Le printemps arrive ! Ma vaillante ciboulette, dont je ne suis pas peu fier, a survécu à la grosse offensive hivernale de ces dernières semaines, une agression météorologique qui pourtant n'était pas loin d'égaler en traîtrise et en cruauté l'opération Barbarossa de 1941. De frêles tiges vert tendre sont donc les vainqueurs incontestés de cette confrontation épique face aux forces mortifères du gel, malgré ma décision de les laisser faire face à leur destin, dehors, par -10°C voire moins. Je n'ai pas eu à regretter d'avoir laissé la jardinière à l'extérieur. Comme aiment à dire les Allemands, was uns nicht umbringt, macht uns stärker, un dicton aux étranges accents proto-fascistoïdes selon moi (et qui d'ailleurs est le résultat de la déformation d'une citation de Nietzsche, ceci explique cela), que l'on peut traduire par "ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort". Mais passons, ma ciboulette meurtrie et rabougrie est donc plus forte. Mais bel et bien victorieuse, et c'est toute la ville qui se met lentement au diapason : les jours se sont considérablement allongés, le soleil règne sans partage dans un ciel d'un bleu pur, la glace grinçante, qui avait vite très vite repris ses droits sur la Spree et les canaux, disparaît du paysage, et vers midi, oui, on ose à peine le dire, on se le chuchote furtivement, il fait une douceur quasiment printanière, c'est-à-dire environ 4°C si on se penche par la fenêtre juste au-dessus du radiateur.
Et comment mieux dire adieu à l'hiver qu'en allant le titiller, le narguer une dernière fois, sur les terres où il s'est retranché et fait encore régner sa terreur blanche ? Il ne faut pas laisser mourir le tyran déchu qui nous a maltraités sans le moquer une dernière fois, mais prudemment, car il inspire encore la crainte et a peut-être quelque ultime pouvoir de nuisance, le despote retors. C'est donc chose faite depuis ce weekend, une fois de plus avec mes inséparables collègues. Malheureusement, nous n'avons pas pu partir avec la tribu "Erasmus" au complet cette fois-ci, Steven le Sino-Canadien étant retenu dans un pays (encore calme) du Golfe et Diana l'Espagnole recevant la visite de ses parents à Berlin. Les absents ont été remplacés par des Français, ce qui présentait toutefois au moins deux avantages : moins de complications en cas de contrôle d'identité (mais il n'y en a pas eu, malheureusement, cela n'aurait pas été déplaisant de se voir réclamer nos "Moultipass" par une fliquette tchèque façon Milla Jovovich dans Le Cinquième Élément), et, pour une fois, la possibilité de bavarder et de plaisanter dans notre langue maternelle pendant deux jours entiers ! C'est donc entre Français que nous sommes partis défier la poudreuse, ou ce qu'il en reste, et cette fois, non pas dans la lointaine Autriche, mais en République Tchèque toute proche. Le trajet deux fois plus court depuis Berlin était en définitive un argument sacrément persuasif.
Direction : le massif de Krkonoše, les "Monts des Géants", une région reculée, à cheval sur la frontière polonaise, entre la ville tchèque de Liberec et Jelenia Góra en Pologne (ça c'est pour que vous puissiez situer la région sur une carte sans difficulté). Nous sommes au cœur du Sudetenland, ces confins montagneux autrefois germanophones qu'Hitler a arrachés à la Tchécoslovaquie d'alors, rapprochant inéluctablement l'Europe de la guerre. Aujourd'hui, ces montagnes sont pacifiées, tchèques bon teint comme la Staropramen, et les très nombreux visiteurs allemands, envahisseurs voyants, n'ont aucune intention belliqueuse. Quant au nom des "Monts des Géants", il tient de l'hyperbole assumée sans complexe, vu qu'il désigne quelques collines culminant à 1300 mètres d'altitude, soit moins que les Vosges ou que la Montagne Pelée. Ceux qui s'attendent à l'Himalaya risquent d'être déçus.
