vendredi 25 mars 2011

Cologne Q&A

Parlez-moi de Cologne. Je veux tout savoir !
Bigre ! Vaste programme. Par où commencer ?

Par exemple, dites-moi où se trouve Cologne, ce sera un bon début.
Entre Berlin et Paris, mais bien plus près de cette dernière, sur les rives du Rhin.

Ah, le Rhin, ce fleuve majestueux, qui incarne à lui seul deux mille ans d'âme germanique, et a été célébré merveilleusement et chanté divinement dans Die Lorelei et L'Or du Rhin !
Oui, ça c'est pour les poètes romantiques dans l'âme, à la sauce Heinrich Heine. Mais de nos jours, au rythme où les navires chimiquiers font naufrage dans son cours tumultueux et y déversent leurs cargaisons de saletés, les nymphes germaniques du bon vieux temps des Nibelungen doivent être complètement radioactives et/ou rongées par les acides divers. Ceci dit, il est toujours de bon ton, par beau temps, de braver les courants et la pollution ambiante pour une baignade estivale tonifiante dans le fleuve, sur les plages de Rodenkirchen, non loin du centre de Cologne.

Vue des restes de la vieille ville et du Rhin depuis un clocher de la Cathédrale
Ah bon, les gens se baignent dans le Rhin ? Ils sont pas un peu mabouls ???
On parle bien des Allemands : plus rien ne devrait vous étonner, mon pauvre ami. Il y a même un camping à côté, si vous voulez tout savoir. Les Flots Bleus, c'est complètement has been.

Et après le bain, ils se rincent et se parfument à l'eau de Cologne, c'est ça ?
Ach, vous n'avez guère tardé à l'amener, ce cliché usé ! Mais tout en finesse tout de même, bravo. En effet, l'élixir parfumé inventé à Cologne par un immigré italien colle à l'image de la ville depuis 250 ans, dans le reste du monde. Mais localement, il y a des liquides autrement plus importants aux yeux de la population.

Les eaux sacrées du Rhin, dans lesquelles les pieux habitants font ablutions rituelles et sacrifices sanglants comme les Indiens dans le Gange ?
Absolument ! Du moins, s'ils sont de religion hindoue. Mais le Colognais moyen est vaguement catholique, et voue surtout un culte immodéré à sa bière locale, la kölsch, produite par millions de litres dans des dizaines de brasseries différentes dans la région !

Des dizaines de brasseries ? Diantre, on doit y perdre la tête au milieu de toutes ces saveurs !
Que nenni, elles ont toutes le même goût, la même robe blonde, le même pétillant léger qu'elles perdent au bout de vingt minutes si vous ne buvez pas assez vite. Mais n'allez pas le dire à vos amis de Cologne si vous ne voulez pas les blesser dans leur amour-propre. Le Colognais qui se respecte est fier de sa bière. Pour les grandes marques, buvez une Früh ou une Gaffel, et vous aurez fait le tour de la question. Par ailleurs, faites-en bonne provision car vous aurez du mal à en trouver au-delà des terres rhénanes. C'est que ca s'exporte mal ce truc.

Une louve romaine sur la Komödienstraße
Vous êtes bien sévère, mon ami. Avec ses quatre pauv' brasseries qui se battent en duel, Berlin fait pâle figure !
Oh, je suis bien d'accord avec vous ; rendons à César ce qui appartient à César. D'ailleurs, à propos de César : Cologne, fondée par les Romains sous le nom de Colonia Agrippina, est  l'une des plus anciennes villes d'Allemagne et met à Berlin plus de 1.200 ans d'histoire dans les dents. Elle s'enorgueillit de nombreuses traditions multiséculaires, en plus de ses brasseries. Les vestiges romains ne sont pas le moindre des motifs de fierté pour les habitants. Cologne : 2 - Berlin : 0.


