«Jamais la droite n’a été aussi élevée», saluait Guillaume Peltier, conseiller national de l’UMP.«Les Français qui ont voté FN vont voter Sarkozy dans leur grande majorité, croit savoir Christine Boutin, ralliée à M.Sarkozy. La France est plus à droite qu’on ne le croyait».Un conseiller du président diagnostique : «La stratégie de [Patrick] Buisson était la bonne: la France est très à droite, et la gauche basse».
J’ai tiré ces trois citations d’un seul article du Monde, publié lundi dernier, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle. Il s’intitulait «Nicolas Sarkozy joue son va-tout en pariant sur l’électorat FN». Tout est dit dans le titre ainsi que dans ces trois déclarations tonitruantes, qui sonnent à l’oreille comme autant de rugissements victorieux, à moins qu’il ne s’agisse de prières désespérées à Sainte Rita dans la plus pure tradition de la méthode Coué... Quoi qu’il en soit, j’ai du mal à croire cette affirmation selon laquelle la France est «très à droite».
Économiquement, elle ne l’est pas. Ou alors je me trompe grossièrement. Les Français seraient-ils subitement prêts à adopter l’équivalent des réformes de l’Agenda 2010 de l’ancien chancelier (social-démocrate) Gerhard Schröder, avec son lot de mesures pragmatiques mais douloureuses sur les la libération du marché du travail, la diminution significative des retraites et le raccourcissement de l’allocation chômage? Seraient-ils d’avis à reculer l’âge de départ à la retraite à 67 ans? Auraient-ils soudainement pris en grippe le principe de redistribution des richesses et de réduction des inégalités? Souhaitent-ils majoritairement la disparition de l’ISF? Ont-ils soutenu des mesures comme le CPE? Refuseraient-ils massivement, comme leurs voisins suisses, deux semaines supplémentaires par an de congés payés afin de soutenir la compétitivité de leur économie, si on leur donnait la possibilité de décider par référendum? La réponse à toutes ces questions est non, évidemment, et les gouvernements de droite qui se succèdent ont énormément de mal à mettre en place les réformes de libéralisation économique qu’ils ne cessent promettre. Quant à la droite «couleur Marine», elle est, du point de vue économique, bien plus proche de l’extrême gauche qu’elle ne l’est de l’UMP. Le FN est anti-euro, anti-mondialisation, anti-libéral, étatiste, pour la protection sociale à la française, en opposition frontale avec l’UMP sur ces questions. Ainsi, les doux rêveurs en chemise brun clair qui prêchent tranquillement une alliance du parti présidentiel prônent en réalité une union contre-nature, un peu comme si un cadre supérieur de La Défense décidait de s’habiller en costard-cravate-rangers-batte de baseball si vous voulez.
Sur le plan social, ou plutôt, «sociétal», les Français sont de moins en moins conservateurs. La France fait partie d’un tout petit groupe de huit pays, sur les 34 membres de l’OCDE, où plus de la moitié des enfants naissent désormais hors-mariage. Que l’on trouve cela déplorable ou pas, c’est un fait avec lequel la plupart des Français s’accommodent parfaitement, contrairement aux pays anglo-saxons où l’augmentation du nombre d’“out-of-wedlock births” est observée et décrite avec beaucoup de préoccupation dans le discours public. À propos de mariage, environ 60% de nos concitoyens seraient favorables au mariage homosexuel, d’après plusieurs sondages récents. Nul doute que si la France n’était pas «très à droite», elle approuverait le susdit mariage à 99% et des brouettes. Quant au PACS, il ne se trouve plus grand monde pour le critiquer, au contraire. Bref, notre société est très éloignée du conservatisme social et religieux qui reste particulièrement influent aux États-Unis et dans de nombreux autres pays de tradition chrétienne, en Europe ou sur les autres continents, de ces valeurs traditionnelles qui rencontrent un écho favorable au Front National d’ailleurs.
Alors, en définitive, quelles sont ces fameuses «valeurs» de droite sur lesquelles le sarkozysme et le lepénisme sont hautement compatibles, et susceptibles de séduire un large publicd’aigris à moitié demeurés? La réponse est évidente: ce sont les valeurs les plus porteuses d’avenir, telles que l’immigration, la défense de «l’identité nationale», la lutte contre «l’insécurité», etc., soit le plus petit dénominateur commun entre les deux principaux partis de la droite française. Ce sont bien sûr des préoccupations légitimes de la population, et les politiciens doivent évidemment y apporter des réponses. Moi non plus je n’ai aucune envie de courir le risque de me faire agresser en toute impunité dans le RER et ou que la charia soit adoptée demain en France. Mais on accorde à ces thèmes une place disproportionnée dans le grand cirque de l’absurde qui tient lieu de «débat politique» par rapport à leur importance réelle.
