dimanche 29 janvier 2012

Dernier samedi soir à Prenzlauer Berg (la fermeture du KDR)

Samedi soir sur la Pappelallee. Le Klub der Republik, icône des nuits de Prenzlauer Berg, célèbre, entre autres mais pas que, pour ses soirées «Girls Republik», où votre dévoué chroniqueur n’était pas forcément le bienvenu organise en cette fin janvier dix soirées consécutives d’Abrissparty, ou encore de «soirées de démolition», pour un grand feu d’artifice final. Et pour cause : le 1er février, après deux ans de lutte contre le nouveau propriétaire des lieux, l’établissement fermera définitivement ses portes, et sa boule à facettes sera délogée de son poste sans cérémonie, dans un grand fracas pas vraiment musical, par une autre boule, nettement plus massive celle-là : la boule de la grue de démolition. La guerre des boules, en quelque sorte. Boule de verre contre boule de fer, allez savoir pourquoi, c’est presque toujours la même qui gagne.

Il règne toujours une certaine moiteur à l'intérieur du KdR... Merci à Hélène pour l'idée de photo !


C’est sûr que pour l’Abrissparty, les organisateurs et les videurs à l’entrée sont moins regardants sur la clientèle admise dans l’établissement : cette fois, tout le monde est le bienvenu, et pas que les filles d’un certain bord ! Ceci étant dit, une seule soirée m’a largement suffi à inhaler ma dose annuelle de fumée et à imprégner mes habits d’odeur de clope pour le reste de l’année : je me suis donc contenté de visiter le Klub der Republik une seule fois sur son lit de mort. Il se pourrait même que j’aie versé une larme. L’atmosphère saturée d’émanations toxiques et et de fumées irritantes y a peut-être été pour quelque chose. À part cela, l’ambiance était bonne. Mises à part les scènes de foules éplorées rappelant les funérailles de l’autocrate nord-coréen (à cause de la fumée bien sûr), les noctambules berlinois semblaient passer un samedi soir comme un autre dans un club comme un autre de la capitale. Seules des banderoles, sur la façade, rappelaient les passants à la réalité de la disparition prochaine du Klub. À l’intérieur, l’insouciance était de mise, la musique continuant de jouer, au mépris de l’adversité, jusqu’à la dernière minute, comme sur le Titanic.

«Début de la démolition le 1er février 2012». Au-dessus, le message sur la grande banderole énonce les griefs :
«Lorsque la dernière copropriété sera construite, la dernière discothèque démolie, le dernier espace libre bétonné, alors vous vous apercevrez que vous avez fait de Prenzlauer Berg une réplique de la petite ville que vous aviez fuie»  

Quelle structure remplacera le Klub der Republik à l’emplacement qu’il occupe depuis 2002 et encore jusqu’à mercredi ? Des appartements flambant neufs, parbleu ! Et qui donc les achètera ? On ne le sait pas encore précisément mais, comme l’explique cet article de la Berliner Zeitung, les acheteurs à venir ne seront peut-être pas complètement insensibles à l’argumentaire de vente du promoteur P&P GmbH, qui vante en ces termes l’immeuble résidentiel qui s’élèvera bientôt au numéro 81 de la Pappelallee et son voisinage immédiat : «au cœur d’un quartier trépidant de vie, terre d’élection de photographes et stylistes, jouxtant la maison d’édition Suhrkamp, pile en face du Ballhaus Ost, et à proximité des bars, restaurants et clubs les plus tendance [...] Plus Berlin, tu meurs». Je ne crois pas être le seul à trouver que la société qui a pondu ce séduisant baratin immobilier ne manque pas d’air (contrairement aux fêtards qui fréquentent le KdR d’ailleurs). Plus gonflé, tu meurs.

De nombreux bars ont dû fermer leurs portes à cause des plaintes répétées des voisins, mais ce n'est pas cela qui a fait disparaître le Klub der Republik.

En toute honnêteté, je n’étais pas un inconditionnel du KdR. Vous l’aviez sûrement compris. J’adorais l’esthétique rétro, le vieux mobilier «DDR» déglingué (l’idée de nommer le bar Klub der Republik provenait du projet initial de le meubler de tables et de fauteuils du Palais de la République qui allait bientôt être démoli [finalement ce sont les meubles du Café Moskau qui ont été utilisés]), la lumière rouge tamisée, la musique disco ou électro selon les nuits, le prix d’entrée qui ne dépassait jamais les 5€. Mais mes amis et moi avions fini par éviter ce bar toujours archi-bondé, où «danser» se résumait à fléchir piteusement les genoux en rythme tout en se poussant tant bien que mal pour laisser passer des inconnus titubant entre le bar et les toilettes, et où les non-fumeurs devaient faire des pauses respiratoires à intervalles réguliers à l’extérieur du bâtiment. Malgré tout, cette fermeture m’attriste. La disparition du KdR et de l’Icon à quelques semaines d’intervalle signe la mort de la vie nocturne du quartier d’Eberswalder Straße.

Sur cette croix figurent les noms de bars et discothèques récemment fermés à Prenzlauer Berg : Icon, NBI, Magnet, Knaack et beaucoup d'autres que je n'ai même pas connus.