Une cité aussi ancienne doit être passionnante à visiter ! Quels sont les principaux monuments, les attractions-phares ? La liste doit être longue ! Je suis tout ouïe.

Hélas ! Le glorieux passé de Cologne ne se reflète guère dans son architecture, puisqu'il n'en restait que des cendres fumantes en 1945. La quatrième ville du pays est donc d'architecture essentiellement moderne, moche et grise à pleurer. Même Rotterdam est bien plus intéressante. Ses dalles de béton des années 60, conçues sans la moindre once d'inventivité, s'étalent hideusement autour d'une immense cathédrale : cette structure gothique gigantesque était à peu près le seul bâtiment encore debout après la guerre.

Ah, il reste donc bien des vestiges du passé ! Mais comment la cathédrale a-t-elle réussi à tenir le coup ?
Il y a deux explications possibles à un tel miracle. D'abord, sachez que ses constructeurs ont mis la bagatelle de 600 ans pour l'achever ! La réputation d'efficacité teutonne a durablement souffert de ce flop de proportions monumentales. L'affront n'a été lavé qu'à la fin des travaux, lorsque la cathédrale, une fois terminée, est devenue, pour quelques années, la plus haute construction au monde. Et bien entendu, la solidité de l'édifice a été largement démontrée par l'épreuve du feu, faisant taire à jamais les dernières moqueries. Soit, ils ont mis plus d'un demi-millénaire à construire cette cathédrale, mais le résultat, c'est du solide !

OK. Ça fait une explication. Et la deuxième ? 
Il pourrait vraiment s'agir d'un miracle ! Après tout, la cathédrale de Cologne abrite, selon la légende, les reliques des Rois Mages. C'est pour leur donner une demeure digne de ce nom que l'on a entrepris la construction de cette cathédrale mégalomaniaque au milieu du Moyen-Âge. 


Les Rois Mages ? C'est cela oui. Et moi je suis Liz Taylor, tant qu'on y est !
Vérité ou imposture, c'est la version officielle depuis plus de mille ans, alors il ne vous reste qu'à vivre avec, que vous le vouliez ou non. Cela ne changera rien au fait que la ville arbore fièrement trois couronnes sur ses armoiries, pour rappeler à la face du monde quelles précieuses reliques elle recèle dans sa crypte. Après tout, ces reliques ont fait la fortune de la ville : on venait de fort loin, et nombreux, en pèlerinage, pour admirer le fémur de Balthazar et se prosterner devant les gencives momifiées de Melchior.

Ils sont gonflés ces gens ! Et les petits bitonios sous les couronnes, c'est quoi au juste ? Des crottes de nez de Rois Mages ? 
Arrêtez avec votre persiflage, voyons ! Attention, là nous touchons au cœur même de l'identité de Cologne. La médisance gratuite n'est plus de mise. Ces onze flammes sont les larmes de Sainte-Ursule, la Sainte-Geneviève locale. Selon une légende tenace, elle aurait été occise par les Huns, aux ordres d'Attila, qui auraient également zigouillé pas moins de onze mille vierges. Ce sacrifice n'aura pas été vain puisqu'il aura permis de sauver la ville, ou quelque chose comme ça... Depuis ce bain de sang de triste mémoire, le nombre 11 a une valeur quasi-mythologique pour les Colognais, presque comme le 8 pour les Chinois.

Dans la nef de la Cathédrale
Ben voyons. Quand des gens, bons catholiques ou pas, sont capables de garder leur sérieux en racontant de telles histoires à dormir debout, on est enclin à ne pas prendre tout ce qu'ils disent pour parole d'évangile !
Amen !

Vous disiez quelque chose en rapport avec l'identité de Cologne et le nombre 11...
Oui, vous m'avez grossièrement interrompu, espèce de rustre. Le 11 novembre, lorsque la France célèbre l'armistice, et l'Allemagne vit un jour comme un autre, Cologne est en fête !

