Un dimanche soir dans les rues de Schöneberg. Cette mi-janvier prussienne se fait plutôt clémente. Point de blizzard sibérien, et pourtant les larges avenues, balayées de bourrasques fraîches et crachineuses, sont vidées de leurs piétons. Normal, car les humains, pas fous, préfèrent le confort douillet de leur salon à la caresse humide de l’hiver sur leur épiderme qui se hérisse en guise de protestation, à ses doigts visqueux qui se glissent sous tous les replis des vêtements, à son haleine cruelle sur leur nuque et les oreilles. Et puis, c’est dimanche soir après tout. Il y a Tatort à la télé : c’est plus sympa que de marcher sous la pluie. Ou pas.
Même les péripatéticiennes de la Kurfürstenstraße, fidèles d’entre les fidèles du pavé de Schöneberg, sont aux abonnés absents ce soir. Serait-ce parce que leurs jupes en skaï ne les protègent pas suffisamment de la bruine ? Ou peut-être parce qu’elles observent scrupuleusement le repos dominical, et communient avec le reste de la nation devant la série policière du dimanche soir ? Je n’ai pas la réponse à cette question à 350 € (c’est le prix de la passe chez les concurrentes de l’Oranienburger Straße [je connais la grille des tarifs pour avoir poliment posé la question à une professionnelle (avec des amis de passage et après avoir bu un verre ou dix-sept [bien sûr nous n’étions pas du tout intéressés, c’était par simple curiosité (et uniquement pour la science [mais il paraît que Kurfürstenstraße est plus cheap (en tout cas, à vue de nez, c’est plus glauque et moins bien fréquenté comme secteur [d’ailleurs notre interlocutrice avait qualifié l’Oranienburger Straße d’Adelstraße (ou «rue noble» [alors avis aux amateurs])])])])]). Un seul établissement semble ouvert, et avertit bruyamment le rare promeneur, toutes lumières hurlantes, que les habitués trouveront ici de quoi se satisfaire : c’est le L.S.D., qui occupe tout un pâté de maisons et rehausse son environnement gris et terne de ses gaies couleurs psychédéliques. L.S.D. comme «Love. Sex. Dreams.», c’est sacrément prometteur, n’est-ce pas ? Avis aux cœurs meurtris et aux âmes en peine de la capitale : de l’amour, vous en trouverez à en revendre à l’angle de la Kurfürstenstraße et de la Potsdamer Straße. C’est bon à savoir !
Deux kilomètres plus loin, la palette de couleurs a changé : les néons verts du ciné Odeon se reflètent sur les flaques d’eau et égayent la morosité ambiante. Au programme ce soir : la nouvelle version américaine du premier volet de la série Millénium, Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes, ou en allemand, Verblendung («Aveuglement»). J’ai constaté que les Teutons ont ce don étrange de donner systématiquement des noms pourris aux œuvres étrangères. C’est plus fort qu’eux.
Ne vous y méprenez pas : malgré le titre du film affiché en allemand, le Kino Odeon, situé dans l’ancien secteur américain de Berlin, projette systématiquement les films en version originale anglaise depuis les années 1980, à une époque où les bandes originales étaient difficiles à obtenir. Encore à ce jour, il fait partie des rares cinémas de la capitale teutonne où on est sûr d’avoir de la VO à tous les coups. Un autre intérêt de ce ciné d’une salle, c’est qu’il a conservé son charme désuet d’avant l’époque des multiplexes. À l’entrée, une curieuse guichetière en carton, installée derrière son comptoir purement décoratif, accueille les visiteurs de son regard figé. Étrange délire, qui pourrait bien être un hommage... mais s’il y a une histoire secrète, ce n’est pas sur ces pages que vous l’apprendrez.
Mais la grande attraction du Kino Odeon (bien sûr, à part les films [en VO depuis 1985 (ah mince je vous l’ai déjà dit, je radote [vieillesse, quand tu nous tiens (bon allez j’arrête)])]), c’est le mur des anniversaires du mois ! Chaque mois, das Odeon-Team félicite les stars, vivantes ou mortes, qui fêtent (ou pourraient fêter [si elles étaient vivantes (non sérieux j’arrête, promis)]) leur anniversaire pendant le mois en cours. Il y a certainement un biais germano-américain, sans surprise, ainsi que de nombreux oublis. Je ne m’étonne pas de ne pas avoir vu les noms de Pascal Obispo, de Dalida ou de Justin Timberlake, ni celui de Herrmann Goering, qui ferait peut-être un peu désordre, mais quelques célébrités intemporelles et mondialement connues manquent cruellement à l’appel, comme Roger Vadim, Mozart, Youssef Chahine ou Isaac Asimov. Sans parler de Clara Morgane. Et ça c’est bien dommage.
Vous avez vu, sur la photo ? Ils vendent même de l’Orangina ! Voilà qui nous change très agréablement de la sempiternelle «Bionade Holunder».
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Quelques stars honorées par le personnel du Kino Odeon en ce mois de janvier : Elvis, Bridget Fonda, Tom Selleck, Mel Gibson, Mohamed Ali, Nastasja Kinski, David Lynch, Humphrey Bogart, Faye Dunaway, Ernst Lubitsch, Kevin Costner, Victoria Principal, et tout de même un paquet d’autres, dont plein d’Allemands dont je n’avais jamais entendu le nom.
Puis, une fois finie la bouteille d’orangina et admirées toutes les photos glamour, il est temps de passer dans la salle pour le début de la séance.
Kino Odeon
Hauptstraße 116
Berlin Schöneberg
J'aime bien la guichetière en carton.
RépondreSupprimerUne impressionante maitrise de la parenthese. J'ai controle bien attentivement et il n'en manque aucune. Digne d'un bon mathematicien ;)
RépondreSupprimer@ ALAIN - n'est-ce pas ? ils sont fous ces Teutons !
RépondreSupprimer@ sdrapeau - eh oui, j'ai mes petits côtés perfectionnistes et geek moi aussi hein !!! Et maintenant que je sais que certains font attention à ce genre de détail, je vais redoubler de vigilance ;-)
Bon c'est super relou ce nouveau formulaire de commentaires, j'arrive pas à répondre de manière individuelle à vos commentaires, pourtant c'était soi-disant l'intérêt de cette innovation...