Vous connaissez sûrement l’histoire, chères Lectrices, curieuses de tout et informées comme vous l’êtes. Par une froide journée de janvier, au plus fort de l’hiver canadien, un commissaire de police de Toronto (allez, un peu de name-dropping que diable: il s’appelait Michael Sanguinetti) apprenait la vie à un groupe d’étudiant(e)s en fac de droit et leur prodiguait bienveillamment quelques conseils de bon aloi pour les aider à veiller à leur sécurité personnelle dans un monde hostile et plein de dangers.
“Écoutez, on ne va pas tourner autour du pot pendant 107 ans, pérora le chef-poulet avec sagacité devant un parterre acquis à son autorité. Je ne suis pas censé m’exprimer ainsi, à ce qu’on m’a déjà dit, mais franchement, les femmes devraient éviter de s’habiller comme des salopes afin de ne pas s’attirer d’ennuis.”
L’histoire ne nous dit pas combien d’étudiantes étaient fringuées comme des pioutes dans l’assistance, mais on peut subodorer, sans trop prendre de risques, qu’en plein mois de janvier en Ontario, l’étudiante moyenne se pointe en amphi, chastement vêtue d’un string léopard et avec deux petits triangles de tissu qui cachent pudiquement ses tétons pris de roideur dans le frimas hivernal. Normal quoi... Sans oublier bien sûr un bonnet, des moufles et des Moonboots tout de même, pour les grandes frileuses, les jours où le mercure s’effondre pour de bon. Quoi qu’il en soit, le commissaire Sanguinetti, magnifique spécimen de «violeur compréhensif» (tout compte fait, ça n’a rien de nouveau et ça ne vient pas de sortir), passera donc à la postérité pour avoir déclenché un torrent de protestations que personne n’avait vu venir, et pour être à l’origine, bien contre son gré, d’un nouveau sport qui fait fureur dans toutes les capitales à travers le monde. Ainsi, après la randoboue des rivages venteux de la Mer du Nord, voici la randopouffe, dernière lubie à la mode dans nos impitoyables jungles urbaines. Et aussi sûrement que le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas, un aphorisme plein de sagesse prononcé devant trois pèlerins au Canada a déclenché, ce samedi, un défilé de bas résilles et de seins nus dans les rues de Berlin.
Un petit groupe de SlutWalkeuses, en route vers le défilé, croise bruyamment le chemin de votre dévoué chroniqueur médusé, samedi midi, dans les rues de Friedrichshain. |
Bref, en un mot comme en cent, la «marche des Salopes», la SlutWalk comme on l’appelle désormais dans le monde entier, a déferlé massivement sur les rives de la Spree ce samedi! Enfin, «déferlé massivement» est peut-être une légère exagération, n’allez pas vous imaginer une marée de blondes Walkyries en petite tenue envahissant la capitale d’un pas conquérant et toisant furieusement chaque mâle qu’elles rencontraient sur leur passage: «elles» n’étaient, selon la presse, pas plus de 1.800 à arpenter le pavé, dans des tenues souvent délibérément provocantes. Une paille, quand on mesure cela aux centaines de milliers de gens qui se réunissent pour assister au «CSD» (la Gay Pride version allemande, un spectacle que l’on vient admirer en famille à Berlin) ou au Karneval der Kulturen à la Pentecôte. Le succès a donc été en demi-teinte pour les Sluts berlinoises en si l’on se contente de regarder les chiffres, mais l’opération fut en fait une réussite éclatante pour le mouvement au vu de la couverture médiatique, intense et globalement favorable, dont les manifestantes ont bénéficié, alors qu’il y avait tout de même un concurrent de taille pour occuper l’espace médiatique en ce samedi 13 août, avec la commémoration de la construction du Mur de Berlin, débutée exactement 50 ans plus tôt. Et elle s’est bien régalée, la presse, il n’y a pas à dire! Je décerne ma palme perso au tabloïd Berliner Kurier pour son diaporama tout en nuances intitulé Schlampenalarm in Berlin, soit dans notre belle langue, «Alerte aux salopes à Berlin». Gloups! Allez, je leur pique une photo de leur article, histoire de donner le ton: Berlin restera toujours Berlin!
Une participante berlinoise présente en exclusivité la première robe de mariée complètement invisible Made in Hogwarts |
Ayant un programme bien rempli pour ce samedi où le soleil brillait enfin généreusement, je ne les ai pas suivies et les ai laissées s’éloigner, le cœur lourd. Il paraît que c’était sympa. Mais maintenant, alors que j’écris ces lignes, une question me turlupine: pourquoi ces SlutWalks simultanées à Berlin, à Munich et Hambourg? Certes, le viol est un problème universel et doit être combattu partout. Mais au pays où le naturisme, désigné sous le vocable apaisant de Freikörperkultur («la culture du corps libre»), a pignon sur rue, et où chacune semble avoir la liberté de se fringuer (ou pas) absolument bon lui semble et de bronzer nue au parc en pleine ville si cela lui chante, je ne suis pas sûr que les Allemandes soient vraiment concernées au premier chef par cette saillie malavisée du commissaire Sanguinetti, qui a mis involontairement le feu aux poudres et n’a cessé par la suite de battre sa coulpe et d’implorer pardon aux femmes, en se flagellant, pieds nus dans la crotte, chemise de crin sur les épaules.
