mercredi 15 juin 2011

Papy fait de la résistance (à la justice)

Les lectrices informées que vous êtes, en plus d'avoir une taille de guêpe, n'ont pas manqué d'entendre parler de l'arrestation d'un dangereux criminel présumé après des années de cavale, un certain Ратко Младић (je trouve ça rigolo le cyrillique mais en vrai il s'appelle Ratko Mladić), sur qui pèsent des soupçons de massacres de civils innocents lors du siège sanglant et sadique de Sarajevo, et qui est accusé d'avoir ordonné la mise à mort de plusieurs milliers d'hommes désarmés, jeunes et vieux, valides comme infirmes, à Srebrenica. L'über-salaud en quelque sorte (la fine gâchette qui a tué la mère de Bambi, c'était encore lui!), une espèce de Ben Laden mais sans le sens du style vestimentaire, sans ce côté Iznogoud, la barbe rebelle au menton et le turban loufoque sur la tête. Un sinistre assassin qui n'a même pas un look perso immédiatement identifiable, ça fait passablement amateur, car tout le monde sait que les vrais serial-killers psychopathes se doivent de cultiver un look original, surtout lorsqu'ils se mêlent de politique, pour faciliter le culte de la personnalité. Malgré cet amateurisme évident, je suis sûr qu'encore aujourd'hui, et peut-être pour très longtemps encore, les mamans bosniaques, lorsqu'elles sont à cours de moyens pour discipliner leurs marmots turbulents, dégainent l'artillerie lourde et des «Si tu ne finis pas ta soupe de ćevapčići, Goran, on t'envoie demain en vacances chez Ratko Mladić!», une menace qui doit suffire à apprendre l'obéissance aux plus roués des garnements dans tous les Balkans.

Mladic superstar (photo: justice.blog.lemonde.fr)
Je ne dirai rien sur le fait que cet homme ait pu vivre en Serbie pendant plus de quinze ans avant d'être capturé dans un village paisible de 3000 âmes, à 80 km de Belgrade, je n'ai pas suivi la traque. Ce qui est remarquable, c'est que cinq jours après son arrestation, le croque-mitaine du peuple bosniaque était promptement envoyé aux Pays-Bas pour être jugé au Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, malgré ses véhémentes protestations, que l'on peut résumer ainsi : «C'est pas nous qu'on les a tués, ces enfoirés de muslims, ils se sont eux-mêmes jetés sur nos balles pour saboter nos exercices de tir à proximité de leur bled qui pue, et ils sont morts, ces cons ; et puis pour la mère de Bambi, j'ai mon permis de chasse en règle monsieur le Juge». On verra comment le tribunal jugera de la recevabilité de ces arguments. Ah, je ne vous avais pas dit? Aujourd'hui, c'est mercredi prise de tête sur ce blog...

Une famille heureuse avant sa rencontre fatale avec Mladic...
Donc, si on ne sait pas comment diable la Serbie a mis si longtemps à mettre la main au collet au criminel de guerre (présumé - respectons sa présomption d'innocence!) le plus recherché en Europe depuis des décennies, on ne peut néanmoins que se réjouir de la diligence avec laquelle il a été extradé pour répondre de ses crimes (présumés). Il faut dire qu'elle n'a pas vraiment le choix, la pauvre Serbie : démembrée et exsangue, bombardée et marginalisée, elle a compris qu'elle a tout intérêt à obéir aux sommations de ses puissants voisins si elle veut un jour retrouver sa place parmi les nations européennes fréquentables, et peut-être, peut-être, un jour devenir membre de l'UE, même si la route est longue.

