Joe Hatchiban, sémillant coursier irlandais de 37 ans, du moins si l'on en croit son profil sur Youtube, tient le haut du pavé depuis deux ans à Mauerpark avec son Bearpit Karaoke. Mais force est de constater que la grand-messe dominicale de la Fosse aux ours est avant tout une attraction touristique, où les Berlinois de souche (au nombre desquels j'ai la présomption de me compter, mais oui mais oui) sont en minorité face à la marée d'envahisseurs étrangers, une situation déplorable qui préfigure clairement les scénarios apocalyptiques du best-seller Deutschland schafft sich ab, dans lequel un visionnaire nommé Thilo Sarrazin décrit une Allemagne humiliée et soumise à des corps étrangers au génome corrompu. Mais le pire reste encore à venir : le stade Friedrich-Ludwig Jahn attenant au parc serait sur le point d'être transformé en mosquée, ses hauts pylônes d'éclairage, en minarets. La charia à Mauerpark (prochainement "Moscheepark"), c'est pour après-demain. Karaokeuses du dimanche, toutes à vos burqas !
Mais je m'égare. Bien sûr, les Berlinois tiennent à leur Mauerpark et s'y précipitent tout autant que les touristes honnis, dès que la température le permet. Et ils utilisent à fond les potentialités de cette cour de récréation pour adultes, géante et arborée. Lorsque ma voisine, Janne, et moi avons fini par nous lasser du karaoké, nous avons décidé de récupérer nos vélos laissés à l'entrée du parc et de regagner sagement nos pénates, à Friedrichshain. Mauerpark en a décidé autrement. En descendant la colline, nous avons aperçu un attroupement et, curieux, sommes allés voir ce qui se passait. C'était la fête, tout simplement ! Deux DJs avaient improvisé une table de mixage, installé deux platines pour vinyles, une déco des plus rudimentaires (et déjà des œufs de Pâques), une boule à facettes suspendue à une canne, tout à fait superflue puisque le soleil de l'après-midi brillait encore largement, et nous étions comme en soirée électro, mais en plein jour !
Bien entendu, quand on vit à Berlin, ce genre de surprise n'est plus une nouveauté, et j'avais déjà vu des "open-air discos" à deux ou trois reprises à Mauerpark. Néanmoins, on ne s'y attend pas forcément dès la mi-mars, alors que nous sommes tout juste en train de sortir de notre longue hibernation. Quoi qu'il en soit, cet avant-goût de printemps nous a fait un bien fou ! La chose peut-être la plus étonnante de cet épisode inattendu, c'était de voir à quel point tous ces gens souriaient. Des Berlinois qui sourient en dansant, qui sourient aux inconnus autour d'eux ! Rien que pour vivre cela, nous avons bien fait d'oublier nos vélos, de poser nos vestes en boule sous la table et de nous mettre à danser avec les autres. J'espère ne pas être trop naïf en ne mettant pas ces sourires et cette bonne humeur générale uniquement sur le compte des drogues à l'odeur aisément reconnaissable qui embaumaient l'atmosphère.
Un parc, de l'électro, de la bière, de la drogue, et des fêtards pourtant de tels accoutrements qu'on les croirait déguisés (mais on sait bien sûr qu'il n'en est rien : en bons Berlinois, ils sont habillés de manière "décalée" et "créative" ) : les ingrédients d'un été réussi à Berlin étaient déjà réunis au Mauerpark. Le plus plaisant était l'élément de surprise. D'ailleurs, ayant bien cherché sur internet, je n'ai trouvé aucune mention de cette fête. Je ne pourrai donc pas dire si elle était entièrement improvisée, mais s'il y a eu un mot d'ordre, il n'a pas été lancé sur internet.
La nuit a fini par tomber ; dans le ciel, le Fernsehturm et la lune se sont illuminés ; plus près de nos têtes, une modeste lampe de bureau Ikea s'est vu confier la délicate mission de donner à la boule à facettes tout son éclat. Le résultat n'était pas des plus convaincants, mais ce n'était pas bien important. La fête ne faisait en réalité que commencer, et l'euphorie grandissait encore de manière perceptible. "On reste ?? On reste !!" Janne et moi décidons de profiter au maximum de cette fête aux allures de flash-mob.
Mais soudain, tout s'arrête ! Il est 18h30, et la police s'invite, fait arrêter immédiatement la musique malgré les protestations générales, contrôle longuement les papiers des DJs (je n'ai pas vus les policiers dégainer leurs scanners magiques comme en Bavière). On a beau scander "Musik! Musik!", l'affaire est entendue. Quel genre d'individu appelle la police parce que "des jeunes" jouent de la musique à 300 mètres de leurs fenêtres, un dimanche à 18 heures, je ne saurais pas le dire. Des gens qui écoutent de la musique, dansent et surtout sourient, quelle horreur !
Ma voisine et moi décidons que cette fois il est temps de rentrer, plutôt que de nous éterniser sur place à attendre l'issue des négociations. De toute façon, Mauerpark nous avait déjà offert un dimanche plein de surprises, qui a largement dépassé nos attentes. Le printemps arrive : chouette ! nous allons enfin pouvoir arrêter d'être des adultes et recommencer à vivre comme des adolescents attardés pendant les six mois à venir !
Etonnant que la police intervienne...pour une institution annuelle même récente participant déjà aux (nouvelles) moeurs berlinoises, à l'instar des squats pseudo-artistiques dans lesquels Dieu seul sait ce qui s'y passe...
RépondreSupprimerJe pense aussi aux prochains rassemblements de masse du Bar 25 qui n'a toujours pas fermé!
Enfin c'est tout Berlin... culture éphémère, alternative et de plus en plus policée malheureusement...gentrification c'est ça!
En tout cas je vais essayer d'y faire un tour au Mauerpark; tes articles m'ont bien donné envie.
Il est génial ton blog,je le découvre, comme Berlin depuis 2mois.
Bienvenue à Berlin et aux Chroniques chère Hélène ! Je suis bien content que la ville et le blog te plaisent. Mauerpark, mais oui fonce ! L'herbe reverdira bientôt, et le parc sera tout de même plus beau.
RépondreSupprimerSinon, l'intervention de la police n'est pas si étonnante. Il était évident que des drogues circulaient autour de nous et la police doit être habituée à ce que ce soit le cas. Je ne sais pas s'ils ont arrêté la fête pour de bon ou l'ont laissé reprendre.
Squats "pseudo-artistiques" ? Quel jugement sévère !! :-)
oui je me doute que de choses circulent mais je pensais que c'était tolérer...je pense beaucoup de choses de Berlin...trop sans doute.
RépondreSupprimerquant aux squats, j'ai été assez déçue; j'ai surtout vu des stands de souvenirs, qques artistes en effet et pas mal de punks entre deux étages...notamment au fameux Tacheles; c'est le 1er endroit que j'ai visité.
Tu as une expérience particulière à me raconter à ce sujet?
À ma connaissance, la loi c'est la loi, à Berlin comme ailleurs en Allemagne. En effet il vaut mieux ne pas croire que c'est un paradis libertaire ici :-)
RépondreSupprimerJe ne sais pas vraiment si les drogues sont tolérées, je suppose que non mais je ne fréquente pas assez de gens qui en consomment pour avoir une opinion fondée sur les faits.
Je vais parfois à Tacheles, en général quand j'ai de la visite, et j'ai vu aussi pas mal d'artistes au travail. Bon ce n'est pas Picasso mais il y a de la création artistique à Tacheles, c'est surtout ce que j'ai vu. Les stands de souvenirs, vraiment je ne crois pas en avoir vu là-bas... tu devrais peut-être y retourner !