mardi 19 avril 2011

Mayday Teasing

Ah le printemps berlinois ! À quoi ressemblerait notre misérable existence sur cette morne plaine sableuse, sans ce puissant souffle de renouveau qui, en l'espace d'un mois à peine, secoue la ville hors de sa longue torpeur frileuse et transforme les êtres furtifs, livides et racornis que nous étions encore début mars (oui, livides, même moi) en lézards oisifs à l'humeur badine, qui se dénudent sans pudeur, se gorgent d'ultraviolets en terrasse, et sourient à la vie, le teint ragaillardi, l'épiderme repu de mélanine et de coenzyme Q10 ? (C'était le défi de la semaine, placer le mot "coenzyme" dans un billet. Je m'en tire honorablement.)

De retour à Berlin après dix jours d'absence, je trouve ma ville verte, feuillue et fleurie, les oiseaux gazouillent amoureusement, les écureuils folâtrent, les eaux glauques de la Spree scintillent sous les rayons d'un franc soleil, le fumet gras des Bratwurst grillées enveloppe subtilement les parcs et chatouille les narines du flâneur nonchalant, les mini-jupes s'affichent en pagaille... non là je rêve : la Berlinoise en mini-jupe, cet accessoire machiste et avilissant conçu pour faire de la femme un objet sexuel ? On aura plus vite fait de lui faire adopter la burqa. Mais passons. Le printemps est arrivé avec rage et il en était temps.

"1er Mai : Jour de la colère"
Ça c'est pour les lourdauds qui
n'avaient toujours pas compris
La rage, c'est aussi le sentiment qui monte dans les rues de mon quartier de Friedrichshain, acquises aux idées politiques les plus marquées à gauche. Car, qui dit printemps dit aussi 1er mai. Et, alors que dans le reste du monde civilisé, le jour de la Fête du Travail est synonyme de défilés ennuyeux, de revendications politiques confuses et à peine audibles, d'innocents brins de muguet et surtout, de ponts et de viaducs, et en Allemagne, de grandes fêtes populaires où l'on tanzt in den Mai (on célèbre mai en dansant) à Berlin, c'est un tout autre rituel qui s'est imposé depuis la fin des années 1980, et qui depuis, s'est exporté vers les autres grandes villes allemandes. Depuis ce jour de 1987 où une énième manifestation d'extrême gauche a engendré une énième émeute, Berlin célèbre fraternellement la castagne, la violence et l'agression. C'est plutôt sympathique non ? Chaque année, avec les bourgeons d'avril et les jours qui rallongent, une tension sourde monte perceptiblement autour de nous. Les murs de Friedrichshain se couvrent de slogans avant-gardistes et novateurs : "Pour la lutte des classes", "Solidarité", "Révolution", "Contre la répression", etc. Nous y sommes : hier j'ai repéré un grand nombre d'affiches appelant à la manifestation annuelle. Les termes employés, les couleurs utilisées, les illustrations affichées ne laissent guère de doute quant aux intentions des divers groupuscules et obscurs collectifs qui ont lancé cette campagne coordonnée. Le message est clair : nous autres les citadins, ne sommes certes pas conviés à un aimable pique-nique en bord de canal où l'on débattra poliment du projet socialiste sur une nappe à carreaux ; il est question d'en découdre. Contre la police, cela ne fait pas de doute. Et contre les opposants qui relèveront le gant, comme par exemple les néo-nazis qui, certaines années, répondent jovialement à l'invitation et ramènent leurs crânes huilés et leurs bottes cloutées histoire de pimenter l'événement. Vous pensez bien, l'on commencerait à s'ennuyer si le rituel se répétait à l'identique année après année.

"Contre la guerre et le militarisme" - "Révolution sociale mondiale"
Moi je suis contre les émeutes dans ma ville, mais pour la guerre et le militarisme, voyez-vous.