Pourtant, dans la même UE, il est une nation tout à fait fréquentable, un membre fondateur de la CEE en réalité, qui s'en fiche royalement d'extrader ses criminels de guerre et de les livrer à la justice : l'Allemagne. Il est vrai que les affreux jojos qu'elle protège des foudres de la loi ne sont pas accusés de crimes aussi monstrueux que l'assassinat de la mère de Bambi, mais quand même... Il y a quelques mois, je faisais dans un billet une très courte allusion au SS Martin Sandberger, qui s'est paisiblement éteint à Stuttgart l'an dernier, à 98 ans, après cinquante ans d'une vie bien tranquille qui n'a guère été troublée par les ouvertures des archives détaillant ses crimes en Estonie, comme le résume fort bien cet article. Soit, soit, alors comment disais-je, déjà, à l'époque?
Ces derniers affreux d'un autre âge, qui n'ont pas eu le bon goût de trépasser pendant toutes ces décennies de bonheur amnésique, sont devenus des symboles un tantinet encombrants d'une époque révolue, et expient enfin leurs fautes et celles de feu leurs compagnons tortionnaires. Ha! C'est bien fait pour leur sale gueule. Z'avaient qu'à être plus futés et passer l'arme à gauche dignement et surtout discrètement, avant que le vent ne tourne (...)
Mon voisin le tueur, dans une
rue tranquille d'Ingolstadt,
en Bavière
Beaucoup blabla, comme à mon habitude, pour dire, en substance, que les Allemands sont devenus sympas et jugent et condamnent enfin les vieillards séniles qui furent nazis il y a 70 ans de cela. Eh bien, je me trompais grossièrement. L'histoire qui m'a fait bondir de mon confortable fauteuil vintage DDR dans mon salon de bobo, c'est l'affaire Faber. Klaas Carel Faber est un sacré loulou à peine connu des médias français à part L'Express. Pourtant, l'affaire n'est pas nouvelle : un nazi condamné à la perpétuité s'échappe d'une prison hollandaise en 1952, se réfugie en RFA et fait son trou en Bavière, dans la ville d'Ingolstadt. Il est assez vite localisé, et les Pays-Bas demandent dès 1954 à la RFA de bien vouloir livrer Herr Faber à la justice hollandaise afin qu'il purge sa peine de prison. L'Allemagne décline, arguant que le sieur Faber est un citoyen allemand et qu'elle n'extrade pas ses citoyens. Soit, soit. C'est moche, mais c'est comme ça, et l'Allemagne n'est pas le seul pays dans ce cas, loin s'en faut. Mais alors, là où le bas blesse, oui, j'ai bien dit le bas, car je porte des leggings abrasifs en laine de verre et ils me blessent parfois, en revanche, je ne porte pas de bât car je ne suis pas un âne ; là où le bas blesse, disais-je, c'est qu'un vif esprit tel que le vôtre, chers Lectrices, ne pourra s'empêcher de remarquer que Klaas Carel, ça ne fait pas très allemand, non? Eh oui, dans le mille! Klaas Carel Faber, 89 ans, est hollandais et a commis des crimes aux Pays-Bas, comme entre autres, fusiller par dizaines des prisonniers au camp de Westerbork, par lequel la famille d'Anne Frank a transité dans son voyage sans retour vers Bergen-Belsen, Theresienstadt et Auschwitz. Il a été reconnu coupable de ces crimes par la justice de son pays après la guerre, et condamné à mort, puis à la prison à perpétuité, toujours aux Pays-Bas. Ce n'est qu'après s'être échappé de prison et enfui en RFA, que M. Faber a obtenu la nationalité allemande... en vertu d'un décret sympatoche d'Hitler de 1943 qui accordait la nationalité allemande aux étrangers ayant servi chez les SS, et qui n'était pas encore abrogé plusieurs années après la guerre. C'est tellement beau ces petites clauses méconnues du droit du sang à l'allemande. Avis aux amateurs qui galèrent pour se faire naturaliser : un uniforme, une arme, un meurtre (ou cinquante, ou mille), et l'affaire est jouée! Notons au passage que les États-Unis, l'un des nombreux pays qui n'extradent pas leurs ressortissants, n'ont pas hésité, sans que l'idée ne leur soit suggérée par Hortefeux ou quelque autre membre de l'UMP, à déchoir John Demjanjuk de sa nationalité américaine, afin qu'il soit extradé... vers Munich et y être jugé, sur la foi de preuves bien plus minces. When there's a will, there's a way, n'est-ce pas. Mais peut-être est-ce précisément la volonté, ce qui manque à la justice bavaroise.

