Chers gens,
Oui, nous sommes le 18 janvier, et le temps des rétrospectives 2010, il paraît que c'est terminé. Mais ça, qui l'a décidé en fait ? Nous sommes en démocratie, et si cela me chante, je pourrais très bien vous régurgiter une rétrospective 2004 là, tout de suite. Alors peu me chaut que cela vienne comme une bouteille de Beaujolais nouveau en plein mois d'avril : il y a un bon paquet d'expériences pas encore si lointaines que j'ai envie de partager. Et puis l'année 2010, c'était aussi ma toute dernière année avant le funeste cap des 30 ans qui se rapproche inéluctablement, alors je m'offre le privilège de la revivre. Procédons, avec une rigueur toute germanique, de façon chronologique, si vous le voulez bien :
JANVIER
Je suis tout beau et tout bronzé. Normal, je rentre de deux semaines en Martinique. Le moment avait été judicieusement choisi car la Martinique subissait alors sa pire sécheresse des soixante dernières années, la saison des pluies ayant tout simplement disparu du calendrier, du fait d'une espièglerie du Niño, de La Niña, El Padre, La Madre, El Padrino, Los Abuelos, bref, toute la Familia du détraquage de la météo. Les agriculteurs en ont beaucoup souffert et le petit potager de mon père était sinistré, mais le côté positif de cette petite catastrophe, c'était des vacances 100% ensoleillées ! Et on ne refuse pas de vacances ensoleillées quand on enchaîne avec l'hiver le plus froid à Berlin depuis... euh... l'hiver précédent, avec des températures qui descendent à -20°C, du jamais vu de mémoire d'homme, c'est-à-dire depuis janvier 2009 ! Berlin hiberne et bat surtout un record historique de seize jours consécutifs sans un seul rayon de soleil. Je déprime. "Avatar" en 3D, avec ses images splendides de la planète Pandora, m'offre un répit bien mérité de trois heures de couleurs luxuriantes. Quatre heures, peut-être ? Je ne sais plus, le scénario a quelque peu anesthésié mon cerveau qui était déjà préalablement congelé.
L'âge de glace, ou la Spree un jour d'hiver |
FÉVRIER
L'église catholique berlinoise, qui d'ordinaire peine à faire entendre sa voix dans ce désert spirituel, cette capitale de la décadence et du péché, fait la une des journaux mais pour les mauvaises raisons : elle est ébranlée par le pire scandale de pédophilie de son histoire, l'affaire du collège jésuite Canisius. Même à Berlin, la pédophilie c'est encore un chouïa trop avant-gardiste. Mon bronzage martiniquais n'est déjà plus qu'un lointain souvenir. Le soleil est revenu timidement, mais des glaciers sont en voie de formation dans les rues, et un ours polaire a été aperçu non loin de Potsdam, chassant le phoque dans les glaces de la Havel. Pour combattre la dépression hivernale qui m'engloutit, je vais à la Berlinale. Je parviens à voir une projection de "The Ghost-Writer" d'un certain Polanski, qui n'aurait pas démérité à l'internat du collège Canisius, ainsi que la première d'un film intitulé "Winter's Bone", dont la réalisatrice Debra Granik était présente dans la salle, et qui sort dans les salles en mars 2011 en France (comme quoi, ma rétrospective est tout à fait d'actualité). Loupé : ma dépression hivernale en redouble d'intensité. Fort heureusement, mon projet d'en finir tourne court grâce à l'expo F.C. Gundlach (non ce n'est pas du foot) au Martin-Gropius-Bau, qui me réconcilie avec la beauté de ce bas monde.
Le mannequin suédois Karin Mossberg photographié par Gundlach au début des années 50, à Stockholm (sans doute) |
MARS
Le 21 mars, juste à temps pour l'équinoxe de Printemps, le Großer Wannsee est enfin libéré de sa banquise ! La saison des sports nautiques peut commencer, celle du ski dans les parcs est finie. Depuis quelques jours, il est à nouveau possible de marcher dans la rue sans moonboots. Sous nos yeux ébahis, trois mois de déchets, notamment ceux du réveillon, reparaissent dans les rues après avoir été enfouis tout ce temps sous les glaces. C'est sans aucun doute le moment où Berlin est le plus laid de toute l'année. N'en pouvant plus de la neige, de la glace et de la saleté, je fuis Berlin à deux reprises pour les cieux plus cléments et les trottoirs plus amènes de Paris. J'y participe à un semi-marathon pour lequel je n'ai pas pu m'entraîner pendant l'ère glaciaire, et la sanction tombe immédiatement : une inflammation du tendon d'Achille me pourrit la vie pendant un mois.