Je ne trouve rien à redire au fait que de nombreux concitoyens souhaitent éviter d’acheter de la viande halal. Après tout, c’est bien leur droit de consommateurs. Ce qui est nettement plus discutable, c’est le fait de demander l’interdiction pure et simple de la forme d’abattage selon le rite musulman (et juif d’ailleurs), et d’invoquer de surcroît le motif de la «souffrance animale» comme prétexte pour s’y opposer, dans le pays où des millions d’oies et de canards sont torturés chaque année pour produire le foie gras, fierté nationale que nous défendons becs et ongles à l’exportation comme si notre survie en dépendait. Être raciste, c’est déjà pas terrible, mais alors être raciste et hypocrite, c’est vraiment en-dessous de tout.
Mais le plus déplorable dans cette sordide affaire, c’est que l’UMP se soit embarquée avec délectation dans ce débat et ait joué la surenchère avec le FN, au lieu d’orienter les thèmes de la campagne sur les vrais défis, nettement plus importants, auxquels la France est confrontée depuis plusieurs années. Ces défis sont nombreux et exigent des réponses honnêtes et courageuses. Au lieu de cela, à l’approche du second tour, et des élections législatives, cette hallucinante course vers le fond de l’abîme moral et intellectuel entre l’UMP et le FN continue à une vitesse effrénée.
Je ne crois pas que cette stratégie du cynisme débridé et du populisme assumé s’avèrera payante pour le président sortant. Malgré son absence spectaculaire de scrupules pour racler les Fronts de tiroirs, j’ai l’impression très nette que l’électorat lepéniste se méfie des promesses que lui réitère un Nicolas Sarkozy aux abois. L’électorat frontiste est difficilement saisissable et sera probablement encore moins facile à récupérer. Il suffit, pour s’en convaincre, de superposer deux cartes de France: une carte du vote FN le 22 avril dernier et une de la population étrangère par département. La très faible corrélation entre les deux données est assez frappante, et est encore mise en évidence par cette analyse statistique, superficielle mais très intéressante, avec tout plein de droites de régression, sur un blog du journal Libération.
En courtisant de manière aussi éhontée l’électorat de Marine Le Pen, Sarkozy déshonore la droite républicaine, et ce probablement en pure perte. Il avait déjà complètement déshonoré la fonction présidentielle à mes yeux lors du scandale de l’EPAD, un épisode tellement grave que je suis étonné que le peuple lui ait permis de conserver son poste, et qu’il ait même une chance non négligeable d’être réélu dimanche. Et je ne parle même pas des nombreuses autres affaires en cours contre un candidat qui avait promis une «République ir-ré-pro-chable» en 2007.
En Allemagne, un Président de la République, si bon soit-il, se fait dégager pour bien moins que cela, alors qu’il n’est même pas élu par le peuple mais par un collège électoral. Sommes-nous des moutons, nous les Français? Allons-nous tolérer encore longtemps tant d’absurdités, tant de médiocrité à la tête de l’État? Combien de temps allons-nous encore nous accommoder de cette indigence morale et intellectuelle? Ne valons-nous pas mieux que cela? Si nous acceptons d’être gouvernés par la médiocrité et la bassesse (quelle que soit l’étiquette politique des gouvernants), l’avenir est sombre pour notre pays.
J’espère de tout cœur que l’alternance politique aura lieu dimanche prochain, et que les cinq années de l’ère sarkozyste seront vite consignées aux poubelles de l’histoire. Non, pas aux poubelles: au tas de fumier. Pour mieux fertiliser un avenirbobo-écolo où la nullité et la malhonnêteté ne se substitueront plus aux idées et au pragmatisme dont la France a grand besoin.
Économiquement, elle ne l’est pas. Ou alors je me trompe grossièrement. Les Français seraient-ils subitement prêts à adopter l’équivalent des réformes de l’Agenda 2010 de l’ancien chancelier (social-démocrate) Gerhard Schröder, avec son lot de mesures pragmatiques mais douloureuses sur les la libération du marché du travail, la diminution significative des retraites et le raccourcissement de l’allocation chômage? Seraient-ils d’avis à reculer l’âge de départ à la retraite à 67 ans? Auraient-ils soudainement pris en grippe le principe de redistribution des richesses et de réduction des inégalités? Souhaitent-ils majoritairement la disparition de l’ISF? Ont-ils soutenu des mesures comme le CPE? Refuseraient-ils massivement, comme leurs voisins suisses, deux semaines supplémentaires par an de congés payés afin de soutenir la compétitivité de leur économie, si on leur donnait la possibilité de décider par référendum? La réponse à toutes ces questions est non, évidemment, et les gouvernements de droite qui se succèdent ont énormément de mal à mettre en place les réformes de libéralisation économique qu’ils ne cessent promettre. Quant à la droite «couleur Marine», elle est, du point de vue économique, bien plus proche de l’extrême gauche qu’elle ne l’est de l’UMP. Le FN est anti-euro, anti-mondialisation, anti-libéral, étatiste, pour la protection sociale à la française, en opposition frontale avec l’UMP sur ces questions. Ainsi, les doux rêveurs en chemise brun clair qui prêchent tranquillement une alliance du parti présidentiel prônent en réalité une union contre-nature, un peu comme si un cadre supérieur de La Défense décidait de s’habiller en costard-cravate-rangers-batte de baseball si vous voulez.
