jeudi 23 décembre 2010

Introspection à la fête foraine

Il y a quelques semaines, à une époque lointaine où l'on pouvait encore se permettre de superposer moins de quatre couches de vêtements pour une expédition kamikaze au "Viv Bio-Markt" au coin de la rue, et où j'étais bien loin d'imaginer qu'un jour j'envisagerais le port de bottes plateaux façon drag-queen comme ultime recours pour ne plus m'enfoncer jusqu'à mi-mollet dans la neige là où auparavant se trouvaient des trottoirs (au fait, pour mémoire, c'est l'hiver depuis avant-hier seulement), je vous gratifiais d'une liste non exhaustive, et non définitive, des principes que j'ai reniés, bien à mon corps défendant, au cours de ces deux années presque et demi en ma qualité d'immigré / expat dans la métropole prussienne. Tiens, il faudra d'ailleurs qu'on m'explique un jour la différence entre immigré et expat, sur des critères un peu plus scientifiques qu'une peau basanée (oups), un accent turc, ainsi qu'une moustache ou un voile, ou le tout à la fois. Si j'ai bien compris, "immigré", c'est bon pour ces satanés Turcs qui parlent fort et ne-veulent-pas-s'intégrer. Expat, c'est pour ces Américains ou ces Australiens trop sympas qui parlent fort (car ils sont trop sympas) et ne voudraient surtout pas apprendre un mot d'allemand à part "zwei Bier bitte", enfin, ils voudraient bien mais ça demande un effort. Puisqu'on vous dit que ça n'a rien à voir.

Eh bien voilà, depuis cette époque mythologique où les pelouses étaient vertes, j'ai rechuté : j'ai encore renié un autre principe. Pas plus tard que cette semaine. En bon immigré modèle soucieux de s'intégrer dans son pays d'accueil et de ne pas s'attirer les foudres de Horst Seehofer (le ministre-président de Bavière, grand défenseur d'une certaine idée de l'Allemagne), je me suis rendu à la fête foraine. Un soir de décembre. Par -13°C. De mon plein gré de surcroît. J'ai trouvé le concept de fête foraine de Noël assez intéressant: il y a bien sûr un marché de Noël tout à fait normal, avec ses huttes en bois, ses Thüringer Bratwurst, son Glühwein, ses friandises, et juste à côté, des montagnes russes et tout plein d'autres manèges pour les petits et les grands. Grâce à ces derniers, ce marché de Noël attenant à l'hideux centre commercial Alexa est le seul à Berlin où on a, en guise de fond sonore, non pas l'omniprésente musique de Noël avec force cloches et grelots, mais des hurlements à la mort et des cris de goret. Ambiance.




Ah, en plus dans la vidéo ci-dessus, si vous faites bien attention vous verrez qu'il s'y passe un incident, peu avant la fin : un pickpocket est poursuivi par sa victime qui essaye de courir mais n'arrête pas de se vautrer piteusement dans la neige, tandis qu'une femme dit "Haltet ihn!" ("Arrêtez-le !"). Malheureusement, avec le vacarme ambiant, les badauds, y compris moi, se rendent compte bien trop tard de ce qui se passe pour pouvoir faire quoi que ce soit d'utile et tenter de rattraper l'agile malfaiteur, déjà bien loin, sur un sol particulièrement traître. Tragique. Noël à Alexa, c'est des poussées d'adrénaline non-stop.





Un sujet de réflexion intéressant est la dynamique du principe renié : en gros, comment cela se produit-il ? Ce n'est pas si simple quand on y pense. D'abord, il y a le moment où l'on prend conscience d'avoir un principe. Bien entendu, je n'ai pas grandi au soleil de Martinique en jurant "Jamais de la vie je n'irai à la fête foraine par -10°C, c'est promis Maman" ou bien "Dieu me garde de me promener un jour dans la rue avec une bière à la main". Ce sont des choses qu'on ne peut même pas concevoir avant de découvrir qu'il existe des lieux de perdition où ces pratiques décadentes ou saugrenues sont monnaie courante. Il y a donc le moment de découverte, puis vient l'incrédulité, et ensuite le rejet massif teinté de condescendance : "Quoi ? il font ça ? Ils sont complètement mabouls ces gens. Franchement, jamais je ne ferai un truc pareil". Mais à force de voir la bizarrerie en question, par exemple la fête foraine de l'Avent à Alexanderplatz qui ne désemplit pas, hiver après hiver, à force de ne lire dans les journaux aucune histoire de vague de décès tragiques sur la grande roue, imputables à l'hypothermie, on finit par s'y habituer et à ne plus y voir une hérésie. Et un jour arrive le moment fatidique où l'on propose (oui, l'idée venait de moi) à ses amis : 

– Tiens, et si on allait faire un tour de manège à Alexanderplatz ? 
– Oui mais il fait un peu froid quand même non ? 
– Ouais bien sûr mais s'il fait trop froid on ira se réfugier dans un café après avoir bu un bon Glühwein ou quatre sur place. De toute façon on porte tous six épaisseurs de vêtements donc on pourra survivre au moins 15 minutes dehors non ? 
– OK, super idée !

Et le tour est joué.

L'expérience de la fête foraine en elle-même n'a rien de si traumatisant malgré la température. Comme pour toute activité pour laquelle il est nécessaire de passer plus de deux minutes à l'extérieur, on n'a qu'à porter tous ses habits à la fois et tout se passe bien. En fait, on s'y est bien amusé, et ce n'est pas le froid qui nous en a chassés mais un concert imminent au Festsaal Kreuzberg. Et puis il y a bien sûr la satisfaction d'avoir fait quelque chose de nouveau et d'un peu fou quand même. High five, Janne !




JOYEUX NOËL À TOUS ! Et à très bientôt sur les Chroniques !

