presque une journée entière sans entendre le nom de Thilo Sarrazin, ni de jérémiades de Schmidt, Schulz et Schneider sur ces maudits Turcs-qui-ne-veulent-pas-s'intégrer, et les tabloïds, ayant remporté la bataille de l'opinion, ont magnanimement pardonné au président ce moment de folie passagère. Est-il pour autant retombé dans l'oubli dans lequel tout le monde voudrait qu'il reste ?

Que nenni.

Le X-Men Wulfferine a encore frappé. Cette fois, c'est une tout autre frange de la population, mais qui comme les immigrés est loin de faire l'unanimité, qui est à l'origine de ses déboires. En effet, le Präsident devient automatiquement le parrain du septième enfant de chaque famille allemande, en conformité avec une loi votée en RFA en 1949. Mais que faire lorsque la famille en question est très connue dans sa région pour son engagement au sein de l'extrême-droite néo-nazie ? Rien du tout, a décidé le bureau du président, puisque c'est l'enfant qui est à l'honneur lorsqu'il devient le filleul du Bundespräsident, pas sa famille et encore moins les convictions politiques de celle-ci, quelles qu'elles soient. Donc on fait comme d'habitude et l'enfant a droit à son parrain VIP prévu par la loi. Une telle décision n'a pas été du goût des politiciens locaux, dans le Land du Mecklenburg-Vorpommern (ou "Mec-Pomme" pour les intimes), une région rurale déshéritée de l'Est qui tente de contenir tant bien que mal la poussée de fièvre xénophobe et nationaliste du NPD. La polémique a enflé, des personnalités de gauche indignées ont reçu des menaces de mort, et le président a botté en touche, s'abstenant, comme l'a noté la presse, de faire un petit détour par Lalendorf pour rendre visite à son nouveau filleul alors qu'il était en déplacement dans la région cette semaine.

Il est facile de comprendre pourquoi il a préféré éviter cette visite, ce fringant Beowulff : cela pourrait faire désordre. On imagine la honte pour lui d'être accueilli à cris stridents de "Heil mein Präsident!", bras droit tendu en avant dans un claquement de bottes, par les parents du petiot.

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Un petit bonjour ?

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