Ah bon ? Ils fêtent l'armistice eux aussi ?
Vous n'y êtes pas du tout. Ces onze larmes sont si importantes que le 11/11, à 11h11, c'est le début du Karneval !

Le Carnaval en novembre ? Voilà qui est pour le moins curieux !
C'est juste le coup d'envoi des festivités. Ensuite, il y a une trêve pendant les fêtes de Noël. Puis le carnaval, le vrai, reprend ses droits pour toute une semaine de débauche, en février ou en mars.

Donc en fait, à Cologne, l'hiver n'est qu'une succession de fêtes. C'est pas bête ! Et comment on le célèbre, ce carnaval ?
Je ne vous le fais pas dire. Le carnaval commence dans les rues de Cologne un jeudi, vous l'aurez deviné, à 11h11, par une beuverie monstre et des escadrons de la mort constitués de groupes de femmes déguisées et déterminées à couper aux ciseaux la cravate de tout homme qu'elles croisent sur leur chemin. Mais les hommes, à qui on ne la fait pas, évitent de porter une cravate en ce jour de la Weiberfastnacht. Ils portent plutôt des costumes farfelus. Le vendredi, il ne se passe pas grand chose à part une cuite générale. Les plus téméraires vont au Medizinerball, une soirée géante organisée à l'origine par les étudiants en médecine, avec des concerts et plusieurs salles de danse. Le samedi, soûlerie collective et défilé du Geisterzug. Le dimanche, bacchanale dans les rues et dans les bars, et quelques défilés de groupes dans les rues. Mais l'autre grand moment du carnaval à part sont lancement le jeudi, c'est le "lundi des roses" : c'est au Rosenmontag, qu'a lieu la parade officielle, de dizaines de chars savamment décorés, sous les yeux ébahis d'un public soûl et titubant, qui, soulagé, brûle son effigie du carnaval le mardi, pour se débarrasser de tous les péchés commis pendant ces jours de débauche.

Dites donc, pour résumer, c'est juste une soûlerie géante sur plusieurs jours !
Vous schématisez : cela va bien plus loin. Il y a de la recherche dans les costumes, et tout le monde est déguisé, et c'est vraiment toute la ville qui communie dans le péché. Et puis, il y a surtout la musique. Beaucoup de musique ! Le carnaval de Cologne, c'est comme Rio, mais sans la samba, sans les beautés brésiliennes en strass et en plumes, sans la plage et avec trente degrés de moins.... bon j'ai peut-être mal choisi ma comparaison.

En effet, car je ne suis pas plus avancé. Il y a de la bonne musique, disiez-vous.
Hé là, pas si vite ! J'ai dit qu'il y avait beaucoup de musique, mais je ne me suis pas avancé à dire que c'était de la bonne musique... À vrai dire, la musique est plutôt mauvaise, objectivement. Des dizaines et des dizaines de chansons font partie du répertoire de la musique du carnaval local. Les chansons traditionnelles sont de la Marschmusik, des marches militaires, souvenirs d'une époque pas si lointaine où les Allemands ne dansaient dans les rues qu'au son de la musique martiale. La plus connue de ce type s'intitule fort à propos Et Trömmelche, "Un petit tambour". Les chansons plus récentes sont de la grosse variété à quatre temps bien marqués, et qui fait peur. Les refrains, entonnés en chœur par des milliers de fêtards enivrés, font penser à des chansons paillardes, mais les paroles sont en général tout ce qu'il y a d'innocent.


Musique dans les rues de Cologne : dimanche 6 mars

Ah vraiment ? Que chantent-ils alors ?
La joie de vivre. L'amitié. L'amour. La beauté de leur ville, dont ils répètent à l'infini que c'est le meilleur endroit sur terre. Leurs traditions. Leur dévotion éternelle envers le FC Köln. La fête. Parfois des bêtises sans queue ni tête. C'est une manière très saine de faire la fête. En cinq fois au carnaval de Cologne, je n'ai jamais vu de bagarre. Et Dieu sait si les gens boivent, pourtant.