Nazi un jour, nazi toujours, Herr Faber.
J'avais vaguement envie de parler de cette histoire lorsque les médias ont timidement évoqué, il y a un mois, l'ultime fin de non recevoir que la Bavière a opposée aux Pays-Bas après trois demandes infructueuses dont un mandat d'arrêt, sur le cas Faber, qui restera libre et mourra tranquillement en Allemagne, sans être inquiété davantage. Ce sont l'arrestation et l'extradition éclair de Mladić par la Serbie qui m'ont décidé. On a d'un côté un petit pays qui était encore une dictature semi-fasciste en guerre il y a dix ans à peine, et qui donne des gages au monde pour que justice soit rendue. On imagine pourtant l'humiliation que cela doit représenter pour une grande partie de la population serbe, au nationalisme encore exacerbé, et chez qui les rancœurs de la défaite sont encore à vif. Et de l'autre côté, on a la Bavière qui protège sans vergogne des nazis étrangers ayant acquis la nationalité allemande pour services rendus aux SS, et roule tranquillement sur les corps des victimes de ce régime totalitaire.


Je trouve cette histoire monstrueuse, c'est une vraie honte pour l'Allemagne. Il était temps que je parle de cette tragédie qui me donne des hauts-le-cœur depuis des semaines. Qui sait, peut-être que le ministre bavarois de la Justice et de la Réhabilitation du Nazisme lit Les Chroniques Berliniquaises. Et il se décidera dans la foulée à cesser d'être complice de la barbarie fasciste. Ou pas.


Papy facho: dîner élégant chez un juge bavarois

5 commentaires:

  1. Wow, quelle histoire! Je n'en ai jamais entendu parler, et même là, je ne sais pas si c'est à moi que tu t'adresses vu que tu commences ton billet en évoquant tes lectrices à tailles de guêpes...
    On se demande quand-même quel est l'intérêt de l'Allemagne dans cette histoire, et pourquoi elle protège ce monsieur!

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  2. Mais si, je m'adresse à toi aussi, la grossesse n'est pas un obstacle pour être une lectrice à la taille de guêpe !
    :-)

    Ici, c'est surtout la Bavière qui a le mauvais rôle, puisque la ministre fédérale de la justice a mollement tenté de faire pression sur la Bavière pour qu'elle "explore les solutions possibles" (l'emprisonner en Allemagne par exemple, etc), la Bavière a dit "Nein". Mais la société allemande, les journalistes, pourraient se mobiliser pour faire cesser ce scandale. Je sais pas pourquoi les juges font preuve d'une telle mauvaise volonté, surtout à l'époque où on nous bassinait autant avec le procès de Demjanjuk, un pauvre prisonnier ukrainien à qui on avait donné le choix entre se faire zigouiller et aider à zigouiller les autres prisonniers, et qui s'est acquitté de la tâche par instinct de survie...

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  3. "Donc, si on ne sait pas comment diable la Serbie a mis si longtemps à mettre la main au collet au criminel de guerre" => de la même façon que le Pakistan n'a pas réussi à trouver ben laden si tu vois ce que je veux dire.

    A part ça, pas grand chose à dire sur l'article sauf qu'il est très intéressant (comme souvent! :))

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  4. "Donc, si on ne sait pas comment diable la Serbie a mis si longtemps à mettre la main au collet au criminel de guerre" => de la même façon que le Pakistan n'a pas réussi à trouver ben laden si tu vois ce que je veux dire.

    A part ça, pas grand chose à dire sur l'article sauf qu'il est très intéressant (comme souvent! :))

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  5. Bah oui, c'est sûr, pour plein de raisons il ne fait pas bon chopper certains criminels emblématiques. En plus, le Pakistan n'a pas de perspective d'adhésion à l'UE à la clé (quel dommage hein !!!) et puis je crois qu'il n'avait jamais été question de capturer Ben Laden pour l'extrader et le juger...

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Un petit bonjour ?

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