L'arrivée à la station de Rokytnice nad Jizerou, deuxième plus grande station de sports d'hiver du pays, a été bien plus compliquée que prévu : nous nous sommes retrouvés à un col fermé, le fameux Bílý Potok, à seulement 10 km du but. Cette déconvenue nous a forcé à faire un détour de près de deux heures sur des routes de montagne sinueuses et enneigées, anéantissant l'argument ultra-vendeur de la proximité géographique depuis Berlin et nos espoirs de coucher pas trop tardif.
L'arrivée à la station de Rokytnice nad Jizerou, deuxième plus grande station de sports d'hiver du pays, a été bien plus compliquée que prévu : nous nous sommes retrouvés à un col fermé, le fameux Bílý Potok, à seulement 10 km du but. Cette déconvenue nous a forcé à faire un détour de près de deux heures sur des routes de montagne sinueuses et enneigées, anéantissant l'argument ultra-vendeur de la proximité géographique depuis Berlin et nos espoirs de coucher pas trop tardif.
Mais découvrir Rokytnice valait bien ce menu contretemps. Le domaine skiable de la station porte un nom sibyllin, Horní Domky, que nous avons traduit librement par "Horny Donkey", ou encore L'Âne en Rut, ce qui, avouons-le, est autrement plus décalé que "Les Portes du Soleil" ou "Espace Killy". Ce curieux vocable est fièrement placardé dans toute la station, souvent accompagné de l'image d'un vieillard barbu espiègle, une sorte de Gandalf du Seigneur des Anneaux, mais lubrique et confusément inquiétant, si l'on en croit le texte qui l'accompagne. Mais Rokytnice est pourtant une station familiale, et propose aux skieurs pas moins de dix pistes, dont cinq bleues et deux noires, toutes sur le versant sud de la montagne, en plein soleil. Deux télésièges acheminent les amateurs de glisse vers les sommets vertigineux du massif : les risques de perdre vos amis pendant la journée sont donc assez faibles. Les sites web alléchaient le chaland en annonçant un enneigement de 80 cm, mais il fallait comprendre : 75 cm de glace recouverts de 5 cm de neige. Cependant, les pistes étaient malgré tout très agréables à descendre, ensoleillées, et procuraient de bonnes sensations. Une caractéristique amusante des télésièges, c'est qu'ils étaient acheminés par des câbles qui les faisaient passer parfois juste au-dessus des chalets ou au ras des pâquerettes (ou plutôt des edelweiss).
Sur place, à Rokytnice, les employés tchèques des hôtels, restaurants et autres, parlent bien plus volontiers l'allemand que l'anglais. Une fois de plus, la langue de Goethe nous a ouvert beaucoup de portes. Toutefois, ce court séjour dans ce beau pays nous a donné l'envie de nous initier à la langue locale. Les employées (toutes des employées) de l'hôtel Harrachovka nous ont enseigné de bonne grâce les quelques rudiments les moins hermétiques de leur langue, comme Ahoj pour "Salut", Dobrý den pour "Bonjour", ou encore, très important, Vy máte krásné modré oči pour dire "Vous avez de beaux yeux", très utile dans pour amorcer une conversation avec une Tchèque. Mais le mot du weekend, c'était incontestablement "Merci", qui se dit en tchèque Děkuji, et se prononce approximativement "Dékouille" (pour rester poli). Amis étrangers, ayez le bon réflexe : pour marquer des points auprès de vos interlocuteurs tchèques, n'hésitez pas ponctuer la conversation avec "des couilles", et entendez-vous répondre Prosim par des Tchèques conquis(es) ! Par exemple, une conversation dans un sabir anglo-germano-tchèque avec la réceptionniste de votre hôtel, qui n'est autre que la petite sœur d'Eva Herzigová :
– Ahoj !
– Ahoj !