Dit comme ça, ça n'a pas l'air si mal. Quelques chansons à recommander tout particulièrement ?
Et comment ! Le grand classique, c'est bien entendu Viva Colonia, dont le refrain dit en gros : "Nous aimons la vie, l'amour et la joie, nous croyons en Dieu et avons toujours soif." Le débat est posé sans ambiguïté ! Puis, on vibre d'émotion et les trémolos emplissent nos voix lorsque nous chantons Mer stonn zo dir FC Kölle : "nous te jurons fidélité, nous te soutenons ô FC Cologne". Le patriotisme de clocher atteint son paroxysme, et les larmes nous emplissent les yeux, lorsque nous enchaînons avec Hey Kölle, du bes a Jeföhl : "Hey Kölle, toi ma ville où j'ai grandi, baignée par le Rhin. Tu es une ville qui a un cœur et une âme. Hey Kölle, tu es un sentiment."

"Nous" ? 
Oui, bon, c'est une joie assez communicative. Il suffit de faire du yaourt avec le refrain, et au bout de la troisième chanson, vous avez vraiment l'impression de faire partie de la tribu. Les Colognais vous incluent de bon cœur dans leur fête. Ils sont en cela sans doute un peu plus ouverts que les Berlinois. Une fois que vous vous êtes enivrés de nationalisme provincial, vous pouvez ensuite vous lâcher avec des chansons bien plus triviales, comme Echte Fründe, ("les vrais amis, ça reste ensemble"), ou même Poppe, Kaate, Danze, dat kannste, qui veut dire, de manière passablement vulgaire, "niquer, jouer aux cartes et danser, tu peux le faire". Vous pouvez aussi chanter la nostalgie des belles années dont le souvenir vous fait monter les larmes aux yeux (Superjeile Zick), ou alors vous moquer gentiment de la France, tiens.

Assez ! Assez ! Il suffit ! C'est vraiment très mauvais. En plus je ne comprends rien aux paroles !
Je vous avais prévenu. Mais l'idée, c'est de persévérer, jusqu'à arriver au moment où vous connaissez quelques chansons par cœur, ou du moins le refrain. Vous pouvez alors les chanter à tue-tête, douze fois dans la même soirée, avec vos amis Colognais ravis de vous voir vous intégrer aussi bien. Quelques litres de kölsch , ça aide aussi. Quant aux paroles, c'est normal que vous ne les compreniez pas : les chansons sont en dialecte local.

Heureusement, cela ne dure qu'une semaine par an !
Oui, le carnaval ne dure qu'une semaine. L'ennui, c'est qu'à longueur d'année, les Colognais écoutent la même musique en boucle. En plein mois de juillet, les groupes vedettes tels que Bläck Fööss ou De Höhner font salle comble, et chantent, encore et encore, les même chansons, devant un public en transe. C'est fou ! Il faut dire que ces groupes ont près de 40 ans d'existence, et le chanteur des Höhner arbore, fier comme Artaban, une coupe "mullet" de fort belle facture doublée d'une 'stache à faire pâlir d'envie le chancelier Bismarck. Cela vaut le déplacement.

En fin de compte, je ne sais pas si j'ai vraiment envie de découvrir Cologne.
C'est très spécial. Mais ça change agréablement de Berlin, de temps en temps. Il paraît que les Allemands les plus souriants et les plus enjoués, c'est en Rhénanie que vous les trouverez. À force de se l'entendre répéter, on finit par le croire. Allez, ne nous quittons pas sans un Bützche pour la route, tout de même !

Et c'est quoi, je vous prie ?
Un bisou de carnaval sur la bouche. Bützche !

Hé là ! Bas les pattes ! On n'a pas gardé les cochons ensemble.
Ah, Cologne, c'est pas gagné pour vous...

Bläck Fööss chante "Frankreich, Frankreich" - 1985

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