Sur le plan social, ou plutôt, «sociétal», les Français sont de moins en moins conservateurs. La France fait partie d’un tout petit groupe de huit pays, sur les 34 membres de l’OCDE, où plus de la moitié des enfants naissent désormais hors-mariage. Que l’on trouve cela déplorable ou pas, c’est un fait avec lequel la plupart des Français s’accommodent parfaitement, contrairement aux pays anglo-saxons où l’augmentation du nombre d’“out-of-wedlock births” est observée et décrite avec beaucoup de préoccupation dans le discours public. À propos de mariage, environ 60% de nos concitoyens seraient favorables au mariage homosexuel, d’après plusieurs sondages récents. Nul doute que si la France n’était pas «très à droite», elle approuverait le susdit mariage à 99% et des brouettes. Quant au PACS, il ne se trouve plus grand monde pour le critiquer, au contraire. Bref, notre société est très éloignée du conservatisme social et religieux qui reste particulièrement influent aux États-Unis et dans de nombreux autres pays de tradition chrétienne, en Europe ou sur les autres continents, de ces valeurs traditionnelles qui rencontrent un écho favorable au Front National d’ailleurs.
Alors, en définitive, quelles sont ces fameuses «valeurs» de droite sur lesquelles le sarkozysme et le lepénisme sont hautement compatibles, et susceptibles de séduire un large public
Je ne trouve rien à redire au fait que de nombreux concitoyens souhaitent éviter d’acheter de la viande halal. Après tout, c’est bien leur droit de consommateurs. Ce qui est nettement plus discutable, c’est le fait de demander l’interdiction pure et simple de la forme d’abattage selon le rite musulman (et juif d’ailleurs), et d’invoquer de surcroît le motif de la «souffrance animale» comme prétexte pour s’y opposer, dans le pays où des millions d’oies et de canards sont torturés chaque année pour produire le foie gras, fierté nationale que nous défendons becs et ongles à l’exportation comme si notre survie en dépendait. Être raciste, c’est déjà pas terrible, mais alors être raciste et hypocrite, c’est vraiment en-dessous de tout.
Mais le plus déplorable dans cette sordide affaire, c’est que l’UMP se soit embarquée avec délectation dans ce débat et ait joué la surenchère avec le FN, au lieu d’orienter les thèmes de la campagne sur les vrais défis, nettement plus importants, auxquels la France est confrontée depuis plusieurs années. Ces défis sont nombreux et exigent des réponses honnêtes et courageuses. Au lieu de cela, à l’approche du second tour, et des élections législatives, cette hallucinante course vers le fond de l’abîme moral et intellectuel entre l’UMP et le FN continue à une vitesse effrénée.
Je ne crois pas que cette stratégie du cynisme débridé et du populisme assumé s’avèrera payante pour le président sortant. Malgré son absence spectaculaire de scrupules pour racler les Fronts de tiroirs, j’ai l’impression très nette que l’électorat lepéniste se méfie des promesses que lui réitère un Nicolas Sarkozy aux abois. L’électorat frontiste est difficilement saisissable et sera probablement encore moins facile à récupérer. Il suffit, pour s’en convaincre, de superposer deux cartes de France: une carte du vote FN le 22 avril dernier et une de la population étrangère par département. La très faible corrélation entre les deux données est assez frappante, et est encore mise en évidence par cette analyse statistique, superficielle mais très intéressante, avec tout plein de droites de régression, sur un blog du journal Libération.
Carte du vote en faveur de Marine Le Pen au 1er tour de la présidentielle de 2012 |
En courtisant de manière aussi éhontée l’électorat de Marine Le Pen, Sarkozy déshonore la droite républicaine, et ce probablement en pure perte. Il avait déjà complètement déshonoré la fonction présidentielle à mes yeux lors du scandale de l’EPAD, un épisode tellement grave que je suis étonné que le peuple lui ait permis de conserver son poste, et qu’il ait même une chance non négligeable d’être réélu dimanche. Et je ne parle même pas des nombreuses autres affaires en cours contre un candidat qui avait promis une «République ir-ré-pro-chable» en 2007.