Il reste encore assez de bars et de boîtes à Berlin. De nouveaux établissements ouvrent chaque mois dans d’autres quartiers de Berlin. J’ai arrêté de fréquenter le KdR ces derniers mois et il ne m’a pas particulièrement manqué. Mais il y a quelque chose d’éminemment déplaisant à cette succession de fermetures, à ces quartiers où les bars ferment et sont remplacés par des immeubles cubiques aux larges baies vitrées. Ces édifices gris et anonymes finissent, assez rapidement, par étouffer toute vie dans leur voisinage. Dans l’absolu, ce n’est pas bien grave que certains endroits particulièrement agréables pour les sorties du weekend finissent par fermer leurs portes et que d’autres ouvrent ailleurs. Mais ces édifices froids et géométriques qui les remplacent partout puent l’argent facilement gagné par des «investisseurs» sans aucun génie particulier, et leur uniformité me désole. L’ennui, c’est qu’aucun quartier n’est épargné, aucun bar, aucune discothèque, aucune salle de concert, aucun lieu de vie n’est à l’abri d’un investisseur qui y verrait un emplacement idéal pour y faire construire un nouvel immeuble cubique et gris, et y mettre en vente quelques douzaines de ces sinistres  Eigentumswohnungen tout en baies vitrées.

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En attendant que d’autres boules de démolition ne fassent entendre leur loi aux boules à facettes de nos nuits, et que le tintamarre de nos bars préférés d’aujourd’hui fasse place au silence des propriétés de grand standing, chantons et dansons !

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Il ne me reste plus qu’à remercier les gérants du Klub der Republik pour avoir contribué à faire de Berlin une capitale différente des autres, à leur souhaiter de la réussite dans leurs projets d’avenir et, s’ils pensent ouvrir un autre établissement pour satisfaire les noctambules de la métropole teutonne, à penser cette fois à l’aération afin que nous n’y laissions pas nos poumons !

8 commentaires:

  1. Bien des gens ont peut-être envie de retourner dans la petite ville qu'ils ont fuie.

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  2. Très juste, très juste, Alain, et on peut tout à fait les comprendre... mais dans ce cas, sont-ils vraiment obligés de modeler Berlin à l'image de la susmentionnée petite ville ? Bon, c'est une question qui vise à alimenter la réflexion ou le débat. Ne venant pas d'une grande capitale à la vie nocture trépidante, je trouve beaucoup de vertus à la tranquillité provinciale. J'aime les nuits calmes de mon quartier verdoyant de Fort-de-France, où les seuls bruits qui troublent la quiétude nocturne sont le raffut fait par les chiens des voisins qui aboient parfois, le tintamarre incessant des grillons et des grenouilles, les coqs qui s'énervent quand l'aube approche, et parfois, la pluie qui peut tomber très fort. C'est bien, c'est reposant, c'est super ! Mais je n'ai pas forcément envie d'imposer cette sérénité à toutes les rues de Berlin...

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  3. Les mots me manquent pour dire à quel point tout ca me dégoûte. Et pourtant, le KdR je m'en fous un peu, la dernière fois que j'y ai mis les pieds ca devait être il y a 4 ou 5 ans. Le coup de grâce dans le quartier ca a été le Knaack, club ouvert depuis 1952 ! Ils ont construit des appart dans une cour intérieure attenante au club, en "oubliant" d'isoler les apparts. Résultat: ceux qui ont acheté en visitant la journée ont dû avoir une désagréable surprise la nuit venue. Le Knaack a alors dû finir ses concerts à 23h et maintenir un niveau sonore proche de discussions de salon, plus personne ne venait aux concerts du coup, et ils ont fermé fin 2010. Une institution depuis 1952 qui ferme pour 2 ou 3 voisins, et parce que mettre de l'isolation a posteriori n'était pas faisable...
    Le prochain sur la liste: le Scokoladen à Mitte.
    http://www.schokoladen-mitte.de/

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    1. Ouais j'ai entendu parler de Knaack mais je n'ai jamais connu ce club ! quelle histoire tout de même..il y a vraiment des gens, on se demandent pourquoi ils s'installent à côté d'un bar en fait. J'étais au courant pour Schokoladen, j'y suis allé une fois, j'avais beaucoup aimé, c'était il y a 2 ans et ils étaient déjà ultra-menacés... quel dommage

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  4. Mitte c'est mitteux! Et pour y habiter, j'ai vu les changements de ces dernières années...ça faitfroid dans le dos...mais de là à retourner dans la ville que j'ai quitté...faut pas pousser mémé non plus :)

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    1. Je sortais souvent à Mitte avant... avant quoi. Maintenant je file sur la Linienstraße sans m'arrêter car c'est pratique d'y passer à vélo, et je ne m'étonne plus du silence sinistre qui y règne dès 21h...

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  5. Moi, c'est à Friedrichshain qu'une disparition m'attriste beaucoup: c'est LA54, sur la Landsberger Allee, un lieu super dans une ancienne brasserie: ateliers, galeries, club, etc, et il s'y passait des choses bien, et pas de voisinage dérangé. Les gens qui y vivaient payaient des loyers et étaient là officiellement. Mais ça n'a pas empêché le nouveau propriétaire de les déloger, en s'appuyant sur des problèmes liés à la sécurité (prétexte, ça aurait été facile de faire de petits travaux). Ils les ont fait craquer à petit feu, en leur coupant l'électricité, donc finissage annulé, pas de chauffage, ou en murant des entrées, en envoyant des flics, et là ça y est, c'est définitivement fini et tout le monde est parti, même les derniers résistants. Et à la place, ce seront des appartements de standing. Triste.

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    1. Oui, à chaque fois qu'une telle chose se produit et qu'un lieu de création ou de vie est remplacé par un bloc de Luxus-Wohnungen, c'est toujours une catastrophe. J'ai malheureusement entendu parler de LA54 juste avant sa fermeture et étais d'ailleurs convié à un événement organisé pour le feu d'artifice final, mais, malade ce soir-là, je n'ai pas pu y aller et découvrir cet espace voué à disparaître... Très triste...

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