AVRIL
Un nuage de cendres invisibles perturbe une grande partie du monde et vide Berlin de ses nuées de touristes, qui d'habitude sont tout sauf invisibles justement. C'est reposant de se retrouver "entre Berlinois". La moitié de mes amis sont coincés dans des lieux exotiques et certains ne s'en plaignent pas. Je ris sous cape, n'ayant absolument aucun projet de voyage. La chancelière Merkel gagne quelques points de popularité auprès d'une opinion attendrie en effectuant une odyssée épique depuis San Francisco avec une escale forcée à Lisbonne, et pour finir un trajet Rome-Berlin (tiens, tiens) en autocar, en suivant des axes routiers surchargés. Elle est accueillie en héroïne par un peuple exultant, qui danse d'allégresse dans les rues au son du tam-tam. Profitant des billets achetés par un ami pour ses parents restés coincés en France, je vais voir "Flying Bach", un spectacle de breakdance exécuté par un groupe de jeunes des cités difficiles, sur de la musique Bach, dans le cadre feutré de la Neue Nationalgalerie. Du clavecin, des violons et du hip-hop, il fallait y penser. Le résultat est plutôt impressionnant.
MAI
Une rue de Friedrichshain le 1er mai. La mienne, en l'occurrence |
La police boucle mon quartier pendant deux jours pour tuer dans l'œuf (contaminé à la dioxine, comme de droit) toute velléité d'émeute, une tradition du premier mai dans certains quartiers rebelles de la capitale fédérale. Le fameux Bar 25, en grande partie en plein air, et dont la fermeture définitive est annoncée chaque automne pour cause de MediaSpree, rouvre ses portes comme chaque année pour la belle saison, sous des trombes d'eau. Pas de chance : l'hiver revient nous rendre visite. Envoyé à Oslo pour quelques jours par mon gentil employeur, juste avant l'Eurovision qui allait précisément s'y dérouler, je goûte au bonheur estival en Scandinavie pendant que tout le monde grelotte à Berlin et même à Paris je crois. Y'a plus de saisons ma bonne dame. Je loupe l'Eurovision que l'Allemagne remporte pour la première fois depuis une trentaine d'années, scrogneugneu. Ce que je ne loupe pas, c'est la réouverture de l'aéroport de Tempelhof, établissement historique fermé à l'exploitation en octobre 2008 suite à des débats enflammés et un référendum passionnel. Mais attention, il n'a pas rouvert aux avions : chose unique dans une capitale, le Flughafengelände Tempelhof a ouvert ses portes et ses 400 hectares de pelouses (le double de la superficie de Hyde Park ou du Tiergarten) aux flâneurs, aux promeneurs, aux jongleurs, aux pique-niqueurs, aux buveurs, aux glandeurs, aux bulleurs, aux dormeurs, aux rêveurs, aux pédaleurs, aux rolleurs, aux volleyeurs, aux footballeurs, aux danseurs, aux chanteurs, aux jolis cœurs, au bonheur.
Le légendaire Bar 25, qui a peut-être fermé pour toujours, pour la cinquième fois de son histoire |
JUIN
JUILLET
À Madrid, j'essuie stoïquement les railleries de mes collègues. La piètre performance des Bleus a rendu les Ibères hilares. Je découvre aussi le concept de grève illégale et illimitée dans le métro. Amis parisiens, sachez qu'il y a pire que la RATP ! Les terrasses-télés-vuvuzelas font cruellement défaut dans la fournaise madrilène, car le foot en Espagne, ça se regarde chez soi, bien au frais et à l'ombre. Mais quand La Roja élimine contre toute attente la Mannschaft en demi-finale, c'est la fête comme Madrid n'en a plus vu depuis la mort de Franco. Je rends à l'oracle Paul le poulpe, la pythie de l'aquarium d'Oberhausen, l'hommage qu'il mérite en m'offrant de délicieuses tapas de pulpo a la gallega. Puis je quitte Madrid et ses 36°C pour regagner Berlin par 39°C (et où la climatisation est un confort totalement inconnu). Mon bureau est orienté plein ouest. Je m'invente des horaires adaptés et je passe mes après-midi au Badeschiff (la piscine flottante de la photo), au Schlachtensee, au Langer See, bref, partout où il y a de l'eau. Heureusement, ce n'est pas ce qui manque à Berlin.