7 commentaires:

  1. Même à -10° on a envie de s'amuser et tu as bien raison... il est des situations qui nous font relativiser bien des a priori.
    En tout cas même - 10 cette fête donne envie...mais j'espérais une vidéo depuis l'une des machines! Tu ne t'y es pas risqué?
    J'espérais surtout une photo de tes bottes "plateau", so cut:)
    Un très bon Noël chroniqueur "intégré" et merci de nous faire partager tes palpitantes expériences...et bravo pour tes 43 post en 4 mois! un vrai plaisir!
    see you

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  2. Hello Laure, ouais ça aurait été le top une vidéo depuis la machine de la mort qui tourne dans tous les sens, mais c'était vraiment trop risqué et imagine-toi ce que c'est lorsqu'on porte des gants bien épais (indispensables à cause de la température) et qu'on est secoué de partout... Joyeux Noel à toi !

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  3. Bonne question posée la !
    Je pense qu'on utilise le mot expat (que je n'aime pas du tout d'ailleurs, la notion de patrie me donne la nausée) un peu à tort et à travers.
    J'ai jeté un œil du côté des synonymes (parce que la définition de base des deux termes, est selon moi, la même) et ça donne:
    Immigré : émigré, étranger, immigrant.
    Expatrié : banni, exilé, expulsé, réfugié.
    Étonnant non? Alors nous autres, on serait plus des immigrés du coup. Ça me va bien. Je suis étrangère ici, c’est une partie de mon identité et je le vis très bien. Mais tous les immigrés ne sont pas logés à la même enseigne, comme tu l’écris.
    Je ne prétendrai jamais savoir ce que c'est d'être "immigré" comme le sont certaines minorités brimées. Pourtant plutôt mate et de type « méditerranéen », je n'ai jamais subit de racisme parce qu'étant française on me considère autrement. C'est effectivement une énorme différence et c’est effectivement complètement injuste.
    Life is a bitch (enfin surtout la connerie humaine) et le racisme existe. Ce qui fait qu'il y aura toujours des gens pour différencier - à tort évidemment - les "bons" étrangers des « mauvais » étrangers…
    Si j’entends des médisances sur les étrangers et fait remarquer que j’en suis aussi, on me répond facilement « non mais toi c’est pas pareil… » (nb : pas besoin d’être en Allemagne pour ça).
    Bref.
    Ce n’est pas un message de Noël très positif je me rends compte… !
    Alors souhaitons un pas vers la paix des peuples et la tolérance, ça sera mieux 
    Bonnes fêtes !

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  4. Merci d'avoir remis les pendules à l'heure Mademoiselle K. J'étais loin d'imaginer qu'il y avait une définition aussi négative pour le mot "expatrié", c'est sûr qu'en général on l'utilise avec une acception tout à fait différente. Ca me dérange pas le moins du monde d'être un immigré mais je passe pas non plus mes journées à m'appesantir sur la question.
    :-)
    Je suis un étranger, point, ça me convient parfaitement. Il n'y a pas plus de racisme ici qu'à Paris, du genre basé simplement sur la couleur de peau, je pense que c'est plus subtil : la même personne de type "étranger" (quel qu'il soit) peut s'attirer beaucoup de sympathie ou de rejet en fonction de sa manière de parler, de s'habiller, son niveau perçu de richesse (hélas, hélas), etc. L'accent français est un atout considérable, usons-en et abusons-en !
    :-)
    Une seule conclusion s'impose : Frohe Weihnachten und guten Rutsch ins neue Jahr!

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  5. Que je n'aime pas ce mot "tolérance" !« cessez de combattre ce qu'on ne peut changer » disait Locke, bien connu des juristes. En réalité il n'y a rien à changer; il s'agit de vivre avec l'autre, les autres parce que nous sommes tous des êtres singuliers. Tolérer préjuge d'un rejet de l'autre ou d'un désaccord...tolérer présume une manière de voir les choses plus acceptable qu'une autre...pure question de morale!
    Chers expats, immigrés, étrangers et/ou intégrés "il n'est que trop facile de prouver que la tolérance conduit parfois tout droit à l'intolérable et que sur ce chemin là on est trop souvent mené par le bout du nez" (Romain Gary dans les cerfs-volants..on devrait lire tous ses ouvrages d'une très rare intelligence et si actuels... mais là je vous l'accorde c'est le jugement de valeur d'une fan... vous le tolérez?)
    see you chroniqueur

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  6. Bonjour Sophie,
    Intéressant point de vue.
    On peut aussi simplement comprendre "tolérance" comme "respect des opinions et de la liberté d'autrui, respect des différences" et là, rien ne découle d'un désaccord ou d'un rejet de l'autre, mais bien de simples différences (qui est un mot neutre à la base)
    Bonne année à tous en passant!

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  7. Hello Miss K!!

    Très bonne annéé 2011!
    très heureuse de discuter avec toi depuis Paris!! et en pause de travail et de galette !
    je rêverais de vivre à Berlin...j'y suis allée une fois et le souvenir est impérissable, ce, en dépit de la latitude!!!
    bizarrement ton post est assez révélateur... le respect est valable qque soit la chose que l'on fait à l'égard de l'autre quotidienement!mais l'évidence de l'acceptation l'est encore plus!
    après on aime ou pas; simple question d'affinité! on te forcer pas à aimer le jazz si t'es un efemme électro! mais rejeter qqun juste/sa couleur ou sa différence culturelle ou autre ce n'est pas envisageable, en tous cas ce n'est pas un élément discriminant, comme on tente de nous l'inculsuer au-delà et en deça du Rhin ou de la Spree! (selon ta préférence)
    à bientôt Pauline!!
    et belle année à toi berlinoise d'adoption (la chance!:))

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Un petit bonjour ?

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