– On voudrait aller à L'Âne en Rut, si on a bien compris, c'est bien le meilleur domaine de la région n'est-ce pas ?
– C'est clair.
– Quel est le meilleur chemin ?
– Eh bien vous tournez à droite en sortant de l'hôtel, continuez tout droit jusqu'au croisement, là vous tournerez à gauche en direction de Vrchlabí et de Špindlerův Mlýn, vous traversez le centre de Rokytnice en suivant la route principale. Vous trouverez un grand panneau qui indique l'entrée de L'Âne en Rut, avec un vieillard lubrique.
– Super le renseignement. Des couilles !
– Prosim !
– Et au fait, c'est quoi les horaires d'ouverture du sauna ?
– De huit heures à vingt heures.
– Des couilles.
– Prosim !
Pour résumer en quelques bullet-points, pour les nombreux cadres dynamiques parmi mes lecteurs, quels sont les avantages et inconvénients du ski en République Tchèque ? Commençons par les inconvénients :
Je ne vois pas d'autres inconvénients. Le reste, ce ne sont que des avantages :
Le ski en République Tchèque : on a testé et on a aimé.
Bonus : le restaurant ("Restaurace" en idiome local) tchèque et sa décoration inimitable.
- La langue : si vous ne parlez ni tchèque, ni allemand, vous allez au-devant de quelques difficultés.
- La petite taille des stations et des domaines skiables : pour un weekend, c'est parfait, mais pour une semaine de ski, vous deviendriez chèvre à force de parcourir les dix mêmes pistes de Rokytnice. La plus grande station du pays, Špindlerův Mlýn, offre quinze pistes, ce qui est à peine mieux.
- La longue attente aux télésièges, modernes mais de capacité insuffisante. Ce sont des télésièges à quatre places. Le jour où ils en mettrons six, voire huit comme en Autriche, on piaffera moins d'impatience aux remontées et on pourra parcourir encore plus souvent les dix petites pistes.
- La monnaie : argh, mais qu'attendent-ils pour passer à l'euro comme tout le monde ? Si les Slovaques l'ont fait, pourquoi pas les Tchèques ?
- Ah oui, nous avons aussi loué du matériel de qualité inégale...
La "Bernard Pivo" est une bière tchèque très prisée des connaisseurs et des fortiches en dictée ! |
Je ne vois pas d'autres inconvénients. Le reste, ce ne sont que des avantages :
- Le coût très bas de l'hôtel, des restaurants, des prestations en général. La location des skis et chaussures ne coûtait que 10€ par jour (la qualité suivait le prix, malheureusement) ! Au restaurant, on mange une truite ou une entrecôte pour 7€ !
- Les pistes au soleil, et suffisamment enneigées, malgré la basse altitude.
- Des paysages "habités", avec des villages, des arbres, des oiseaux, car c'est la moyenne montagne.
- Une vraie vie de "village" dans les stations de ski.
- De jolies skieuses qui semblent toutes être de proches parentes d'Eva Herzigová ou d'Adriana Karembeu.
- Les quatre heures de route depuis Berlin, pour peu qu'on prenne le bon chemin.
- La bonne bière tchèque.
- À ce qu'on nous a dit, les pistes sont aussi ouvertes le soir, en semaine. Le weekend, elles ferment à 16h.
Le ski en République Tchèque : on a testé et on a aimé.
Bonus : le restaurant ("Restaurace" en idiome local) tchèque et sa décoration inimitable.
Très chouette, la conversation avec la soeur d'Herzigova. Et comment on dit Wonderbra en tchèque?
RépondreSupprimerVoui, elle était sympa comme tout cette petite Herzigovette. Je ne crois pas qu'elle se doutait un instant de la raison pour laquelle nous étions aussi polis et la remerciions aussi souvent :-)
RépondreSupprimerSinon vu le peu de voyelles qu'ils utilisent pour écrire leurs mots, les Tchèques doivent sûrement dire "Wondrbr" pour Wonderbra :-)