La canicule est finie, la coupe du monde est finie, la vie reprend bon an mal an son cours normal, mais qu'est-ce que le cours "normal" des choses à Berlin ? En voilà un bon sujet de dissertation. L'hystérie Frida Kahlo culmine au Martin-Gropius-Bau. Après une première tentative, qui se solde par une visite de l'expo "Innen Stadt Außen" de l'islando-danois Ólafur Eliasson pour éviter la trop longue attente, je m'inflige tout de même, au dernier jour de la rétrospective, les quatre heures de queue nécessaires (sansboiresansallerauxtoilettes), sous les regards sadiques des conservateurs, et visite enfin l'exposition, seul puisqu'aucun de mes amis n'a été assez fou pour s'infliger un tel traitement. Cela en valait la peine, mais je ne suis pas sûr que je le referai. Je mets deux jours à récupérer de cet ironman culturel. Je suis à nouveau sur pied juste à temps pour assister, médusé, à un ovni culturel parmi tant d'autres, l'élection de Miss U-Bahn, sur les pavés sales du Spreewaldplatz, à Kreuzberg. Le cours normal des choses, disions-nous. Avide d'inconnu, je pars à l'aventure seul à Belgrade puis en Bosnie-Herzégovine, pour des un voyage riche en surprises dans les Balkans. Je profite de la lenteur des trains pour préparer mon projet de blog.
AOÛT
La canicule est finie, la coupe du monde est finie, la vie reprend bon an mal an son cours normal, mais qu'est-ce que le cours "normal" des choses à Berlin ? En voilà un bon sujet de dissertation. L'hystérie Frida Kahlo culmine au Martin-Gropius-Bau. Après une première tentative, qui se solde par une visite de l'expo "Innen Stadt Außen" de l'islando-danois Ólafur Eliasson pour éviter la trop longue attente, je m'inflige tout de même, au dernier jour de la rétrospective, les quatre heures de queue nécessaires (sansboiresansallerauxtoilettes), sous les regards sadiques des conservateurs, et visite enfin l'exposition, seul puisqu'aucun de mes amis n'a été assez fou pour s'infliger un tel traitement. Cela en valait la peine, mais je ne suis pas sûr que je le referai. Je mets deux jours à récupérer de cet ironman culturel. Je suis à nouveau sur pied juste à temps pour assister, médusé, à un ovni culturel parmi tant d'autres, l'élection de Miss U-Bahn, sur les pavés sales du Spreewaldplatz, à Kreuzberg. Le cours normal des choses, disions-nous. Avide d'inconnu, je pars à l'aventure seul à Belgrade puis en Bosnie-Herzégovine, pour des un voyage riche en surprises dans les Balkans. Je profite de la lenteur des trains pour préparer mon projet de blog.
SEPTEMBRE
L'automne est déjà là, un jour sur deux. Revenu de Belgrade, je retrouve une Allemagne déchirée par une mini-affaire Dreyfus. Dans le rôle du lieutenant en disgrâce, ce sont les immigrés en général, turcs et arabes en particulier. La nation a été secouée de sa torpeur estivale par la publication de Deutschland schafft sich ab, du sinistre Thilo Sarrazin. Comme c'est l'objet du billet précédent, je n'ai pas besoin de donner plus de détails. Le brûlot xénophobe en question est un énorme succès de librairie : Sarrazin devient millionnaire. La haine, ça paie. L'été revient nous faire un petit coucou juste à temps pour le Berlin Festival, un événement musical aussi géant que son nom est pourri, là encore dans le plus grand terrain de jeu du monde qu'est devenu l'ancien aéroport de Tempelhof. Une aérogare à l'architecture fasciste, cinq scènes, vingt degrés Celsius, trente heures de musique, quatre-vingts artistes, cent tonnes de saucisses. Qui dit mieux ? Eh bien, beaucoup disent mieux, car les organisateurs ont été complètement dépassés par la multitude. Les souvenirs de la tragédie de la Loveparade de Duisburg étant encore trop présents dans les mémoires, un début de bousculade oblige la police à tout arrêter et à annuler une bonne partie des concerts par mesure de sécurité.
