Cette semaine, pour la première fois en Allemagne et après trois années passées à éviter obstinément ce plat à l’aspect pas très catholique, trois années pendant lesquelles je me résignais systématiquement à sauter le déjeuner où à me contenter d’un dessert lorsque ledit plat était au menu à la Kantine, j’ai fini par manger des «Klöße». Les «Thüringer Klöße» sont ces grosses boules blanchâtres que les Allemands dévorent goulûment avec leurs viandes en sauce, et dont l’apparence laisse imaginer une consistance bourrative à souhait et une saveur affreusement fadasse, des préjugés qui suffisent à tenir à distance pendant longtemps l’immigré français moyen au palais réputé délicat. Je ne sais pas comment cela se passe pour vous, chères Lectrices affamées en terre prussienne, mais pour ma part, quelques mauvaises expériences initiales m’ont très vite forcé à redoubler de vigilance à l’égard des spécialités teutonnes pur jus et pure sauce, et le bilan après trois années berlinoises (j’ai franchi le cap cette semaine sans le crier sur les toits), c’est que l’Allemagne ne m’a pas conquis par le ventre!
Rinderbraten (rôti de boeuf) et Thüringer Klöße |
Mais revenons à nos Klöße. Pour les non germanistes, Klöße est le pluriel de Kloß, et comme cette espèce de lettre «bêta» toute chelou est en fait un -SS- stylisé, ça se prononce «kloooss», et au pluriel «kleuuusseu», et ce nom veut dire, aha, je vous le donne en mille, «boulette», dit de manière archaïque. Fin de la petite leçon.
Dans votre assiette, les Klöße s’apparentent à deux lourdes boules de mie de pain roulées à la main, qui surnagent, miracle de la poussée d’Archimède, dans le demi-litre de sauce dans lequel elles sont habituellement servies. Si elles parviennent à flotter, c’est parce que la sauce elle-même n’est pas des plus légères... rappelez-vous vos cours de physique sur la densité des liquides, et tout ça. Vous attaquez un Kloß au couteau et à la fourchette: bien évidemment, il faut les couper en petits morceaux, vous n’allez tout de même pas vous en fourrer un tout entier dans le gosier et mourir, là, bêtement, étouffé par une indigeste boulette allemande alors que vous aviez toute la vie devant vous et encore des articles de blog à finir? Donc, disais-je: vous l’attaquez au couteau et à la fourchette, et le Kloß résiste, bien entendu. Il n’allait pas se laisser faire comme une vulgaire huître sans défense, le bougre. Le Kloß meurt, mais ne se rend pas. Sa consistance de pâte gluante et élastique vous oblige à redoubler d’efforts. Prenez garde, malheureux! Vous avez failli déverser 38 centilitres de sauce brune et fumante sur votre chemise et votre pantalon retirés du pressing ce matin-même! Au bout de quelques secondes de lutte silencieuse mais acharnée, vous avez créé une brèche, puis finalement, découpé l’aliment retors. Vous l’immergez alors dans la sauce (prenez garde à ne pas perdre votre fourchette dans la profondeur de jus) pour lui donner du goût, vous portez à vos lèvres... Attention! La sauce dégouline abondamment de votre fourchette. Vite, dans la bouche... Gloup!
Ça y est, vous avez ingéré le premier morceau de Thüringer Kloß de votre vie! C’est une étape très importante dans votre lent processus d’intégration en terre teutonne. Vous en êtes tout à fait conscient, et visiblement, l’émotion vous noue la gorge. Ou alors, ou alors... un affreux doute vous assaille. Est-ce l’émotion, ou un gros grumeau mal dégrossi qui menace de vous obstruer la trachée pour de bon et de vous expédier zackzack dans l’au-delà? Avant de suffoquer et de tomber en syncope, la langue pendante, devant tous vos collègues, vous déglutissez d’urgence une demi-douzaine de fois en vous massant la pomme d’Adam. Ouf, l’alerte est passée, et oui, cette fois c’est la bonne: vous l’avez fait! Alors, impressions à chaud, monsieur l’athlète de l’œsophage? Eh bien ça a la saveur de mie de pain, et la consistance de mie de pain mélangée à de la pâte à modeler... Pas terrible, mais dans le fond il y a pire (sans doute).
