L'autre jour, je courais gaillardement dans un parc aux couleurs printanières pour me préparer au semi-marathon (le jour J, c'est demain), tout en écoutant mes mp3 au hasard du "shuffle" de mon Sony-Ericsson-beaucoup-moins-bien-qu'un-iPhone, dont le logo évoque un mammouth. Il faut bien cela pour me donner du cœur à l'ouvrage car, blague à part, la course à pied, c'est affreusement fastidieux, encore moins réjouissant que l'affiche annuelle France-Féroé au foot. Soudain, alors que mon entrain commençait à faiblir et mes foulées à s'alourdir, s'invita dans mes oreilles une mélodie un rien démodée, accompagnée d'accords de synthés en force qui hurlaient "eighties !" et rappelaient à ma mémoire des images de crinières permanentées, de chemises aux couleurs criardes et de silhouettes redimensionnées à grands renforts d'épaulettes. Une femme à la chaude voix des Îles entonna avec volupté :
Lorsque l'on me parle de couleur de peau
J'ai le blues qui me fait froid dans le dos
Je me sens comme dans un conte d'Edgar Allan Poe
C'est le never more les vumètres à zéro
etc.
Joëlle Ursull, jeune chanteuse guadeloupéenne alors au sommet de sa popularité, représente la France à l'Eurovision en chantant un texte écrit spécialement pour elle par Serge Gainsbourg, qui avait même dû le modifier pour plaire à la diva. La mélodie est entraînante, l'exécution est irréprochable, et la chanteuse, belle et fraîche, arbore une volumineuse chevelure conforme aux canons de l'époque et laisse admirer un décolleté pour le moins indémodable, lui. Sans parler de l'audace du geste : une chanteuse noire à l'Eurovision, my goodness ! Les jurys en sont tout retournés, le public européen est séduit tandis que toutes les Antilles sont en liesse, fières de l'honneur qui "leur" est fait : cette année-là, en 1990, la France termine à une très belle deuxième place ex æquo, une performance bien au-dessus de sa moyenne plutôt médiocre des dernières décennies.
Je n'ai pu m'empêcher de sourire de cette chanson, tant elle est datée. Une chanteuse noire qui s'adresse à un public majoritairement blanc doit forcément chanter "White and Blââck Blues", et assener sans faillir des clichés comme "Africa mon amour j't'ai dans la peau" ou "entendez-vous les percussions des tam-tams" (aux Antilles, je n'ai jamais entendu le mot "tam-tam" employé pour désigner nos tambours traditionnels, mais Joërge Gainsbull se rachète largement en le faisant rimer avec "âme"). C'est toute la négritude depuis Césaire et Senghor qui est assumée, revendiquée, afin de vaincre les préjugés.
C'est fou le chemin qui a été parcouru depuis. Trois ans plus tard, la première Miss France noire était élue, une autre Guadeloupéenne, Véronique de la Cruz. Il y en a eu quelques autres par la suite, et une multitude de chanteurs et chanteuses noir(e)s à l'Eurovision sans que plus personne ne pense à s'en étonner, sauf les plus réacs d'entre tous. La Martinique et la langue créole ont été dignement représentées, sous les couleurs tricolores, par le chanteur Kali en 1992 ! Sans parler des cohortes d'Arabes, de Corses, ou encore de transsexuel(le)s qui ont suivi. J'étais trop jeune à l'époque pour comprendre réellement l'immense progrès que constituait chacun de ces petits événements, mais je partageais la joie de mes parents à chaque fois "l'un des nôtres" faisait honneur à ses Îles et à la France. C'était une époque si simple. En France comme dans le reste du monde, des préjugés séculaires tombaient les uns après les autres, des Mandelas étaient libérés et des apartheids abolis, des nations se découvraient "arc-en-ciel" et en devenaient fières, les peuples se réconciliaient, fraternisaient, et envisageaient un avenir radieux, ensemble plutôt que séparément, sur les décombres des haines du passé, comme dans le "rêve" de Martin Luther King. Alors vingt ans après, le message "white and blââck" a quelque peu vieilli, fort heureusement.
Véronique de la Cruz, Miss France 1993 |
Mais en fait, me suis-je demandé, entre deux enjambées, reprenant mon souffle, l'exhortation lyriquement naïve léguée par Gainsbourg et Ursull est-elle aussi obsolète qu'il y paraît ? Rien n'est moins sûr. Aujourd'hui, les a priori racistes s'expriment différemment, mais ils sont toujours là, et cette fois le mauvais exemple vient d'en haut. Il nous faudrait qu'un nouveau Gainsbourg déniche une chanteuse "française et musulmane", et que celle-ci interprète une chanson engagée pour faire barrage au raz-de-marée raciste et xénophobe qui déferle sur la France, par vagues successives, depuis quelques années. Je ne crois pas que l'on puisse abattre les préjugés à coup de chansons gnangnans, mais une belle œuvre pleine d'audace, in your face, comme Gainsbourg savait si bien le faire, avec l'interprète adéquate, pourrait faire contrepoids à l'incessante propagande haineuse des divers politiciens de droite et de leurs sbires dans les médias, devenus champions d'une forme bien particulière de la "liberté d'expression", aussi efficacement que White and Black Blues a su bousculer maints préjugés à l'époque. Pour le titre, je suggère "Printemps Arabe Blues", même se je suis tout à fait ouvert à de franches améliorations, car, après tout, je ne suis pas Gainsbourg. Et pour le premier couplet, je propose quelque chose comme :
Lorsque l'on me parle de Lampedusa,
J'ai envie de déchirer ma burqa.
Je me sens comme dans une chanson de Linda de Souza
C'est du n'importe quoi ce charabia.
Alternativement, une chanson intitulée "White and Blagues sur les Arabes" pourrait débuter ainsi :
Lorsque l'on me parle de prières de rue,
J'ai le sentiment que ça tourne à l'abus.
Je réponds : "écoutez, sale malotru,
Mettez-vous donc ce cactus dans le c..."
Bref, comme je disais, je n'ai pas la prétention d'être Gainsbarre, hein !
Quand je pense qu'un hommage sera rendu à Aimé Césaire mercredi prochain...au Panthéon par ces gens-là, il y a de quoi avoir la haine!
RépondreSupprimerUne bonne révolution à la mode arabe, ce serait pas mal... il faut bien rétablir la démocratie en France aussi non? et attendre encore un an et jouer la mascarade d'une pseudo-démocratie par les urnes serait lui faire trop d'honneur!
Montons un semi-marathon démocratique
et bon courage pour celui de demain!
tchuss
Héhé Alexandre, attention je sens qu'on est à la limite de la subversion là... j'étais pas au courant pour l'hommage à Aimé Césaire, trop drôle, il n'a pas daigné recevoir Sarkozy de son vivant alors on force les choses maintenant qu'il est mort...
RépondreSupprimerMerci pour tes encouragements, allez donc je vais au dodo là !
Bon dimanche à toi !
J'adore cette chanson. C'était à 1990 à Zagreb. Yougoslavie était encore vivant. Moi, comme petit, je me souviens des rhythmes de la chansones de plus. Et je me souviens que j'ai mangé une fois mon petit déj avec son voix dans le radio. <3
RépondreSupprimer