Wouaaah trop cool le panneau d'affichage ! La prochaine fois, pensez aussi à la sécurité, SVP, OK ? |
OCTOBRE
L'Allemagne célèbre les vingt ans de sa réunification par une curieuse cérémonie à Brême, dans l'indifférence générale. En fait, le 3 octobre était un beau dimanche ensoleillé alors les gens ont préféré fêter le beau temps, profiter de la vie et aller taper dans le ballon pour une dernière fois à Beach Mitte, avant de reprendre de plus belle les débats en cours sur comment se débarrasser des quatre millions de musulmans et des quinze millions d'Allemands d'origine plus ou moins étrangère qui corrompent le Vaterland par les miasmes de leur présence. Attention, le premier qui dit "Solution Finale" a perdu. Octobre, c'est un mois de transition, un peu bâtard. On s'accroche aux dernières bribes d'été, mais c'est un combat perdu d'avance.
NOVEMBRE
Je m'accorde un surcroît de soleil au Liban et en Syrie, deux pays fascinants où je compte bien retourner. D'ailleurs je ne suis pas tout à fait sûr d'en être vraiment revenu. Ce ne sont pas des voyages qui laissent indemnes. À mon retour à Berlin, j'essaye de prendre en marche le train des événements culturels. À propos de train, la pièce de théâtre Un Tramway, du réalisateur polonais Krzysztofszczxldslk Warlikowski, au Haus der Berliner Festspiele, joue à guichets fermés, en français et avec de gros morceaux d'Isabelle Huppert dedans. Je parviens tout de même à mendier une place, après m'être roulé sur le sol, écumant, les yeux révulsés, et hurlant "Isabelle ! Je veux voir Isabelle !"
DÉCEMBRE
El Niño et ses cousins débarquent du 9-3. L'Allemagne connaît son mois de décembre le plus froid depuis l'année où Neil Armstrong marchait sur la lune. Les rescapés du Berlin Festival peuvent voir, en concert de rattrapage gratuit, 2ManyDJs et Fat Boy Slim dans la salle de l'Arena Treptow, pour peu qu'ils n'aient pas eu la mauvaise idée d'habiter à l'étranger et d'être venus exprès pour le festival en septembre. Cette fois, il n'y a pas d'évacuation. Les Allemands ont appris à organiser des concerts sans mouvement de panique depuis cet été, c'est bien, félicitons-les. Du coup, j'en profite pour enterrer l'année dans un tourbillon musical : MGMT, Ben L'Oncle Soul. C'est déjà l'heure des marchés de Noël, et il y en a pour tous les goûts. Je vis mon premier Noël 100% allemand dans un petit village sympathique du Brandebourg. Laissons le mot de la fin au Gros Gars Mince :
Snif Snif...Même pas un petit mot sur la séance de natation au Bar 25!
RépondreSupprimerBravo pour le "Même à Berlin, la pédophilie c'est encore un chouïa trop avant-gardiste"
Ben Daas
T'es ouf fils ! C'est dans "Juin". Vous avez fait trempette devant le Club des Visionnaires, pas au Bar 25... Content de lire un petit commentaire de ta part !
RépondreSupprimer:-)
Moi j'étais à Berlin en juillet, j'ai pas vu passer la grève illimitée...heureusement je pense que ça m'aurait déprimé, j'ai subi deux grèves pendant mon dernier CDD de 6 mois, habitant en banlieue c'est un peu rude quand même... :)
RépondreSupprimerBon par contre à te lire, pas de regret de ne pas avoir tenté l'expo Frida Kahlo qui me disait bien, quand à la piscine sur la Spree, elle était dans ma todo list et puis en fait 5 jours c'est vite passé...
T'inquiète, c'était à Madrid la grève illimitée :-)
RépondreSupprimerEn effet Frida c'était éreintant !
Effectivement Madrid, c'était clair pourtant, je n'ai pas les yeux en face des trous! :)
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