Qui a dit que la Berlinoise n'était pas sexy, hein? À la rigueur, elle n'a pas assez vu le soleil cet été... |
Peut-être certaines me contrediront-elles sur ce point, mais quoi qu’il en soit, remercions encore Michael Sanguinetti: jamais jusqu’ici la parole d’un seul homme n’avait précipité des milliers de femmes en colère, et à moitié nues, dans les rues du monde entier. Total respect, monsieur le commissaire!
j'adore Berlin pour ça en effet; si t'es en solo, au moins t'es pas emmerdée qque soit ta tenue..
RépondreSupprimerJe crois même que c'est un point ++++.
oui toutes les filles, même celles qui y vivent n'attendent pas majoritairement (oui j'insiste!!) à se faire draguées...par des Allemands! restons réalistes quand même!contrairement à ce que tu laisses entendre à partir d'un échantillonage, pas forcément significatif...
Ce qui semble plus plausible, c'est que tu as de drôles d'amies! et/ou qu'elles doivent être hyper complexées et/ou avoir un ego surdimensionné et /ou être irrésistiblement canons et/ou qu'elles refusent de comprendre qu'elles ne peuvent pas plaire à tout le monde?
il a bon dos le pauvre mâle allemand et puis c'est tout à son honneur de snober:-)
quant aux slut walkers...elles interpellent les féministes plus classiques; je ne suis pas sûre que l'effronterie dont elles font preuve serve la cause défendue
si ce n'est d'éveiller encore plus l'animalité du mal..enfin du mâle je voulais écrire.
elles pourraient faire dans la pub Axe..
Commentaire passionnant, chère Anonyme (je dis "chère" car la 1ère phrase laisse supposer que c'est l'accord approprié à faire...). Je ne me suis pas basé sur un échantillonnage perso, à part mes 2 copines israéliennes, mais sur des articles parus aux Inrocks et à Rue89. Après, bien sûr, il est permis de douter du sérieux des articles en question, mais ils corroboraient amplement la perception qui semble faire consensus chez les Français et autres étrangers vivant ici: côté séduction, ils y a nous et eux / elles, très clairement. Après, bien sûr, le débat est limite hors-sujet puisque la séduction et le viol n'ont absolument rien à voir évidemment, d'ailleurs si on devait faire un profil type du violeur je suis sûr qu'on trouverait que le violeur n'est pas un dragueur épanoui, plutôt une espèce de prédateur malade.
RépondreSupprimerJe suis tout à fait de ton avis que la cause féministe n'est pas forcément bien défendue par ce type de manifestations outrancières. J'ai lu que les initiatrices canadiennes de la première SlutWalk, en avril, avaient insisté pour que les participantes soient habillées de manière totalement ordinaire pour montrer que c'est la femme de tous les jours qui est victime de viols. Malheureusement, vu qu'elles ont fait ce choix discutable lui aussi pour nommer leur mouvement, les choses se sont un peu emballées et elles ont perdu le contrôle de leur bébé. C'est comme ça.
lol, je crois que tu as en effet des petits pbs d'accord et de genre en ce moment...un flo peut en cacher un autre tout comme un(e) anonyme...l'accord ou le genre m'importe peu en tout cas.
RépondreSupprimerje ne remets pas en cause ta perception, je voulais juste dire que ce désintérêt de l'homme allemand est aussi connu que la tchat française ou le machisme italien...( une fois n'est pas coutume) c'est un bon cliché effectif et l'exilée sait d'avance à quoi sattendre..et puis je le répète, je ne crois pas qu'une majorité d'exilées soit sensible au teuton et attende son attention intime! (hormis pê celles qui viennent de Tel-Aviv, ou des pays méditérranéens en gl)
En revanche, la frontière entre le viol et la séduction est sans doute plus infime qu'on le pense...une certaine affaire déesse-cat la met assez bien en exergue il me semble; attendons son épilogue pour en savoir un peu plus sur la question.!
PS: j'ai un peu de mal avec les emphases; anonyme c'est très bien aussi, voire mieux, chroniqueur.
l'échange ne perdra pas en respect, t'inquiètes
Soit, laissons donc tomber les emphases puisque telle es ta volonté, Anonyme. L'ennui c'est que j'ai tendance à exprimer de la gratitude de cette manière envers les Lectrices qui daignent donner leur avis sur mes laborieux écrits... je ferai au mieux à l'avenir, et puis me dispenser d'adjectifs est peut-être la clé pour éviter de mettre les pieds dans le plat, n'est-ce pas... Tu m'as bien eu sur Flo, j'étais à mille lieues de me douter d'être dans le faux :-) une vigilance de tous les instants est requise :-)
RépondreSupprimerMerci donc pour tes réactions très réfléchies sur la question, Lectrice Anonyme. Je crois, pour avoir parlé avec un bon paquet d'exilées, qu'elles savaient plus ou moins à quoi s'attendre mais se disaient inconsciemment "avec moi ça va être différent, je saurai leur faire tourner la tête", pour après se retrouver le bec dans l'eau... en tout cas celles qui sont sensibles à leurs charmes. Pour les exilés, la chose est un peu plus facile je dois dire!
Bonne nuit!
Bah moi je dis les Allemands draguent pas assez. J'ai pas dit violez, j'ai dit draguer, genre t'offrir un verre et te tchatter cinq minutes, comme si tu étais une fille.
RépondreSupprimerJe dis ça, je dis rien.
Ah bon, t'as pas dit "violer", t'es sûre??? LOL :-)
RépondreSupprimerEn tout cas merci d'être venue à la rescousse! Tiens ça me rappelle une anecdote qui m'est arrivée aujourd'hui, une histoire de guêpe et de collègue trop belle. Tiens, plutôt que de la raconter en commentaire, je vais en faire un billet :-)