Les médias fourbissent leurs armes et ont déjà commencé à republier leurs séries annuelles sur "les mafias d'extrême-gauche", et nombre de journaux spéculent sur une journée de manifestations qui devraient être encore plus violentes que les années précédentes, puisque, après les évacuations de plusieurs squats de Friedrichshain dont le fameux Liebig 14, les "groupes autonomes" crient vengeance. L'année dernière, la police avait eu une idée lumineuse et organisé "MyFest", un festival en plein air, afin de détendre l'atmosphère, susurrant en quelque sorte "faites l'amour, pas la guerre" à l'oreille des Berlinois en colère, ce qui ne manquait pas de sel. Cette année, d'après Berliner Morgenpost, les Linksextreme, agacés par ce lâche subterfuge, ont déjà prévenu que leur juste courroux s'abattra sur les fêtards insouciants, puisque se faisant ces derniers se rendent complices des forces de la gentrification et doivent supporter les fâcheuses conséquences de leurs actes. Le sophisme est imparable.

"Pour la solidarité et la lutte des classes. Contre la répression et le bla-bla des extrémistes".
Ha ! L'extrémisme, c'est les autres ! en quelque sorte. Ce sont des Sartre en puissance ces galopins.

Rendez-vous pris pour le dimanche 1er mai à 18 heures donc. Les amis, si je suis d'humeur suicidaire ce jour-là, je me rendrai à Kottbusser Tor, à Kreuzberg pour voir de plus près les manifs, témoigner ma solidarité envers les squatteurs expulsés et mon opposition aux forces du capitalisme prédateur et déshumanisant. Mais il est plus probable que, pusillanime comme à mon habitude, je m'en aille profiter d'une belle journée de printemps à ramasser les fraises à la ferme, loin de la ville et de sa jeunesse un peu trop turbulente.

Demonstration: "Revolutionaerer 1. Mai"
Femmes saoudiennes dans une rue commerçante de Djeddah.
Non, attendez, j'ai comme un doute là, tout d'un coup.

8 commentaires:

  1. Bien vu pour les affiches, j'ai commencé à en voir aussi. M'enfin, un peu d'action une fois de temps en temps, c'est pas la fin du monde non plus ! Tu iras à la cueillette aux fraises une autre fois dis !

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  2. Bonjour Tierisch et merci pour ton commentaire. On verra bien le 1er mai selon mon humeur et mon état de forme !

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  3. Moi je vais les voir se taper dessus! Du spectacle gratuit, c'est toujours ça de pris!

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  4. Tu as oublié de dire que les festivités ont déjà commencé, avec quelques cocktails molotovs lancés la semaine dernière dans le commissariat de police du quartier, et carrément des piques crève-pneus sur les routes tout autour du commissariat pour empêcher les poursuites! On ne rigole pas à Berlin!

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  5. Bonjour!

    Ah, tu me fais rire, JM. Belle plume, tu sais?

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  6. Hello chères commentatrices,

    Merci JvH, en effet, j'avais oublié l'histoire du cocktail molotov. J'ai vu ça passer dans les journaux la semaine dernière, et puis ça m'est passé. Ça va chauffer cette année !

    Caroline, du spectacle gratuit et peut-être un reportage à la clé ?

    Manon, héhé, merci, je ne me lasse pas de compliments, ça donne confiance et l'envie de persévérer car ce n'est pas toujours facile de trouver le temps d'écrire à côté du boulot, surtout avec les jours qui s'allongent et l'appel des terrasses ensoleillées qui se fait de plus en plus pressant !

    Frohe Ostern comme on dit ici :-)

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  7. On ne peut quand même pas dire que les berlinoises ne sont pas court vêtues (et cela même en hiver), ou aurais-tu loupé la mode du mini-short voire, du "pas de jupe" (chemise+collant, et hop on sort!)

    ;)

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  8. C'est tout à fait juste Mademoiselle K, je ne me suis pas hasardé à affirmer avec aplomb que la Berlinoise ne porte jamais de tenues osées, ce serait faux. Mais il me semble en tout cas voir très très rarement des minijupes... je ne sais pas pourquoi.
    Joyeuses Pâques !

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