En Allemagne, un Président de la République, si bon soit-il, se fait dégager pour bien moins que cela, alors qu’il n’est même pas élu par le peuple mais par un collège électoral. Sommes-nous des moutons, nous les Français? Allons-nous tolérer encore longtemps tant d’absurdités, tant de médiocrité à la tête de l’État? Combien de temps allons-nous encore nous accommoder de cette indigence morale et intellectuelle? Ne valons-nous pas mieux que cela? Si nous acceptons d’être gouvernés par la médiocrité et la bassesse (quelle que soit l’étiquette politique des gouvernants), l’avenir est sombre pour notre pays.
J’espère de tout cœur que l’alternance politique aura lieu dimanche prochain, et que les cinq années de l’ère sarkozyste seront vite consignées aux poubelles de l’histoire. Non, pas aux poubelles: au tas de fumier. Pour mieux fertiliser un avenir
Tellement et complètement d'accord avec toi!
RépondreSupprimerMerci pour ce soutien transatlantique et transcontinental Loïc. Elle est belle la fameuse "France d'après" hein ? En fait, je ne comprends vraiment pas comment et pourquoi nous n'avons pas dégagé ce président indigne après l'affaire de l'EPAD. C'est une insulte tellement grotesque à toutes les valeurs de ce pays, une gifle aux citoyens. Il aurait dû être viré ignominieusement de l'Élysée, une main devant, une main derrière...
SupprimerMerci pour cet article ! en voici un autre qui donne des détails sur le fameux Patrick Buisson et ça fait froid dans le dos de voir que c'est cet être à l'héritage fort douteux, qui dirige la campagne sarkozienne...
RépondreSupprimerhttp://tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120426.OBS7187/buisson-l-homme-qui-va-faire-perdre-sarkozy.html
Mais je t'en prie Gab, merci pour cette réaction et pour avoir remis le lien sur Patrick Buisson :-)
SupprimerJe l'ai lu cet article édifiant, et j'avais déjà mis un lien dans la phrase où je dis Un conseiller du président diagnostique: «La stratégie de [Patrick] Buisson était la bonne: la France est très à droite, et la gauche basse».
Mais tu as raison, mieux vaut l'avoir plutôt deux fois qu'une!
:-D
Bon 1er mai à toi! Ici il fait encore super beau et c'est la fête
Amen!! Tout ça m'attriste beaucoup. Et hélas, la France n'est pas la seul pays où l'extrême droite et la connerie et le racisme et l'hypocrisie prennent le dessus sur tout le reste...
RépondreSupprimerC'est clair que cette tendance s'observe dans beaucoup de pays, et même en Alberta à ce que j'ai lu sur ton blog. L'à-plat-ventrisme de Sarkozy vis à vis du FN pour gagner quelques voix convient bien au personnage. Mais sommes-nous obligés de trouver ça normal? Mais ça ce ne sont que des calculs politiciens, le pire de loin reste pour moi les scandales qui bafouent notre démocratie.
SupprimerOups la honte, j'avais pas fait gaffe ! Bon ben, voilà, mieux vaut deux fois qu'une en effet, pour en savoir plus sur ce maurrassien...
RépondreSupprimerSinon ben ouais, merci, bon 1 er mai à toi aussi, et puis j'espère que tu ne seras pas en danger si tu sors ! (J'ai lu et entendu, d'ailleurs en partie via ton blog, que le 1er mai à Berlin... ça ne rigole pas !)
C'est génial ce 1er mai! C'est comme la Fête de la Musique à Kreuzberg, on s'éclate, et puis on lit les journaux et ça parle d'émeutes dans tous les sens, genre à 3 rues de la où on était. Weird!
SupprimerPas mal le Chroniqueur Berliniquais :-)
RépondreSupprimerGénial!!!!!!
RépondreSupprimerMerci !
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord avec toi. Au delà de la droite ou de la gauche, il y a quand-même des limites à ne pas dépasser: un président doit rester digne et ne pas se moquer ouvertement de ses concitoyens. J'espère que tu as vu le clip de campagne de Sarkozy pour le deuxième tour, il est extrêmement choquant.
RépondreSupprimerNan, pas vu... c'est de l'histoire ancienne maintenant de toute façon, ouf ! J'ai pas eu le temps de suivre vraiment la campagne de l'entre-deux-tours, trop de boulot, trop de vacances :-)
SupprimerLe débat était intéressant, je l'ai suivi à l'hôtel, dans ton pays :-)
Espérons que le nouveau président sera à la hauteur, je n'ai rien suivi depuis 10 jours...