Mon ami Wicky Pedia, qui est incollable sur tout, me dit qu’en fait, il n’y a pas de pain dans les Klöße, rien que de la pomme de terre râpée: deux tiers de pomme de terre crue et un tiers de pomme de terre bouillie à mort. Puis on triture le tout et on fait tout plein de trucs que je n’ai pas vraiment compris, et à la fin on fait bouillir tout ça à l’eau. Alors je ne sais pas si les Klöße de la cantine étaient de moins bonne qualité et moins savoureuses que les boulettes thuringeoises authentiques, mais au goût, c’était vraiment de la mie de pain et du sel (et beaucoup de sauce), en plus lourd.
Les Allemands, pour dire «C’est clair comme de l’eau de roche», disent «C’est clair comme du bouillon de Klöße», et c’est le plat traditionnel du dimanche, paraît-il, comme la blanquette de veau en France ou le blaff de poisson aux Antilles. Bref, le truc aussi typiquement allemand que les Birkenstock. Mais pour que je m’inflige ça chaque dimanche, il va falloir me passer sur le corps!
Allez, pour être un minimum honnête, il faudrait que je vous parle, un de ces quatre, des plats typiquement allemands que j’aime. Il y en a bien quelques uns tout de même! Déjà, le Rinderbraten qu’accompagnaient les Klöße était tout à fait correct...
Autre constante des cantines berlinoises: le Currywurst du vendredi bien sûr! |
Une folle rumeur qui court en ce moment prétend qu’on aura du beau temps ce weekend à Berlin! Du beau temps en plein mois d’août?? Vraiment, on aura tout vu: le climat déconne de plus en plus!
On dirait comme ça qu'il n'y a aucun commentaire et que mon histoire de Klöße a laissé tout le monde de marbre... que nenni! Cette fois-ci, les lecteurs et lectrices se sont exprimés sur la page Facebook du blog... rien ne vous empêche d'y faire un tour!
RépondreSupprimerEt moi j'avais laissé un commentaire mais il n'est pas passé, et je ne me souviens pas de ce que j'avais écrit, donc voilà, ce sera pour une autre fois!
RépondreSupprimerMerci quand même pour ce petit message! Rha là là c'est lourd ces commentaires qui passent pas! Et dire que moi je me morfonds à attendre des réactions qui ne viennent pas. Je vais finir par me plaindre auprès de Google si ça continue!
RépondreSupprimer;-)
Bonne semaine!
Ben quoi c'est bon les Klöße! Moi j'aime bien... J'ai pas trop eu de problème à m'acclimater à la nourriture allemande, sauf à certains asaisonnements trop sucrés ou trop gras à mon goût. Autrement ça va. Peut etre parce que je suis Chti et que mes grands-parents cuisinent polonais-français... va savoir :-) Je retroune sur tes pages! Je renviendrai souvent
RépondreSupprimerGloups! Allez, je vais avouer que j'ai un énorme faible pour les Spätzle, et que j'aime bien le Kasslerbraten aussi... À part cela, dur dur ! Heureusement, il reste une offre imbattable en kebabs et autres shawarmas!
RépondreSupprimer:-)
Bienvenue et merci pour ton commentaire!
J'aime les Klösse! J'en ai même ramené d'Allemagne et ça se marie bien avec des boeufs bourguignons.
RépondreSupprimerC'est très bien que tu aies sauté le pas. Tu te germanise là. Et en plus ça nous permet de lire un chouette article. :D
Ah bah ça alors ! Mais tu es allemande ?????????? Avoue !! :-)
RépondreSupprimerEn fait, comme je disais dans l'article (je crois), justement c'est un accompagnement pour plats pur sauce, comme un bœuf bourguignon par exemple :-)
Mais je t'arrête tout de suite, de là à insinuer que je me germanise parce que j'ai mangé des Klöße, il y a un pas que tu as franchi :-) Ventre affamé n'a point d'oreilles comme on dit, donc je nie toute accusation de germanisation !
:-)